par George Soros, président des Open Society Foundations
Les dirigeants européens doivent résister à la tentation de faire payer les Italiens pour les péchés de leur gouvernement. Il est plus intelligent d’offrir de l’aide
Après la crise des trois derniers mois, l’Italie a maintenant un gouvernement basé sur une difficile coalition entre le Mouvement 5 étoiles et la Lega. Les deux parties auront du mal à s’accorder sur un budget, mais celui qu’elles proposeront risque de dépasser les limites imposées aux membres de la zone euro. Il en résulterait une nouvelle crise politique. Le gouvernement pourrait bien tomber, et nous aurions de nouvelles élections plus tard dans l’année ou au début de l’année prochaine.
Le résultat des prochaines élections italiennes dépendra grandement de la manière dont l’UE réagira à la tourmente dans ce pays. Il y a une forte tendance en Europe à profiter de l’occasion pour donner une leçon à l’Italie. Si l’UE suit cette ligne, elle creusera sa propre tombe en provoquant une réponse négative de l’électorat italien, qui réélirait alors les 5 étoiles et la Ligue avec une majorité accrue.
Plutôt que d’essayer de donner une leçon à l’Italie, l’UE devrait se demander : qu’est-ce que l’Europe peut apprendre des bouleversements survenus en Italie ? Historiquement, l’Italie a toujours été le plus grand partisan de l’UE, car les Italiens ne faisaient pas confiance à leurs propres gouvernements. Et pour cause : ceux-ci avaient tendance à être corrompus et à suivre des politiques qui ne servaient pas les intérêts du peuple. Mais l’UE ne doit pas punir le peuple italien pour les péchés de ses gouvernements.
Quels sont les griefs légitimes qui ont poussé les électeurs italiens à opter pour les 5 étoiles et la Ligue ? D’abord et avant tout, ce sont les politiques migratoires imparfaites de l’Europe qui ont imposé un fardeau injuste à l’Italie. L’UE n’a pas de politique migratoire commune. Chaque Etat membre a sa propre politique, souvent en conflit avec celles des autres Etats membres.
Mais l’UE dispose du règlement Dublin III, qui s’applique à tout le monde, et stipule que les réfugiés sont sous la responsabilité du premier pays d’arrivée. Il en résulte un impact disproportionné sur l’Italie, en raison de la norme internationale qui exige que les navires qui sauvent des réfugiés enmer les débarquent dans le port sûr le plus proche, c’est-à-dire en pratique des ports italiens.
Jusqu’à récemment, la plupart des réfugiés pouvaient ensuite se rendre dans le nord de l’Europe, qui était leur but. Mais depuis septembre 2015, la France et l’Autriche ont fermé leurs frontières et les migrants secourus restent bloqués en Italie. […]
Les Italiens sont, dans l’ensemble, pro-européens, et ne veulent pas être exclus du projet européen ou de l’euro. Le gouvernement italien doit trouver un meilleur récit que de menacer de quitter l’euro : si la coalition introduisait ce qui pourrait être considéré comme une monnaie parallèle, elle déclencherait une ruée sur les obligations d’État et une fuite des dépôts des banques italiennes. Mais il y a des plaintes raisonnables sur la manière dont la zone euro est gérée.
Que peut donc faire l’Europe pour influencer le résultat des prochaines élections italiennes en sa faveur ? Elle doit modifier le règlement Dublin III et payer la part du lion du coût de l’intégration et de l’aide aux migrants en Italie.
Il n’est ni possible ni souhaitable de réinstaller les migrants ailleurs de force. D’autres pays, en particulier la Pologne et la Hongrie, résisteraient vigoureusement. En effet, Viktor Orbán, le premier ministre hongrois, a remporté les dernières élections en fondant sa campagne sur l’affirmation erronée selon laquelle je voulais que la Hongrie soit inondée d’immigrants musulmans. J’ai toujours préconisé que l’attribution de réfugiés au sein de l’Europe soit entièrement volontaire. […]
En fait, les migrants n’imposent une charge financière au pays d’accueil que jusqu’au moment où ils sont intégrés. A long terme, leur contribution au pays bénéficiaire est beaucoup plus importante que le coût de leur intégration. Je me demande combien de temps encore le fait d’exciter la population contre les migrants restera un bon moyen de remporter des élections. Les gens finiront par se rendre compte qu’ils sont menés en bateau par des politiciens sans scrupules. Par exemple, l’ami de Salvini, Orbán, porte directement atteinte aux intérêts de l’Italie en refusant d’accepter des réfugiés. En revanche, l’UE rendrait un grand service à l’Italie en menant un plan Marshall pour l’Afrique en utilisant sa capacité d’emprunt largement inutilisée. […]
La désintégration de l’Europe n’est plus une figure de style : c’est une dure réalité.
L’UE est confrontée à un large éventail de menaces, externes et internes. De l’extérieur, l’UE est menacée par les États-Unis de Trump, la Russie de Poutine, la Turquie d’Erdoğan, la Syrie d’Assad et la Libye, qui est un État failli. À l’intérieur, la Pologne et la Hongrie sapent les valeurs sur lesquelles se fonde l’UE, mais c’est l’Italie qui apparaît comme le défi le plus pressant à sa viabilité. […]
Article complet (avec liens) : The Guardian
Traduction Cenator pour LesObservateurs.ch
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