Où en est la Serbie aujourd’hui ?

Michel Garroté
Politologue, blogueur

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Michel Garroté -- Jean-Christophe Buisson est directeur adjoint de la rédaction du Figaro Magazine. Passionné de la Serbie, il est l’auteur de nombreux ouvrages dont plusieurs sur son sujet de prédilection. Notamment une biographie du général serbe Mihailović ou une histoire de Belgrade. À l’occasion d’une conférence, le Visegrád Post l’a interrogé sur la Serbie et l’intérêt du patrimoine et de l’Histoire serbes (voir lien vers source en bas de page).
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Visegrád Post : Où en est la Serbie aujourd’hui ? Que peut-elle espérer ou craindre de l’éventualité d’une adhésion à l’Union européenne par exemple, notamment concernant la problématique du Kosovo, qui n’est toujours pas résolue ?
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Jean-Christophe Buisson : Les Serbes ont un sentiment ambigu vis-à-vis de l’Europe, ils voient très bien à quoi ressemble l’Europe aujourd’hui, une Europe à deux vitesses avec des pays riches d’un côté et des pays pauvres de l’autre, et s’ils entraient dans l’Europe évidemment ils feraient partie des pays pauvres. Ils ont bien compris que les pays pauvres qui sont entrés tardivement sont désormais un peu punis, et ne trouvent pas dans l’Europe le soutien économique, financier et la solidarité qu’ils avaient espérés. En Croatie qui est entrée dans l’Europe il y a quelques années il y a eu récemment un sondage indiquant que 60 % des Croates regrettent d’être entrés dans l’Union européenne car ils y ont trouvé plus d’inconvénients que d’avantages, la jeunesse ayant émigré et ils ne vivent plus que du tourisme de masse surtout germanique, alors qu’ils n’auraient pas eu besoin d’être dans l’UE pour vivre de ce tourisme de masse, donc les Serbes sont un peu partagés. Ils se demandent s’il y a un intérêt réel d’appartenir à l’Europe, surtout si la condition sine qua non est de renoncer définitivement au Kosovo, ce qui est impensable pour la majorité des Serbes, dans la mesure où le Kosovo fait partie de leur âme, de leur cœur, de leur mémoire, de leur souvenir et de leur foi.
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Visegrád Post : Est-ce que vingt ans après les bombardements et dix ans après la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo c’est encore quelque chose qui est dans l’esprit des gens, ou bien le temps a-t-il fait son œuvre ?
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Jean-Christophe Buisson : Le temps a fait son œuvre dans le sens où aucun jeune Serbe n’irait se battre pour libérer le Kosovo des Albanais. Les rares Serbes qui sont allés au Kosovo constatent que c’est un pays habité par 90 % d’Albanais, aucun Serbe n’a envie de vivre au Kosovo. Si vous ne reconnaissez pas l’indépendance du Kosovo, cela veut dire que vous prévoyez une politique de repeuplement du Kosovo, de ré-migration comme on pourrait dire, et aucun Serbe n’a envie d’aller vivre dans cette plaine sinistre dont seule la présence des monastères permet de rappeler qu’il s’agit d’une terre serbe d’essence serbe, la Jérusalem serbe.
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C’est ce rapport étrange des Serbes avec leur Histoire. En théorie ils considèrent tous que le Kosovo est une terre serbe et cela ne discute pas, mais dans la pratique personne ne veut y habiter.
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Je pense que depuis le début il y a une solution qui avait été avancée par certains experts qui était une sorte de partition de cette région : le nord habité à 90 % par des Serbes est rattaché à la Serbie, le sud devient indépendant s’ils ont envie d’être indépendants et albanais, et les monastères sont protégés par un statut d’extraterritorialité. C’est la solution de bon sens qui a été avancée dès le début et qui a été refusée notamment par les Serbes – bien que cela soit proposé par certains Serbes – mais surtout par les Albanais.
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Les Albanais ont un esprit de vengeance et de revanche de ce qu’ils considèrent comme une occupation de leur territoire et du fait que étant démographiquement très majoritaires, il n’y a aucune raison de faire de la place à des Serbes, avec un petit esprit (pas loin de celui qui est reproché à leurs adversaires) d’épuration ethnique. Lorsque le Kosovo a été “libéré” par l’OTAN, dans les semaines qui ont suivi les Serbes ont été chassés du pays, on les a parqués et on leur a dit de partir. La communauté internationale a empêché que cette contre-épuration ethnique ait lieu, mais elle avait quand même été envisagée par les Albanais les plus durs. Aujourd’hui, c’est l’économie qui réunit tout le monde. Il existe un système économique qui permet aux uns et aux autres d’avoir des relations apaisées, tous les pays des Balkans commercent ensemble, c’est le commerce qui permet aux peuples de ne pas faire la guerre et c’est très vrai dans cette région.
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Sur l’Europe, les Serbes ont un président qui était très nationaliste et qui est devenu très pro-européen [Aleksandar Vučić, NDLR], mais qui a fixé une ligne rouge sur le Kosovo, ce qui lui permet de rester dans une situation de flottement qui je pense l’arrange, car je ne suis pas sûr qu’il soit totalement convaincu lui-même qu’intégrer l’UE compte-tenu de ce à quoi elle ressemble aujourd’hui, c’est-à-dire une espèce de structure socio-économique qui écrase la souveraineté des peuples, corresponde à la volonté non seulement majoritaire des Serbes, mais même à l’intérêt de l’État serbe.
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Il est de bon ton notamment pour garder de bonnes relations avec l’UE et avoir peut-être des subventions et des aides européennes, de dire qu’on tient beaucoup à entrer dans l’UE et qu’on en rêve car nous appartenons à la même communauté de destin, mais dans la pratique je pense qu’il n’y a pas de grand enthousiasme à entrer dans l’Union européenne de la part des Serbes (voir lien vers source en bas de page).
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Adaptation & Mise en Page de Michel Garroté pour LesObservateurs.ch
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Source :
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https://visegradpost.com/fr/2018/09/09/entretien-avec-un-amoureux-de-la-serbie-jean-christophe-buisson-figaro-magazine/
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