Le crépuscule du Matin

Stéphane Montabert
Suisse naturalisé, Conseiller communal UDC, Renens

Le Matin est à court de vitamine orange. Malgré d'innombrables mues - changements de format, de pagination, de style ou de logo - la publication historique de la Suisse romande finit par disparaître en version papier le 23 juillet prochain. Nul doute que ces derniers numéros auront un fort tirage, de nombreux Romands souhaitant sans doute garder un pan de l'histoire journalistique locale avec eux.

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(Image Wikipedia Commons)

Car le passage au tout numérique de la publication n'est qu'un cache-misère qui n'abuse personne. 40 suppressions de postes sont prévues.

Dans les colonnes du concurrent 20 Minutes, on se fait lucide: le marché romand de la presse est petit, et avec la concurrence d'Internet, il se rétrécit de plus en plus.

La disparition du Matin papier est la suite logique d'une surabondance de l'offre, estime le spécialiste des médias Philippe Amez-Droz. Mais la nouvelle formule 100% numérique préfigure un nouveau type de financement de contenus journalistiques, selon lui. L'annonce de la disparition du journal papier Le Matin n'est pas anodine.

«C'est un acteur important de la vie des bistrots qui disparaît,» reconnaît le chercheur au Medialab de l'Université de Genève qui a vécu la belle époque de la presse de boulevard. Mais économiquement, il n'y a rien à redire.

Après l'échec du Matin du Soir, entièrement numérique et payant, les pertes à répétition du quotidien orange et la chute dramatique de la publicité dans le print, le sort de l'édition papier du Matin était scellé. «Tamedia a tout essayé. Je les crois», indique Philippe Amez-Droz.

Essayé, pas pu. Excuses commodes pour dédouaner Tamedia. Peu probable que les ex-salariés de la publication s'en contentent. Mais pourtant, ils ont eux-mêmes leur part de responsabilité dans le naufrage - ils étaient à la barre. Qu'est devenu Le Matin depuis ces dernières années, sinon un vague torchon mêlant scandales faciles, presse people, annonces de charme et reprises de buzz Internet avec un temps de retard, délais d'impression oblige? Portrait sévère, mais ô combien réaliste...

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La sélection "typique" d'articles proposée sur le site du Matin aujourd'hui (photo d'écran)

Force est de constater qu'au cours des années, la prétendue valeur ajoutée du Matin était de plus en plus difficile à défendre. Chacun pouvait bien concéder que la rédaction et la mise en page étaient meilleures que celles d'un 20 Minutes, elles justifiaient mal la plus-value de deux francs réclamée au passage face à la presse gratuite.

Ce que Le Matin n'a jamais essayé, c'est une certitude, c'est de changer la politique de sa ligne éditoriale. Engagé à gauche, arborant fièrement une médaille anti-UDC portée en sautoir, la ligne n'a jamais été remise en question, jusque dans la tombe. Jamais un article sur la Berne fédérale sans sa pique à l'Union Démocratique du Centre et ses représentants. Jamais une évocation des États-Unis sans une critique de Trump. Jamais une mention de l'AfD allemande sans une allusion insidieuse en passant. Et en période de votation, c'était double portion: des sermons livrés jour après jour dans les éditoriaux pour dire aux gens comment "bien" voter, ou se lamenter le lendemain qu'ils ne l'avaient pas fait...

On peut aimer ce genre de journalisme, et alors, on est servi en Suisse romande. Mais les génies aux commandes de Tamedia auraient peut-être pu finir par comprendre qu'une moitié du grand public perpétuellement vilipendée finirait peut-être par arrêter d'acheter le quotidien, diminuant d'autant son lectorat - quelque chose que les abonnements obligatoires des salles d'attente de l'administration ne parviendraient pas à compenser. Eh oui, quand on est constamment insulté, on se lasse.

Je ne réclame pas que Le Matin devienne un canard de droite (il aurait fallu réécrire l'histoire et c'eut été de toute façon impensable) mais l'idée même de cesser les prêches à tout va, d'instaurer un peu de respect pour les camps en présence, de sérénité face aux votes des citoyens, de pluralisme dans les interviews, de cesser le deux-poids deux-mesures selon qu'on soit de droite ou de gauche, aurait été trop demander. Tout comme pour d'autres publications - pensons au Temps - qui sont sur la même trajectoire moribonde, et pour les mêmes raisons.

Non, clairement, tout n'a pas été tenté. Le logotype du titre ou le format des pages n'y changeront rien ; la presse romande se meurt faute de se remettre en question sur le fond.

Dans moins de deux mois, Le Matin ne sera plus qu'un site web inondé de publicité. Les survivants du naufrage embarqués sur le radeau numérique font face à une tempête garantie. Avec la disparition des puissants rappels de la marque (manchettes de journaux sur les caissettes, exemplaire passant de main en main dans les cafés) le quotidien disparaîtra rapidement de l'esprit de ses lecteurs. Le Matin ne sera plus qu'un site web, et sur Internet, la concurrence n'est qu'à un clic de là. Le succès des sites de réinformation comme LesObservateurs.ch montre que le grand public est friand de davantage que des news insipides et superficielles agrémentées d'une rubrique "Les News piquantes où l'actu est passée à la moulinette, sur un ton rieur et décalé".

À moyen terme, la disparition du Matin Dimanche semble elle aussi programmée, faute de pouvoir mutualiser les coûts de l'hebdomadaire avec ceux d'un quotidien. En ce moment, les CV doivent s'empiler auprès des télévisions régionales ou de la bienveillante RTS ; les futurs chômeurs vont eux aussi devoir subir la sous-enchère salariale et la concurrence étrangère. Beaucoup d'ex-journalistes du Matin vont rencontrer une réalité bien différente des discours qu'ils tenaient.

Malgré tout, la chute du Matin reste quelque chose de modeste. Ces derniers jours seulement, Nestlé a annoncé vouloir supprimer 580 postes en Suisse, et la mise en sursis concordataire d'OVS menace 1150 employés. À eux seuls ces deux événements représentent plus de quarante fois les effectifs perdus par Le Matin - et on doute que leur couverture médiatique soit en proportion.

Stéphane Montabert - Sur le Web et sur LesObservateurs.ch, le 7 juin 2018

15 commentaires

  1. Posté par Badabingo le

    Excellent article. Perso je serais prêt à payer 10 fr pour un journal avec des articles d’une telle qualité. Bravo.

  2. Posté par Icing le

    Les tenants de la pensée unique autorisée n’ont plus besoin de la presse écrite pour conserver le citoyen lambda dans le sillon de la juste pensée , la RTS et les médias électroniques s’en chargent à merveille sur les jeunes générations ,les anciennes étant de sâles conservateurs à leurs yeux , qui vont gentiment disparaître avec la presse écrite. Pour ce qui est de l’éducation l’ecole au mains de rouges se charge dans les court « d’éthique et religions du monde » à mettre les jeunes pousses dans le droit chemin !

  3. Posté par Milo Derol le

    La disparition du Matin me navre et m’inquiète. En effet, ce torchon était la tanière de quelques fieffés gredins, prétendus journalistes, distillant leur purin de gauche. Par la raréfaction des lecteurs, hormis quelques camarades convaincus, la nocivité de ces gugus était ainsi contenue à un cercle limité, en quelque sorte neutralisé. Je crains donc, vu leur pédigré, qu’ils essaimes dans les médias de l’establishment, RTS, Tele et compagnie.

  4. Posté par Maurice le

    On fait plein de baratin sur les disparitions de l’Hebdo, puis du Matin, mais qui parle du Giornale del Popolo ?
    « L’Association Catholique Suisse pour la Presse (ACSP), siégeant en assemblée générale à Baden le 8 juin 2018, a vivement déploré la disparition du dernier quotidien catholique de Suisse, le Giornale del Popolo. Le tribunal de première instance de Lugano a en effet déclaré le 5 juin 2018 la faillite de la Nouvelle Société Editrice Giornale del Popolo S.A. Massagno. »

  5. Posté par Sibo le

    Serait-il possible de traduire et d’éditer la Weltwoche en français ?

  6. Posté par Socrate@LasVegas le

    M. Blocher n’aura même pas besoin de payer pour offrir un antidote au lavement matinal, les improductifs « stalinos » se sont sabordés…tout seuls :-)))

    Merci pour les forêts. Si seulement les poivrots lisant cette feuille de chou pouvaient se remettre à réfléchir un peu, quelle joie!

  7. Posté par Anna le

    Ce n’est pas internet ou les gratuits qui a tué « Le Matin », c’est son obstination à nous prendre pour des crétins qu’il faudrait éduquer à adorer l’islam, adorer les migrants, adorer tout ce qui n’est pas de chez nous. Et abhorrer la Suisse, le christianisme, et nos semblables. Et puis il faut dire que question niveau intellectuel….. Soit ils nous prenaient pour des abrutis, soit ils étaient totalement abrutis eux même. Je vais vous dire une chose : c’est « Le Matin » qui m’a donné envie de voter UDC alors que je votais à gauche depuis des lustres. Il faut le faire quand même, dans le genre auto goal, ils sont incroyables. Qui , à part les bistrots, aurait voulu payer pour ces
    idioties ? Qui n’aurait pas eu envie de voter UDC en réaction à cette propagande ? Mais sont-ils mêmes capables de comprendre ? Qui sait….

  8. Posté par Gaston siebesiech le

    Avec quoi allons nous allumer le feu!?

  9. Posté par Socrate@LasVegas le

    Yess!
    Au suivant maintenant: le rouge 24h, d’ailleurs de plus en plus anémique….
    :-)))

  10. Posté par Albert Dupont le

    Mais qu’attend notre gouvernement pour instaurer une redevance obligatoire servant à financer la presse de gauche et fonctionnariser les fouilles-merde mondialistes?

  11. Posté par Marie le

    En effet très intéressant texte, merci et aussi à Christian Hofer pour les compléments d’information objective.

  12. Posté par Lausannois excédé le

    La disparition de la Pravda orange, a certains bons côtés, car elle nous délivrera des articles tendancieux de certains journalistes et éditorialistes, qui préféraient diffuser de la propagande de gauche, plutôt que d’informer honnêtement le lecteur. Il est probable que si certains articles avaient été plus objectifs, les lecteurs n’auraient pas tourné le dos à ce journal. « 24Heures » semble emprunter le même chemin et devrait mieux surveiller ses journalistes.

  13. Posté par Christian Hofer le

    C’est un bon texte Monsieur Montabert. Mais quelques ajouts auraient été intéressants. Notamment :

    On peut citer les nombreux articles, comportant des analyses, présents sur Les Observateurs pour démontrer à quel point ce journal est de gauche:

    https://lesobservateurs.ch/2017/05/02/matin-manipulation-lecteurs-de-theorie-a-pratique/

    D’autre part, il y a un problème supplémentaire avec « la version numérique »: les commentaires de gauche publiés par le Matin se permettent de traiter de nazis tout contradicteur depuis des années. On a même pu lire l’un de ces extrémistes de gauche appeler à la mort de Trump :

    https://lesobservateurs.ch/2017/02/01/lorsque-le-matin-publie-un-commentaire-qui-fait-lapologie-du-meurtre-de-donald-trump/

    On avait affaire à un double mécanisme : d’un côté une censure massive, de l’autre des commentaires extrêmement agressifs provenant d’individus de gauche. Naturellement, peu de personnes se rendaient compte de cela vu de l’extérieur.

    A cela s’ajoute la propagande en faveur de l’immigration et spécifiquement de l’islam directement diffusée par le rédacteur en chef du Matin, et cela alors que l’Europe subit attentat sur attentat:

    https://lesobservateurs.ch/2016/10/02/gregoire-nappey-redacteur-chef-matin-faut-accepter-lunivers-musulman-fasse-partie-de-paysage/

    Et je suppose que la version numérique suivra le même chemin que sa version papier, les journalistes refusant de mettre en question leur idéologie. Nappey est l’exemple-type de l’arrogant qui se considère comme un intellectuel alors qu’il n’est que propagandiste. Je serais à la place de ces journalistes, je lui demanderais des comptes.

  14. Posté par Baron d'Bobard le

    La transition du « print » à internet a beaucoup contribué à la disparition des journaux imprimés.
    Les lignes éditoriales systématiquement à gauche ont également fait fuir des lecteurs plus conservateurs sans permettre d’attirer la nouvelle génération qui ne s’informe plus que par internet et … gratuitement.
    Un lectorat plus conservateur aurait éventuellement continué à acheter un journal imprimé mais les journalistes sont incapables de se remettre en question idéologiquement.
    Ils sont ataviquement à gauche.
    Pour sauver les derniers journaux ils en appeleront aux aides d’état et aux loi « anti-fake news », n’hésitant pas à instaurer un climat malsain contre les médias en ligne indépendants.

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