Genève, ou ce qu’il en reste

Stéphane Montabert
Suisse naturalisé, Conseiller communal UDC, Renens

Les élections ont eu lieu ce dimanche à Genève. Les résultats sont implacables: la gauche a le vent en poupe, Maudet est élu au premier tour, les vilains populistes boivent la tasse et les journalistes sont contents.

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Une offre politique foisonnante de promesses (cliquez pour agrandir)

Je n'eus guère de temps à consacrer à la campagne électorale genevoise, dont la principale particularité était, comme souvent au bout du lac, de pousser à l'extrême des déviances pratiquées par ailleurs. Tel parti proposait rien de moins que le paradis, tel autre l'enfer si ses adversaires l'emportaient. Les primes maladies baisseraient. L'emploi serait retrouvé. Les logements abordables pousseraient comme des champignons - tout en préservant la nature en ville et au-dehors. Et ainsi de suite. Les promesses rendent les fous joyeux, dit-on.

L'extrême-gauche genevoise est solide et préserva ses 9 sièges. Les grands frères socialistes en gagnèrent deux, redevenant la deuxième formation politique du Grand Conseil après l'éclipse de 2013 et la fièvre du MCG. Les Verts marquèrent un véritable triomphe, passant de 10 à 15 sièges - la plus forte progression de tous les partis. Les socialistes honteux du PDC firent mieux que se maintenir et profitèrent de la redistribution générale pour grappiller un siège.

Au centre, le PLR passa de 24 à 28 députés, faisant la course en tête. Pierre Maudet fut le seul candidat de l'exécutif élu dès le premier tour, démontrant ainsi de façon indiscutable l'affection des Genevois pour les politiciens français (de passeport, de style et d'ambition).

C'est évidemment à droite que les scandales prévus arrivèrent. Les querelles intestines - entre les partis et à l'intérieur de ceux-ci - laissent des traces. L'UDC parvint péniblement à 8 sièges (-3) et échappa de peu à l'élimination par la voiture-balai du quorum. Premier candidat de l'UDC au Conseil d'État, Yves Niddegger pointa à la quinzième place, excusez du peu. Je le lis depuis suffisamment longtemps pour affirmer qu'il méritait mieux. Peut-être trop cérébral pour Genève?

L'essentiel de l'affrontement se joua finalement hors du ring entre le MCG d'Éric Stauffer, et Genève En Marche... d'Éric Stauffer également. Le bouillant tribun genevois sait assurer le spectacle. Il y a quelques années, il fondit le Mouvement Citoyen Genevois, essaya sans succès de le faire essaimer ailleurs (qui se rappelle du Mouvement Citoyen Vaudois?) puis s'en lassa et tenta de le quitter, un départ qui se mua en haine féroce envers une créature politique qui ne reconnaissait plus son maître.

Retrouvant du poil de la bête, Éric Stauffer lança pour l'occasion un nouveau mouvement (Genève En Marche, on se demande où le bougre alla chercher tout ça) dans l'objectif avoué de détruire son ancien parti. Las! Un budget de campagne étonnamment élevé et le placard de slogans sur les TPG ne suffirent plus à capter l'attention d'un électorat lassé d'une bataille d'ego virant au soap interminable. Genève En Marche trébucha sur la première d'entre elle en n'atteignant pas le quorum, privant M. Stauffer de sa revanche.

Les dégâts infligés au MCG, eux, furent bien réels. Il but la tasse, sa députation passant de 20 à 11 sièges, préservant juste le siège exécutif de Mauro Poggia dans le naufrage. Citons l'analyse de François Bärtschi, secrétaire général du MCG, à la Julie:

«Au MCG, nous venons de vivre deux ans d'attaques internes, de la part d'Éric Stauffer, et externes de la part des députés qui n'ont pas voulu mener une politique unitaire. Nous payons la note de cette situation et l'UDC également. Mais il faut relativiser: notre résultat nous place au même niveau qu'un parti national comme le PDC. Quant à Genève en marche (ndlr: GeM, le nouveau parti de Stauffer), cela ne me déplaît pas qu'il n'ait pas le quorum. Il n'a ni militants, ni légitimité, mais seulement du financement et un désir de vengeance. C'est une imposture.»

Le nouveau parlement genevois est donc sous toit.

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Le Canton du bout du lac restera aussi ingouvernable que lors de la législature précédente, le bloc de gauche se sentant pousser des ailes, le PLR étant renforcé au milieu d'alliés affaiblis et méprisés, et entre les deux pôles un marais indéchiffrable.

Les partis affûtent leurs stratégies en vue du second tour de l'élection au Conseil d'État, qui verront probablement un siège de plus revenir à la gauche, mais cela ne devrait pas changer grand-chose à la paralysie si typique du Canton, sauf quand il s'agit de lancer de grands travaux d'une grande laideur.

Les Genevois décidèrent donc ce dimanche de leurs autorités législatives - du moins une fraction des Genevois, car avec 38% de participation électorale, ce scrutin fut un des pires jamais enregistrés. Difficile pourtant de trouver une offre plus variée qu'à Genève. Six Genevois sur dix ne se donnèrent même pas la peine de voter et ne semblent donc pas vraiment s'intéresser à la politique.

J'imagine que c'est parce que Genève va très bien. Les comptes publics sont magnifiques, les caisses de pension saines, on se gare facilement et pour pas cher en ville, le marché du logement s'est assaini, les chômeurs genevois retrouvent aisément du travail et la terrible sous-enchère salariale qui ravage la société a enfin été contenue. Un peu trop beau, dites-vous? Mais, chers amis genevois, si vous aviez l'occasion de voter et que vous ne l'avez pas fait, vous avez perdu le droit de vous plaindre.

Mais foin de polémiques, buvons à la santé de M. Maudet, souhaitons le meilleur pour ce Canton, et continuons à observer ce qu'il devient.

Stéphane Montabert - Sur le Web et sur LesObservateurs.ch, le 16 avril 2018

15 commentaires

  1. Posté par conrad.hausmann le

    Les gagnants ? les abstentionnistes soit pratiquement 2 sur 3 votants !!! Et les populistes ont gagné car Maudet s’en est un puisqu’il est toujours de l’avis du gars en face…

  2. Posté par pierre frankenhauser le

    @Christian

    Vous oubliez également les cantons de Fribourg et du Valais, qui touchent chacun environ un demi-milliard de francs de préréquation par année. Vaud emploi environ 40’000 pendulaires des autres cantons romands, soient plus que Genève. Et aucun de ces travailleurs ne paient d’impôts sur Vaud, contrairement aux 100’000 frontaliers français qui laissent la moitié des leurs à Genève. Alors qui y gagne le plus financièrement ?

    Par ailleurs, la Confédération tient certainement compte dans ses calculs des milliards de francs que les nombreuses et lucratives organisations internationales apportent à l’économie genevoise, de manière directe et indirecte. C’est loin d’être négligeable. En 100 ans d’existence, je pense qu’on a allègrement dépassé les 100 milliards (lourds investissements, consommation de luxe, attraction de sièges de multinationales, etc.). La Confédération, soit tous les Suisses, met elle aussi la main à la poche, sans quoi les OI risqueraient de partir sous d’autres cieux. En 1918, il fut décidé que la première d’entre elles (la SdN) serait implantée à Genève, première ville romande, au détriment de Bruxelles et de… Lausanne, qui contrairement à Genève avait déjà son aéroport (qui n’a pas évolué depuis) et accueillait le siège du CIO. Si le développement de Lausanne n’avait pas été mis sous cloche pendant les… 561 ans de présence savoyarde puis bernoise, probablement qu’aujourd’hui Vaud paierait pour Genève et d’autres cantons. Ma foi, on ne peut pas tout avoir.

  3. Posté par Christian le

    Le jour où les autres cantons, et Vaud en particulier, contribueront autant que Genève pour le reste de la Suisse, péréquation financière oblige, on en reparlera !!!!

  4. Posté par Loulou le

    C’est où Genève?

  5. Posté par JeanDa le

    Ces résultats ne sont pas étonnants : Les genevois sont les plus français des suisses.
    Parfois je me prends à penser qu’ils sont plus français que suisses.

  6. Posté par Hervé le

    @Pierre-Henri En effet, je m’avance un peu. 100’000 c’est le nombre de personnes qui votent, environ. Le nombre de fonctionnaires et d’un peu moins de la moitié, mais avec leur sphère d’influence (famille, amis proches) le nombre de personnes directement dépendantes de l’État est gigantesque. Sans conter les emplois n’ont pas ce statu et qui pourtant dépendent de sa manne financière. Le poids de ceux qui ont intérêt à faire grossir l’Etat pour garantir leurs salaires dépasse celui de ceux qui aimerait juste garder plus de l’argent qu’ils ont gagné.

  7. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Genève, le plus centralisateur des cantons? J’ai dans l’idée que ceci est mal exprimé. Genève met son nez partout! Il y a donc monopolisation de pouvoirs rediffusés. Dans une « unité Marchés » par exemple, dont un agent fait déplacer un carton vide car il gêne le passage. Dans la Police du Commerce, qui embastille une tenancière et ferme sa boutique (un1/2 jour) pour cause de non affichage des prix. Ou qui fait fermer les 3 restaurants d’un tenancier qui ne peut faire autrement que d’employer quelques Thaïlandais « au noir ». Que dire d’une Police des Constructions qui fait placer une barrière où elle n’est pas utile et n’en exige pas où elle le serait. Une ville tellement étouffée qu’il lui faut des animateurs socio-culturels? Une ville où l’on « met en rouge sur les listes » des parents d’élèves! Je viens de l’apprendre. Une ville qui traite les gens comme elle traite les enfants, d’une manière indigne, en écrivant sur des bus « GE-DISMERCI, GE-RESPECTE, GE-RESTEZEN! Une ville où des employés viennent vérifier la conformité des terrasses de bistrot! Une ville où l’on fait enlever des barges restaurants car elle défigure la rade, mais ou on emballe ridiculement un bateau « belle époque » pour diminuer l’empreinte écologique et… améliorer les prestations sociales! Bref, comme me l’a écrit Jean Raspail, « une ville foutue! ».

  8. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Remarquez que l’aigle a 7 plumes! Autant que de partis représentés au GC.

  9. Posté par Faucon le

    Depuis sa création, la réalité est inscrite sous l’écusson de Genève « République et (accessoirement) canton de Genève. Que dire de plus.

  10. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    @Hervé: 100’000 fonctionnaires? D’où tenez-vous ce chiffre? Je me souvenais de 20 ou 22 milles. Ceci dit, je propose un extrait d’article de Jan Marejko, tiré de « De la misère intellectuelle et morale en Suisse romande », co-écrit avec Eric Werner. « Lorsque la souveraineté n’est pas localisée en une personne ou, du moins un groupe clairement délimité, on ne peut plus lui demander de rendre des comptes: ses représentants peuvent alors tout se permettre. »

  11. Posté par Bussy le

    Genève bétonne massivement, pollue massivement dans des embouteillages journaliers et en parallèle vote pour les écolos qui sont pour l’immigration massive…
    Les jeunes genevois ne trouveront bientôt plus de travail dans une région qui a une proportion d’emplois énorme par rapport à sa population et Genève vote pour ceux qui se fichent de cette situation, leurs enfants allant certainement travailler dans les mêmes domaines protégés que papa et maman…
    Maintenant, c’est clair que si l’alternative, c’était Stauffer, on comprend mieux les 38% de participation !

  12. Posté par Maurice le

    Grand merci à Stéphane Montabert pour cette belle analyse ! Votre observation de la politique genevoise est impeccable !
    Hervé vient la compléter judicieusement, car effectivement le pourcentage de double-nationaux récemment naturalisés est impressionnant à Genève, et ceux-ci, désemparés, ne votent pas, car ils ne comprennent rien à notre démocratie.
    Mais tous ces gens qui ne votent pas peuvent faire le beurre d’autrui, car leurs cartes et leurs bulletins de vote sont très utiles à certains, qui cherchent même à les vendre…
    http://m.20min.ch/ro/news/geneve/story/18353244

  13. Posté par Héradote le

    En démocratie, on a ce qu’on mérite…..

  14. Posté par Hervé le

    Rappel: Genève c’est 500’000 habitants… mais aussi 100’000 fonctionnaires, une moitié de la population étrangère, une moitié de la population qui paye peu ou pas d’impôts. Genève c’est une fosse à sangsues qui ont compris qu’ils pouvaient s’assurer de belles vies aux dépends des citoyens qui bossent dans le privé. Ils sont tellement nombreux qu’ils sont impossibles à déloger maintenant. Normal, ils s’assurent leurs arrières entre eux. A quelques rares exceptions, les politiciens ici sont tous nullissimes. Et c’est un euphémisme.

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