Splendeurs et dangers d’une victoire

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Par Modeste Schwartz.

Hongrie – Analyse des résultats électoraux suite à la victoire d’un troisième mandat consécutif par Viktor Orbán le 8 avril 2018.

Pourquoi se réjouir ?

Commençons par un constat cynique : les stratèges du FIDESZ ont bien mérité leurs honoraires. Ils sont de toute évidence partis du principe (confirmé par les faits le 8 avril) que le parti peut, dans l’électorat, compter sur le soutien presque inconditionnel de son noyau dur et que son bilan de gouvernement largement positif lui garantit aussi l’appui d’une frange moins politisée, moins enthousiaste, mais loyaliste : (l’analyse par classe d’âge montre que les trentenaires votent plus pour le FIDESZ que les moins de trente ans : généralement mariés, parents ou projetant de le devenir, ils tendent à analyser plus objectivement leur situation matérielle concrète). Le but de la campagne était donc de compenser un éventuel élargissement de la base électorale de l’opposition (qui n’a finalement pas eu lieu – mais MM. Soros et Simicska ont tout fait pour qu’elle se produise) en mobilisant des secteurs de l’opinion dont la culture politique frise le néant. Pour y parvenir, ils ont fait le pari risqué de négliger des thèmes potentiellement porteurs (comme, justement, l’excellent bilan des deux mandats écoulés – surtout quand on le compare à l’avant-2010) pour tout investir dans l’artillerie lourde d’un argumentaire civilisationnel répétitif et souvent sursimplifié (dont nous avons relevé les limites ici). Ce faisant, tout en ayant l’air de spéculer sur « la stupidité des hongrois », ils ont en réalité, paradoxalement, parié sur l’intelligence de leur noyau dur et de la frange réaliste, qui ont su non seulement tirer les leçons des 20 dernières années, mais – qui plus est – « pardonner » au FIDESZ les « bavures » stylistiques de sa communication de campagne. Comparé au peuple français, qu’une ingénierie médiatique efficace a amené, il y a moins d’un an, à porter au pouvoir un homme jouissant du soutien réel d’un français sur dix, le peuple hongrois sort donc grandi de cette épreuve électorale, au cours de laquelle il a démontré son intelligence et sa maturité politique.

Et, pour enfoncer une autre porte ouverte : avec des chiffres de participation inégalés depuis plus de 15 ans, les élections de dimanche dernier ont constitué un exercice démocratique si exemplaire qu’on peut se demander si l’opposition ne va pas, à l’avenir, choisir comme en Russie de parier plutôt sur le sabotage des scrutins, en appelant à l’abstention dans l’espoir – toujours exaucé par la presse occidentale complice – de « faire parler » les absents. Infantiles et autistes, les premières réactions des perdants du 8 avril pointent dans cette direction : ils parlent en termes voilés de fraude électorale, alors même que le seul incident qu’ils soient capable de signaler est celui d’un bureau de vote pour étudiants résidant loin de leur domicile officiel, où une file d’attente a, après fermeture des autres bureaux, retardé de quelques heures le début du décompte et l’annonce des premiers résultats – mais sans qu’un seul électeur présent ne soit empêché (même après l’heure) de déposer son bulletin ! C’est aussi ce genre de stratégie de la terre brulée que laisse subodorer l’interview donnée le 10 avril par le directeur de campagne officieux de la coalition-fantôme qui était chargée de déboulonner Orbán : Márton Gulyás (dont nous avons déjà parlé ici). Concrètement, l’exemple russe suggère que l’adoption d’une telle stratégie est l’équivalent « société civile » de la mise en réserve d’une armée : jugeant l’offensive impossible, l’agresseur maintien une présence minimale aux frontières de l’agressé, dans l’espoir de jours meilleurs amenant une opportunité de réactivation.

Or, dans ces conditions plébiscitaires, le FIDESZ a ajouté 500.000 électeurs aux 2.100.000 qui avaient déjà voté pour lui en 2014, tandis que les autres partis font du sur-place – de telle sorte qu’il est aussi intellectuellement malhonnête d’incriminer le système électoral hongrois (scrutin à un tour – d’ailleurs fréquent en Europe), qui a certes amplifié la majorité parlementaire du FIDESZ, mais ne l’a pas créée. Avec autant de voix, Viktor Orbán resterait au pouvoir dans tous les États démocratiques du monde, et la manifestation de « protestation » convoquée hier à Budapest n’était ni plus ni moins qu’une manifestation anti-démocratique ; elle n’a d’ailleurs rassemblé que quelques dizaines de milliers de hongrois (sur une population de 10 millions), à savoir : les 10.000 activistes et sympathisants sur lesquels peut en toute occasion compter le camp mondialiste à Budapest (de l’aveu même de l’un des pires produits de propagande anti-Orbán de la télévision française), plus un renfort d’ampleur moindre assuré par le Jobbik. Ite missa est !

Signalons d’entrée de jeu le principal avantage de cette super-majorité : en cas de crise internationale majeure (y compris dans l’éventualité d’une restructuration en profondeur et/ou implosion de l’UE) au cours du mandat qu’il vient d’inaugurer, Viktor Orbán sera – plus que tout autre leader de la région – sûr de ses arrières quand il parlera et négociera au nom de la Hongrie.

L’opposition manifeste son refus des résultats électoraux, le 14 avril 2018, sur la place du parlement à Budapest. Photo : Visegrád Post

Pourquoi s’inquiéter ?

S’ajoutant à la victoire prévisible, la divine surprise des deux tiers reconquis place donc dans les mains du FIDESZ un capital politique pratiquement inégalé dans les États-membres de l’UE. Reste à savoir s’il saura en faire le meilleur usage possible. L’analyse des bilans de mandat et de campagne de ce parti désormais totalement professionnalisé incite certes à l’optimisme. Néanmoins, il peut être utile de passer en revue quelques-uns des pièges qu’il va trouver sur la route de 2022.

Il est, premièrement, à souhaiter que l’encadrement du parti – qu’Orbán semble d’ailleurs vouloir partiellement renouveler, et notamment rajeunir – prenne bien conscience du fait que sa base s’est pour le moins autant modifiée qu’élargie. L’anonymat du vote rend bien sûr impossible toute quantification précise du phénomène, mais l’abondance des témoignages individuels ne laisse aucun doute quant au fait que :

  1. Nombre d’électeurs du « Jobbik historique » (d’avant le tournant « libéral-conservateur » et europhile de la girouette Vona, désormais mise la retraite comme nous l’avions prévu) sont désormais des électeurs FIDESZ ; après être resté très discret pendant toute la campagne, le N°2 du Jobbik, László Toroczkai, cherche visiblement à en prendre les rênes, en vue d’inverser le virage suicidaire dont Gábor Vona a pris l’initiative il y a plus ou moins deux ans. A supposer même qu’il y parvienne, la reconquête des électeurs déçus s’annonce difficile. Et, à supposer que cette dernière réussisse, elle impliquera probablement la défection prochaine de ceux qui viennent de rejoindre le parti à la faveur de sa récente « gauchisation ».

  2. Compte tenu du fait que la base électorale du Jobbik en 2014 était d’un peu plus d’un million d’électeurs, même à supposer que le taux de désertion vers le FIDESZ ne soit que de 25%, on arrive à la conclusion que, hors déçus du Jobbik, le FIDESZ n’a conquis « que » 250.000 nouveau électeurs – ce qui serait un résultat assez modeste au regard de son énorme effort de guerre des derniers mois en vue de repolitiser la société hongroise jusque dans les villages les plus isolés. En réalité, il est beaucoup plus raisonnable de supposer que le FIDESZ a effectivement conquis de nouveaux électeurs (expliquant le record de participation), tout en siphonnant le « Jobbik historique » – mais cette explication vraisemblable nous oblige à admettre qu’il a aussi perdu des électeurs : à vue de nez, entre 50 000 et 200 000, soit jusqu’à 10% de sa base antérieure – c’est-à-dire plus que ce à quoi on pourrait s’attendre en tablant simplement sur « l’usure du pouvoir ».

  3. Qui sont ces déserteurs ? En dépit des récriminations suspectes de la presse pro-FIDESZ, soucieuse de contrer l’accusation de l’opposition selon laquelle « le FIDESZ aurait scindé le pays », il est probable qu’il s’agisse avant tout d’un public urbain, éduqué et occidentolâtre : de cette base « intellectuelle antitotalitaire » qui constituait, justement, le fer de lance du FIDESZ des années 1990. Ainsi, le libéral de droite Gábor Sebes, membre du FIDESZ, tout en prétendant se féliciter de la victoire, applique à Viktor Orbán le baiser de Judas sous la forme d’un statut Facebook reprenant par le menu tout l’argumentaire « anti-corruption » de la gauche libérale, et rappelant au FIDESZ à quel point « la concurrence équitable constitue une valeur centrale en Amérique ». Gageons que Viktor Orbán (qui attend toujours de Donald Trump qu’il lui rende la politesse des félicitations adressées à ce dernier il y a un an et demi) a dû apprécier ce conseil à sa juste valeur. L’opposition a certes tort d’en accuser spécifiquement le FIDESZ, mais la scission Budapest/province est réelle – et ne date d’ailleurs ni de 1990, ni même de 1948 ou 1918.

  4. Ajoutons à cela ce dont la presse hongroise de droite se garde bien de parler : les transferts marginaux qui ont mathématiquement dû avoir lieu dès 2010 depuis la base électorale d’un Parti Socialiste Hongrois (MSZP) aujourd’hui agonisant, mais qui dominait largement le paysage jusqu’au milieu des années 2000. Transferts parfaitement logiques, étant donné que le FIDESZ, en dépit de sa rhétorique anticommuniste marquée, est revenu depuis 2010 (notamment en matière d’infrastructures, de retraites, de privatisations) sur beaucoup des innovations libérales des années 1990, ce qui n’a pu que donner satisfaction à ceux qui restaient fidèles au MSZP non par idéologie marxiste, mais par intérêt de classe. Au milieu d’un pesant silence de la presse des deux bords, on a donc assisté à une scission progressive de la gauche hongroise : ceux qui regrettaient plutôt le relatif bien-être des années Kádár que l’idéologie communiste en elle-même, et ont donc su faire abstraction de la rhétorique anticommuniste du FIDESZ l’ont rejoint ; les autres se sont résignés à devoir voter par automatisme pour un MSZP devenu un parti libéral-libertaire de facture occidentale, qui ne représente plus ni leurs intérêts de classe, ni même leur culture de classe (qui n’est pas particulièrement « no border », ni LGBT). Le seul candidat d’opposition qui ait félicité son rival plus chanceux en la personne de Viktor Orbán est d’ailleurs Gyula Thürmer, chef du minuscule Parti des Travailleurs, qui est le dernier représentant politique du mouvement ouvrier en Hongrie, et le seul parti d’opposition qui ne semble pas être à la solde de l’étranger.

  5. En mettant bout à bout ce discret ralliement socialiste et celui du « Jobbik historique », dans un contexte de retour à la tendance lourde d’opposition Budapest/province, on comprend que le FIDESZ est aujourd’hui un parti d’anciens libéraux de droite élus par une base dont la couche la plus politisée est désormais constituée d’anti-libéraux (de droite, mais aussi de gauche).

Viktor Orbán semble avoir prévu et accompagné cette évolution à temps en lançant son concept de « démocratie illibérale ». Peut-on en dire autant de son parti ? Rien n’est moins sûr. A l’abri d’une rhétorique de campagne civilisationnelle qui gommait les divergences d’intérêt entre Ouest et Est du continent, les élites du FIDESZ ont pu jusqu’à présent se payer le luxe de contourner les questions qui fâchent. Elles ne le pourront pas éternellement. Quant à la presse du FIDESZ, navigant entre deux eaux, elle désigne de plus en plus souvent l’ennemi comme « libéral », mais en utilisant généralement – à l’américaine – ce mot comme synonyme de « gauche », en feignant d’ignorer l’existence au sein du parti et du régime d’une tendance libérale de droite qui ne demeure fidèle au FIDESZ que pour rester aux affaires. A terme, l’usure du pouvoir aidant, le FIDESZ pourrait donc un jour se retrouver dans la situation qui est aujourd’hui celle du Jobbik (en inversant l’ordre d’apparition des tendances) – et s’exposer au même risque de paralysie par neutralisation réciproque.

Ce qui contribue aussi à relativiser la portée de cette victoire sur le fond, c’est que Viktor Orbán a, pour ainsi dire, vaincu sans combattre face à une opposition d’un niveau intellectuel et moral abyssal. A vrai dire, même s’il n’avait pas su, au cours des huit ans écoulés, protéger les Hongrois de la rapacité des monopoles industriels et bancaires, même sans augmentation des salaires, même sans soutien aux familles, et même si la moitié des « crimes » que lui reproche la propagande occidentale était autre chose que de sombres calomnies, on peut se demander comment un politicien de l’envergure et de l’intelligence de Viktor Orbán pourrait perdre face à une opposition que seules certaines inerties sectaires et un indéfectible soutien étranger maintiennent tant bien que mal en survie artificielle. Réalisé par le fils d’un pasteur américain d’origine hongroise pour une publication financée par l’Occident, cette petite série d’entretiens avec les leaders de ladite opposition se passe presque de commentaires : en dépit de leur extrême dispersion (les intervenants représentent à eux seuls une demi-douzaine de mouvements, partis et ONG), ces « opposants » produisent un discours uniforme et préformaté, tellement dénué de contenu qu’il devient pratiquement inutile de le contredire : les termes « autoritaire » et « illibéral » sont répétés en boucle sans jamais être définis, et l’accusation omniprésente de vol de fonds publics (obsessionnellement associée au thème des fonds européens – alors même que quiconque a dans sa vie rempli une demande de subvention sait parfaitement qu’ils sont soumis à un contrôle plus strict que ne le sont les fonds nationaux) règne comme un bruit de fond sans jamais s’appuyer sur aucun exemple concret (et pour cause : en l’absence de la moindre preuve, la calomnie – encore tolérable sous cette forme vague – deviendrait vite qualifiable dans les termes du droit pénal) ; quant aux phénomènes sociaux évoqués pour peindre une image apocalyptique de la Hongrie actuelle (comme l’exode des médecins – qui a d’ailleurs ralenti ces derniers temps), ils affectent l’ensemble des pays post-communistes (y compris et surtout la Roumanie, exemplairement soumise aux dictats de Bruxelles et de Washington), généralement plus gravement que la Hongrie. En réalité, cette opposition qui n’a rien à dire ne se berce même plus de l’illusion d’avoir un public pour sa diarrhée verbale, et cherche avant tout à prodiguer à ses sponsors occidentaux les preuves d’une activité méritoire et rémunérable : non seulement le clip susmentionné est sous-titré en anglais, mais l’une des intervenantes (bien que hongroise et s’adressant à un hongrois) a même directement répondu en anglais (acte manqué ?).

Faut-il s’en réjouir ? Non. Car avec le discrédit qui frappe désormais aussi le Jobbik, le FIDESZ gouverne désormais de facto sans opposition : légalement du fait de sa majorité écrasante au parlement, mais aussi et surtout moralement, faute d’interlocuteurs dignes d’attention. Dans de telles conditions, pour un FIDESZ dont tous les cadres n’ont pas l’énergie morale hors du commun de Viktor Orbán, et qui, en huit ans de pouvoir, a fatalement attiré l’adhésion intéressée de beaucoup d’opportunistes peu soucieux de l’intérêt général, la tentation de s’endormir sur ses lauriers devient immense – au moment même où la crise de l’UE s’aggrave et où les retombées d’une éventuelle crise financière internationale risqueraient de mettre à rude épreuve ce petit pays économiquement fragile.

Remarquons au passage que les « bienfaiteurs » internationaux qui contrôlent de facto la pseudo-opposition hongroise portent d’ailleurs une certaine responsabilité dans le processus de contre-sélection qui a débouché sur la situation idiocratique actuellement observable : évoquons, par exemple, les conditions très peu claires dans lesquelles, à la tête du parti écolo-centriste LMP, le talentueux András Schiffer a été remplacé par le produit générique mondialiste nommé Bernadett Szél. Ou encore l’inexplicable longévité politique de l’homme le plus détesté de Hongrie : l’oligarque Ferenc Gyurcsány, véritable boulet de la gauche hongroise, honteusement éconduit par l’électorat en 2009-2010 après avoir été pris par l’UE elle-même en flagrant délit de maquillage des comptes publics de la Hongrie ; en dépit d’apparitions publiques baroques qui alimentent un fort soupçon d’alcoolisme, il est d’ailleurs un des seuls leaders de ladite opposition qui n’ait pas annoncé son retrait après la raclée de dimanche soir – amenant même beaucoup de mauvaises langues à se demander s’il n’avait pas une entente secrète avec le FIDESZ en vue de discréditer durablement la gauche hongroise.

Manifestation contre les résultats électoraux et la “dictature” de Viktor Orbán, le 14 avril 2018. Photo : Visegrád Post

Le FIDESZ, victime de son succès ?

En transformant une élection en référendum, on s’expose à deux risques majeurs. Le risque principal est naturellement de perdre le référendum, et le pouvoir par la même occasion. Le risque suivant par ordre de nocivité, c’est de le gagner et de se rendre ipso facto inutile. Après ce désaveu hongrois (qui, grâce à Visegrád, prend une ampleur régionale) de la politique migratoire de l’UE, dans un paysage politique européen rajeuni et technocratisé (Macron, Kurz…), on ne peut pas exclure l’apparition d’une doctrine de transition « mondialiste modérée », choisissant de sacrifier l’idéal gauchiste « no border » pour « sauver la boutique » de Bruxelles. Ainsi privé de son « arme fatale », le FIDESZ, pour perdurer, ne pourrait alors plus compter – tout du moins en termes d’image – que sur la nullité de son opposition – laquelle deviendra remédiable s’il ne développe pas une politique plus ambitieuse, capable de protéger la Hongrie de dangers plus insidieux – mais non moins réels – que la menace migratoire.

Certains des thèmes sociaux qu’agite l’opposition de gauche renvoient en effet à des maux réels de la société hongroise (nous en avons évoqué quelques-uns ici). A commencer par l’émigration des jeunes, souvent présenté par ces pleureuses europhiles comme un exil politique, et qui dépend en réalité, dans l’immense majorité des cas, à des motivations économiques. Le discrédit frappant l’opposition – naturellement incapable de proposer des solutions viables à des problèmes en grande partie créés par elle-même et/ou ses sponsors internationaux – suffira-t-il ad aeternam à excuser, aux yeux de l’électorat, la relative impuissance du FIDESZ en la matière ? Il serait probablement illusoire, et en tout état de cause lâche de l’espérer. Mais c’est là une lâcheté compréhensible, compte tenu de la difficulté de l’exercice, dont les coûts potentiels (financiers et politiques) dépassent de loin ceux de l’érection d’une clôture barbelée à la frontière serbe. Pour améliorer le pouvoir d’achat de ses couches populaires, dans le carcan européen qu’elle continue à accepter, la Hongrie, ne dispose ni de l’arme monétaire (le forint étant, comme toutes les autres monnaies non-euro de l’UE, un bantoustan monétaire sous la tyrannie d’une banque centrale « indépendante »), ni de l’option protectionniste (pour cause d’OMC et d’UE – sans compter son rapport de dépendance au capital allemand). Courtisée par la Route de la soie, elle serait néanmoins, compte tenu de sa faible voilure financière et de sa quasi-inexistence militaire, bien téméraire de chercher à faire dissidence seule. L’amélioration suppose donc dans un premier temps une conservation des structures existantes, mais assortie d’une renégociation sans faiblesse des termes de l’échange avec le capital occidental (avant tout allemand). Par conséquent, la voie de l’émancipation économique passe elle aussi par Visegrad, qui doit impérativement, pour justifier son existence à long terme (sans pour autant se renier), devenir plus qu’un syndicat anti-immigration et anti-gay pride doublé d’une succursale de l’OTAN. Or, à en juger par les précédents – à commencer par celui de la crise migratoire de 2015 – cela ne se produira qu’à condition que Viktor Orbán, leader régional désormais pleinement consacré, prenne la tête de la croisade – ce qui promet de nouvelles recrudescences du blitz médiatique magyarophobe à l’Ouest, et un carnet de commande chargé pour les calomniateurs stipendiés de CNN, BBC, ZDF et autres M6.

Choix courageux, donc, mais à mon avis nécessaire, compte tenu de l’absence d’alternative à long terme. En effet, même si la presse pro-gouvernementale insiste à raison sur le fait que, dimanche dernier, le FIDESZ a remporté une majorité dans chaque classe d’âge, il n’en reste pas moins que, comparé à celui de son adversaire le plus novateur (le Momentum, sorte de réplique hongroise de En Marche), l’électorat du FIDESZ présente une pyramide des âges presque inversée, notamment marquée par de relativement faibles effectifs dans la tranche la plus jeune. Ces électeurs, dont beaucoup n’étaient pas nés au moment de la chute du communisme, peuvent tout au plus se souvenir – à titre de repoussoir – des années Gyurcsány (deux périodes qui n’ont cependant presque rien en commun à part une certaine continuité dynastique des apparatchiks ex-communistes convertis au néo-libéralisme) ; pour eux, « le système », c’est le FIDESZ – d’où, d’ailleurs, de meilleurs résultats dans l’électorat féminin, structurellement plus enclin à accepter les hiérarchies en place. Le FIDESZ ne pourra décemment pas perdurer plus de dix ans au pouvoir en reproduisant une rhétorique de rébellion – au risque de finir par promouvoir, sans s’en rendre compte, une alternative (comme Momentum) susceptible d’incarner mieux que lui cet idéal dépassé dans les faits mais conservé par l’inertie des discours. Très intuitif et bien conseillé, Viktor Orbán semble d’ailleurs en avoir conscience : lors de son discours historique du 15 mars dernier, l’homme fort de Budapest, qui va sur ses soixante ans, s’est pour la première fois adressé à la jeunesse hongroise en adoptant le ton d’un grand-père. Pour échapper à l’éternel retour de la révolution colorée, il ne suffit pas de vieillir : il faut aussi renier explicitement le jeunisme.

 

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