En Marche vers la domination législative

Stéphane Montabert
Suisse naturalisé, Conseiller communal UDC, Renens

Beaucoup de déçus des élections présidentielles française se tournaient vers les législatives pour une revanche - les "troisièmes et quatrièmes tours de la présidentielle", comme certains analystes s'efforçaient de les appeler. Las! Les résultats sont sans appel. La République En Marche et le MoDem de François Bayrou font le plein, laissant présager d'une domination écrasante dans la composition de la future Assemblée Nationale française.

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Projection du nombre de sièges selon les résultats du 1er tour - infographie Le Figaro
(cliquez pour agrandir)

Pourtant, face à ce résultat étonnant, tous les partis en prennent pour leur grade. La recomposition de la classe politique est, elle aussi, en marche. Évoquons le destin de ces partis, par ordre croissant de réussite dimanche soir.

Le PS est mort. Vraiment mort. Plus rien ne le sauvera. La "marque" PS ressurgira peut-être du passé mais n'aura pas grand-chose à voir avec le mouvement historique. L'alliance entre le Parti Socialiste, le Parti Radical de Gauche, les Divers Gauche et les Écologistes réunit 9,51% des suffrages. C'est mieux que la présidentielle mais cela reste un naufrage, dont on ne peut comprendre l'ampleur qu'en se rappelant qu'il détenait la majorité dans l'assemblée sortante. La presse fait la longue liste des "ténors" socialistes éliminés dès le premier tour. Citons parmi eux:

  • Jean-Christophe Cambadélis, Premier secrétaire actuel du PS ;
  • Benoît Hamon, ancien ministre de l'éducation et candidat socialiste à l'élection présidentielle ;
  • Matthias Fekl, ancien ministre de l’Intérieur ;
  • Aurélie Filippetti, ancienne ministre de la Culture ;
  • Patrick Mennucci, figure historique du PS à Marseille, éliminé par Jean-Luc Mélenchon ;
  • Elisabeth Guigou, ancienne Garde des Sceaux.

Débâcle, débandade, déroute, tout le champ lexical y passe. Le PS est en cinquième position, réduit à un strapontin dans la vie politique. Il n'est plus rien. "On est à terre, décapité, éclaté", déplore l'ancien secrétaire d'État à l'Enseignement supérieur Thierry Mandon sur RTL.

La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon atteint 11,02% des suffrages. C'est mieux que le PS - un des principaux objectifs du mouvement d'extrême-gauche est atteint - mais cela reste un très mauvais résultat pour celui qui prétendait il y a quelques semaines encore atteindre le second tour de l'élection présidentielle, et ambitionne surtout d'incarner l'opposition officielle au gouvernement Macron.

Quatrième dimanche soir, la France Insoumise perd plus de 40% de ses suffrages comparé à la présidentielle. Assemblage disparate de nombreux partis et groupuscules (Parti de Gauche, Ensemble!, Communistes, dissidents écologistes, Nouvelle Gauche socialiste, Révolution...) La sauce n'a visiblement pas pris et il n'est pas certain que le trublion Mélenchon parvienne à s'inscrire dans la durée.

Le Front National de Marine Le Pen accuse le coup. La présidentielle fut un échec mais la candidate FN ne parvint pas à en tirer une défaite honorable ; galvaudant sa prestation durant le débat, étalant un programme brouillon et centré sur les aspects économiques (alors que l'électorat FN attend plutôt des mesures face à l'immigration, à l'islamisation galopante des banlieues et au communautarisme) Marine Le Pen mena logiquement le FN à un net reflux sur un scrutin qui ne lui est de toute façon pas favorable. Rétrospectivement, des analystes expliquent qu'avec 13,20% des voix à l'échelle nationale le FN est finalement "retombé à son niveau de 2012" ; difficile d'y voir un quelconque succès. Comme pour Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen affaiblit sérieusement sa position de dirigeante au sein du parti et voit s'éloigner toute chance d'incarner un jour l'opposition officielle.

Celle-ci s'incarne dans le parti arrivé en deuxième position, Les Républicains (alliés avec l'UDI et divers droite) avec 21,56% des voix. Après avoir échoué dans une élection présidentielle "imperdable", les Républicains font un piètre score lors de ce premier tour - à peine mieux que le nombre de suffrages réunis sur le calamiteux François Fillon en mai. Espérant au mieux dans les 130 sièges, l'opposition sera une opposition croupion.

Les déclarations grandiloquentes évoquant une "revanche", voire s'imaginant "imposer une cohabitation" au Président Macron n'en paraissent que plus chimériques. La droite française s'est auto-détruite, à peine capable d'articuler un projet, soutenant un candidat démoli, et appelant à voter Macron avant de s'en déclarer le premier adversaire pour le scrutin suivant quelques semaines plus tard.

En nommant Premier Ministre un cadre des Républicains, Emmanuel Macron fit preuve d'un sens aigu de la politique. La manœuvre (car il ne fait aucun doute que c'était une manœuvre) finit de semer le trouble dans le camp des Républicains, au sein des instances dirigeantes, auprès des militants. Elle fonctionna d'autant mieux qu'elle s'incarnait dans une logique imparable: la droite française lorgne vers le centre depuis si longtemps qu'elle est abîmée dans son attraction. Comment se prétendre plus à droite qu'En Marche! avec un Juppé si difficile à distinguer des socialistes, un Sarkozy dont on se rappelle "l'ouverture" à gauche, un Le Maire passé dans le camp adverse?

Les Républicains ont le plus grand mal à l'admettre, mais les passerelles, les porosités et les connivences sont bien plus nombreuses qu'ils ne veulent bien le dire entre eux et En Marche!. Elles le sont d'autant plus qu'ils n'ont plus de programme, plus d'idéologie, plus de valeurs - uniquement des postures. Laurent Wauquiez et François Baroin appellent au "sursaut" pour éviter une "trop grande force" du parti inféodé à Macron, comme si cet appel se suffisait à lui-même pour donner son suffrage aux Républicains. Voilà ce que les Français auront en guise d'opposition pour les cinq ans à venir...

Le grand vainqueur du jour est bien sûr Emmanuel Macron. La République en Marche et le Modem atteignent 32,32% des voix. C'est mieux que son score du premier tour de la Présidentielle, mais la victoire n'est pas belle.

Les Français savent depuis longtemps que le mode de scrutin de l'élection législative n'est qu'une immense magouille. Le découpage en circonscriptions et les règles de maintien pour le second tour n'avaient qu'un seul but: écarter le Front National en laissant à la place une alternance entre la droite et la gauche traditionnelles. Aujourd'hui, le système se retourne contre ses auteurs. La faible participation et le piètre score des formations historiques laisse un boulevard au mouvement du jeune Président, un boulevard parfaitement artificiel. Comment peut-on rassembler plus de deux tiers des sièges - dans l'hypothèse basse - avec moins d'un tiers des suffrages exprimés? 13,4% du corps électoral tout entier? Magie des découpages électoraux!

Et ce sont les mêmes qui viennent critiquer le mode de scrutin de l'élection présidentielle américaine...

Emmanuel Macron va avoir les coudées franches. Aucune contestation ne viendra de l'Assemblée Nationale. Dans l'hypothèse improbable où une forte minorité contestataire de LREM viendrait à exister, en tant que parti centriste le "noyau" du mouvement pourrait encore s'allier aux électrons libres de gauche ou de droite pour faire ponctuellement passer un projet.

La médaille a bien sûr un revers. Emmanuel Macron sera responsable de tout, ne pourra invoquer aucune excuse, aucune impuissance. L'omnipotence entraîne une culpabilité totale. L'opposition politique étant inexistante, celle-ci s'incarnera probablement ailleurs - et ne sera pas forcément belle à voir.

Pour ma part, j'attends de voir au nom de quelles excuses les journalistes continueront à faire venir sur leurs plateaux des invités socialistes, sachant que ce mouvement politique ne représente désormais plus rien, à tous les niveaux de la vie publique française.

Stéphane Montabert - Sur le Web et sur LesObservateurs.ch, le 13 juin 2017

5 commentaires

  1. Posté par hmj1937 le

    400 députés dont plus de la moitié sont étrangés au monde politique, inévitablement une série d’affaires vont sortir les concernant. Des bataillons de déçus de tout bord vont s’y employer.

  2. Posté par paulette le

    le coq est le symbole de la France, parce il MARCHE dans la boue et aussi parce qu’il RASSEMBLE sa basse-cour dans le besoin.

  3. Posté par SD-Vintage le

    D’accord avec les autres commentaires d’Alain Coligny et r P. : en effet « La scission paraît improbable pour des raisons financières, d’autant que le parti va recevoir beaucoup moins d’argent dans le cadre du financement des partis politiques. » En plus, 20% est un score honorable. En revanche, « Sa majorité est une majorité bout de bois, faite de socialistes et de Républicains qui n’ont jamais pu travailler ensemble ». Si, au Parlement européen à 98% de mémoire. Et puis il s’agit des centristes des deux camps que peu de choses différencie comme noté. Qui plus est, en France c’est le président qui décide de tout : désobéir c’est perdre l’investiture et souvent l’élection, et « Ce n’est pas la vision Macron qui les a attiré, mais l’espoir de garder leur strapontin de député. » : politiciens professionnel. Et puis avec 75% de l’assemblée, peu de risques.
    Désaccord : « Dans 5 ans, rien n’aura évolué. Toutes les réformes que EM voudra faire passer seront battues en brèche par les syndicats et ce qu’il reste des partis traditionnels. Et comme son mentor Flanby, il baissera culotte dès les premières manifestations. » : grosse différence, il aura tous les médias avec lui, et c’est un maître en communication. Et LR ne pourra pas critiquer son propre programme ! Le FN et LFI seront absents de l’assemblée. Et puis c’est la crise. Cela dit, l’extrême gauche et les syndicats prendront la rue, sauf si Macron négocie bien ce qui est possible.
    Grosse erreur d’appréciation de l’article à mon sens : la disparition du PS. Même si LREM est un PS bis, il a ses propres figures : Blum, Jaurès… Le PS contrôle encore la plupart des collectivités locales : régions, départements, mairies, et près de la moitié du Sénat.
    Si Macron échoue, où iront les déçus de gauche ? Au PS. Et puis beaucoup d’électeurs de Mélanchon sont aussi des électeurs habituels du PS. Celui-ci est donc bien vivant surtout si Macron n’est qu’une parenthèse dans la vie politique.
    Quand au FN, difficile à dire. La logique voudrait que Marine Le Pen parte, mais c’est une politicienne professionnelle, c’est « sa » boutique, et la logique et la politique… Philippot restera, c’est sûr. Quelle sera la modernisation du parti ? Nul ne sait. En fait, il y un trou à combler dans la politique française. Wauquiez pourrait-il le combler ? La France retombera-t-elle dans l’alternance par défaut dont elle a l’habitude ?

  4. Posté par Alain Coligny le

    Bonne analyse. Nous assistons en France à un véritable braquage institutionnel qui pose un vrai problème de légitimité.
    Il y a fort à craindre que la popularité de l’actuel occupant de l’Elysée s’effrite assez rapidement et que le pouvoir soit donné à la rue.
    Je suis moins catégorique sur le jugement porté sur Marine Le Pen qu’on enterre un peu facilement. Le prochain congrès du FN devrait être l’occasion d’un changement de nom et le départ de Philippot et ses sbires. Il est exact que le FN n’a pas progressé, mais il continue à avoir une assise électorale. Il pourrait bénéficier d’une radicalisation des éléments les plus à droite des Républicains, si , selon toute éventualité, la majorité des notables de ce parti se rallie à Macron. Comment ces derniers peuvent-ils s’opposer à Macron dont le programme est pratiquement la copie-conforme de celui de Fillon? On ne voit pas leur espace politique. Certes, on parle d’une opération Wauquiez , populaire chez les adhérents, mais elle a peu de chance de réussir compte tenu du poids des notables chez les Républicains. La scission paraît improbable pour des raisons financières, d’autant que le parti va recevoir beaucoup moins d’argent dans le cadre du financement des partis politiques.

  5. Posté par P. le

    Macron a certes la majorité pour lui. Mais quelle majorité ? Sa majorité est une majorité bout de bois, faite de socialistes et de Républicains qui n’ont jamais pu travailler ensemble. Pourquoi cela changerait-il ? Aujourd’hui, l’entente parait cordiale et constructive. Mais attendez de les voir siéger et vous verrez que rien n’a changé. Ce n’est pas la vision Macron qui les a attiré, mais l’espoir de garder leur strapontin de député.

    Dans 5 ans, rien n’aura évolué. Toutes les réformes que EM voudra faire passer seront battues en brèche par les syndicats et ce qu’il reste des partis traditionnels. Et comme son mentor Flanby, il baissera culotte dès les premières manifestations.

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