La Turquie dans la main de fer d’Erdogan

Le grand public allumant sa télévision pour apprendre les derniers développements de l'enquête sur les attentats de Nice eut sans doute une surprise samedi matin en découvrant que l'actualité se concentrait désormais sur une tentative de putsch avorté en Turquie.

Les rebelles communiquèrent dès vendredi soir, sur le site de l’état-major de l'armée pour affirmer que l'armée disposait désormais du pouvoir politique. Les habitants d'Istanbul virent en effet des tanks et des militaires prendre place dans les rues de la ville, notamment près du Parlement, et bloquer plusieurs ponts, alors que des hélicoptères et des avions volaient à basse altitude au-dessus de leurs têtes. Des coups de feu furent échangés alors que les militaires (de quel camp?) intimèrent aux habitants de rentrer chez eux.

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Dès que la nouvelle fut retransmise à l'extérieur de la Turquie - les réseaux sociaux et Twitter se montrèrent bien plus réactifs que les médias traditionnels - le trafic aérien fut interrompu vers 22h15. L'ensemble de la population turque fut quant à lui averti des opérations en cours par la télévision, un présentateur de la chaîne publique TRT lisant, sous la menace d'une escouade de militaires ayant fait irruption dans les locaux, un communiqué annonçant couvre-feu et loi martiale et accusant le gouvernement de "porter atteinte à la démocratie et à la laïcité". Plus tard toute diffusion de la chaîne sera interrompue.

Mais le pouvoir légitime n'hésita pas à répliquer, sévèrement. Le Premier ministre turc Binalo Yildirim prévint sans se démonter qu'un groupe au sein de l'armée effectuait une tentative de coup d'État et qu'il le paierait très cher. Les combats ne tardèrent pas à éclater, auprès du palais présidentiel et d'autres bâtiments publics, impliquant parfois des hélicoptères.

A l'écart de la capitale, Recep Tayyip Erdogan échappa aux rebelles. Dans une interview improvisée à travers l'écran d'un iPhone et l'application de vidéoconférence FaceTime, il se retrouve à l'antenne de la chaîne CNN Türk, pour annoncer à son tour que les sanctions seraient terribles à l'égard des putschistes et pour appeler le peuple turc à se manifester.

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La réussite ou l'échec d'un coup d'état tient à peu de choses...

Ces quelques petites touches suffirent à renverser la situation. Dans une opération de ce genre, il est primordial pour les putschistes de contrôler l'information pour réduire au silence le régime précédent. Cela place la population et les structures de l’État dans une situation de fait accompli, leur intimant que la transition est achevée. Le résultat revient à saper la volonté de combattre d'éventuels loyalistes, un acte de résistance donnant l'impression d'arriver désormais trop tard.

Mais le message du Président Erdogan fut entendu. Les unités rebelles se retrouvèrent engluées dans des manifestations et les réactions d'unités militaires fidèles et de la police. Certains soldats perdirent leur sang-froid et ouvrirent le feu sur la foule, provoquant des dizaines de victimes. La dynamique du putsch fut malgré tout brisée, au prix de 260 morts dont 100 putschistes.

Aujourd'hui, le régime de Recep Tayyip Erdogan est solidement en place et sort renforcé de l'épreuve. Les militaires motivaient leur coup d'État en le présentant comme une réponse à la concentration des pouvoirs d'Erdogan ; Erdogan rétorque aujourd'hui que la tentative de coup d'État justifie la concentration de ses pouvoirs. Le président aux dérives autoritaires et islamistes se retrouve aujourd'hui félicité par les autorités occidentales au nom de la démocratie, la même que les putschistes annonçaient vouloir défendre avec les droits de l'homme et la laïcité...

La victoire du régime ouvre grand les possibilités de purge au sein de l'appareil d'État et Erdogan est bien décidé à s'en servir. Les exactions contre les journalistes et les minorités politiques n'étaient que jeux d'enfants. Moins d'une journée après les faits, le gouvernement turc a arrêté 2'839 soldats et militaires de hauts rangs, mais aussi limogé 2'700 juges et mis 140 membres de la Cour suprême sous mandat d'arrêt. Et l'enquête n'a même pas commencé!

Plus que jamais, la Turquie est dans la main de fer de Recep Tayyip Erdogan. L'armée turque était peut-être le dernier obstacle à ses visions millénaristes ; il a les coudées franches pour la briser, et ensuite, continuer à écraser l'opposition démocratique et laisser libre court à ses pulsions autoritaires. Nul doute qu'entre l’État Islamique, les Kurdes et la situation économique désastreuse du pays, cela ne peut que très mal se terminer.

Stéphane Montabert - Sur le Web et sur Lesobservateurs.ch, le 17 juillet 2016

9 commentaires

  1. Posté par lucie le

    Cette verite est sans concession, ce n’est pas Erdogan qui a organise le coup d’Etat, (lire la suite…). La CIA prepare d’ailleurs une operation militaire d’envergure. Je trouvais en effet etrange aussi que l’UE ne soutienne pas la Turquie… Affaire a suivre !

    http://katehon.com/fr/article/douguine-la-verite-sur-le-coup-detat-en-turquie

  2. Posté par Héradote le

    Midnight Express
    Pour les gardiens de prison en Turquie, ça va être la fête, pas tous les jours qu’on peut se mettre des juges, généraux et journalistes sous la dent…
    On attend les sanctions internationales, comme pour la Russie… Vous avez dit deux poids, deux mesures ?

  3. Posté par Philippe Audergon le

    Extrêmement bien orchestré tout cela de la part de ce potentat islamiste. Les réactions mieleuses de nos chancelleries occidentales sont à vomir… bien entendu, ne rien faire pr facher notre voisin du bosphore reste le mot d’ordre alors que sa dictature se met en place. Lacheté et naïveté deviennent lentement mais surement une position politiquement correcte de nos élites… du « déja vu » malheureusement fin des années 30. A croire qu’on apprend rien de l’histoire.

  4. Posté par Dr-No le

    La purge avait commencé avant la fin même de soi disant « coup » .
    Erodgan avait déjà une liste de victimes avant la fin du « coup ».
    Il va pouvoir ajouter une nouvelle chape de plomb sur la Turquie et enfin lever la dernière barrière (l’armée garante de la laïcité) contre l’islamisation du pays.
    En Libye, en Irak, en Syrie (échec), en Égypte (échec) et ailleurs, c’est d’ailleurs la véritable stratégie d’Obama et de son ami Erdogan: détruire les régimes laïques pour les remplacer par des barbaries islamistes.
    Les « accusations » en cours contre les USA sont pour la galerie, la stratégie d’islamisation du Moyen-Orient et d’invasion de l’Europe suit son cours…

  5. Posté par Anne Lauwaert le

    et si c’était un coup monté par … Erdogan… c’est un coup bien réussi !

  6. Posté par Andrea le

    Erdogan a prouvé qu’il est en mesure de mobiliser des milliers (millions?) de personnes en Europe, en un seul jour.
    Imaginez s’il devait avoir des ambitions conquérantes, ce serait 1453.

  7. Posté par Alain le

    Aucune menace gauchistes contre la manifestation pro Erdogan à Beŕne.
    Par contre l’ASIN a dû déplacer son AG à Interlaken et l’ASVI avec l’UDC
    annuler sa manifestation à la Chaux-de-Fonds .
    La gauche est pro Islam !

  8. Posté par Vautrin le

    Oui, il est très regrettable que les militaires démocrates et laïques aient raté ce coup d’État. Et, oui, le tyran d’Ankara va pouvoir méfaire sans limites, désormais. Le pronunciamiento aurait changé la donne politique en cas de succès, mais son échec la change également. Un régime totalitaire, parce qu’islamique, constitue un abcès dans cette partie du monde, si près, trop près, de chez nous. On ne peut qu’être révolté de l’appui que lui apportent les dhimmis de l’Europe et l’administration d’Obama le crypto-musulman. Mais très logiquement, les millénaristes des « droits de l’homme » appuient, au nom de leur idéologie, une tyrannie islamique aux idées exactement contraires des leurs. Une sorte de Pacte Ribbentrop-Molotov, en somme.

  9. Posté par Noel Cramer le

    Erdogan est un très habile manipulateur. Il utilise les processus démocratiques pour confirmer son pouvoir en se servant du patriotisme et de la culture islamique qui sont fortement présents, en arrière-plan, dans l’esprit de la majorité des Turcs. Cette tentative de coup d’état est pour lui une magnifique occasion pour se débarrasser d’une partie de l’opposition.
    Beaucoup ont oublié que, par le passé, l’armée a rétabli à plusieurs reprises la démocratie Kemaliste lors de dérives des dirigeants politiques.
    Erdogan est le plus habile à ce jour. Il sait utiliser la faille majeure de la démocratie: La suppression de cette dernière – par voie démocratique ! …
    Il faut absolument éviter que l’Europe entre dans son jeu. Mais les signes ne sont pas très favorables en ce moment…

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