R. Koeppel, Die Weltwoche :Drogue UE.Peu probable que les Britanniques sortent de l’UE. La Suisse doit s’occuper d’elle-même.

Éditorial,  2 juin 2016

Drogue UE

Peu probable que les Britanniques sortent de l'UE. La Suisse doit s'occuper d'elle-même.

Roger Köppel

Les journaux sont remplis de commentaires sur les négociations entre Bruxelles et Londres. Le Premier ministre Cameron est rentré avec quelques concessions visant à procurer à son pays une certaine autonomie et une protection contre des abus sociaux sans vergogne. Cameron n'a pas obtenu grand-chose. Pourtant, je suis à peu près sûr qu'en juin prochain les Britanniques ne voteront pas pour une sortie de l'Union européenne.

Les raisons à cela sont moins de nature rationnelle que psychologique. Les Britanniques sont une ancienne puissance mondiale. Ils ont au cours du dernier siècle et demi perdu leur empire et cédé leur suprématie mondiale aux Américains – une douleur fantôme qui ronge, comme l'explique un grand nombre de livres à succès qui traitent avec mélancolie de la perte de considération politique. Les Britanniques se complaisent dans les souvenirs de leurs rois, de leurs succès militaires, de leur grandeur passée. Voilà pourquoi ils resteront, en rechignant certes, mais malgré tout, dans l'UE.

Pour comprendre les nations et les peuples, on doit connaître leur histoire. L'histoire de l'Europe est l'histoire de ses conquêtes manquées. Ceux qui ont le mieux réussi sont les Romains, ensuite, les Germains, les Espagnols, les Français et les Allemands s'y sont tous essayés, à tour de rôle. Leurs hégémonies se sont tôt ou tard soldées par des défaites ou des catastrophes, tandis que les Britanniques ont tiré leur épingle du jeu. Des décombres fumantes des deux dernières guerres mondiales dévastatrices est née l'UE, sorte de groupe d'entraide des perdants, unis à nouveau par le désir de ne plus confronter belliqueusement leurs fantasmes de superpuissances, mais d'en faire pacifiquement l'expérience ensemble.

L'UE a depuis sa création une double nature surprenante. D'une part, elle est une sorte de mécanisme d'engagement mutuel qui cherche à désamorcer l'ancienne dangerosité des États-nations européens dans le collectivisme d'institutions communautaires. À l’instar des abstinents récents, qui, pris de boisson, tuaient jadis leurs femmes, armés d'une défiance irrémédiable envers eux-mêmes, les nations européennes se sont imposé des entraves et des rituels pour échapper aux ivresses du nationalisme et de leur propre fierté. Bruxelles est le cœur de ce centre de désintoxication politique, volontairement dépouillé, si ce n'est stérile, comme s'il fallait éternellement bannir, même de l'architecture, la magie des drapeaux et l'exaltation patriotique d'antan qui ont dégénéré dans les massacres de deux guerres mondiales.

D'autre part, l'UE n'a jamais complètement échappé aux tentations rémanentes de l'idée tenace d'empire, qui hante les esprits de la plupart des politiciens européens depuis le déclin des Romains. Dans les cathédrales aseptiques de l'UE, la chaleur de l'ancienne grandeur, souvent fantasmée, continue de les titiller. Derrière la pseudo-modestie des façades de verre grises et les simulacres démocratiques des réunions sans fin, au cours desquelles des légions de fonctionnaire se penchent sur des communiqués depuis longtemps adoptés, perce le petit secret peu reluisant de l'élite européenne bruxelloise, cette vieille volonté intacte de puissance. L'UE est un fascinant théâtre d'ombres. Pas impuissant ni aussi puissant que s'en persuadent ses acteurs, mais encore assez puissant pour fournir à d'ex-grandes puissances une sorte de drogue de substitution à leurs empires évanescents.

Les Britanniques y sont addicts. Il est peu probable qu'ils abandonnent l'UE, tout aussi peu que les Allemands, les Français, les Espagnols ou les Italiens. L'une des caractéristiques les plus néfastes de cette UE, qui par endroits dégage des miasmes délétères, réside dans le fait qu'elle pousse ses participants à des liens de dépendance presque indissolubles. Les politiques sont accros parce qu'ils peuvent parader sur la scène européenne et exister. L'UE offre des échappatoires bienvenues aux responsabilités concrètes d'une politique nationalement limitée et démocratiquement contrôlable. Les politiques nationaux s'épanouissent littéralement lorsqu'ils peuvent sauver le monde à Bruxelles, tandis qu'ils ne parviennent pas chez eux à faire respecter le droit d'asile, ni à maintenir plus ou moins en équilibre les budgets nationaux.

Tout cela est très périlleux, et le deviendra encore plus du fait qu'entre-temps les États membres de l'UE se sont terriblement liés les uns aux autres, sans que poigne à l'horizon très lointain une procédure démocratique qui permettrait de garantir la capacité d'agir de cette structure hyperimbriquée sujette aux dysfonctionnements. Les dépendances sont devenues ingérables, et personne n'a de plan pour parvenir à guérir les maladies infectieuses de ce colosse à peine manœuvrable. Il serait logique de réduire la voilure, en bon ordre, d'opérer un retrait institutionnel vers des formes plus flexibles de collaboration politique, mais il semble que les politiques et, je suppose, aussi la majorité des électeurs des pays qui donnent le la, n'en soient pas encore capables pour les raisons précédemment expliquées. À moins que les Britanniques sous la coupe de l'habile négociateur Cameron trouvent enfin la force de se séparer de cet assemblage? J'en doute.

En tant que Suisses, nous devons nous faire à l'idée que l'UE restera un voisin dangereux. Loucher anxieusement vers la Grande-Bretagne ne sert absolument à rien. Les Britanniques sont membres, la Suisse, par bonheur, ne l'est pas, même si, aux côtés de la présidente du Conseil national Markwalder, de nombreux autres politiques au Palais fédéral se laisseraient encore si volontiers griser par les rêves de grandeur bruxellois. Le peuple et les cantons l'ont depuis longtemps remarqué. Sur une mer agitée, il n'est pas prudent d'attacher son petit navire à un supertanker qui prend l'eau. L'indépendance continue de s'imposer actuellement.

Roger Koeppel, 2 juin 2016

 

5 commentaires

  1. Posté par benz le

    bien sûr que les britaniques vont sortir de l’U.E mais ça n’est pas ça qu’il faut observer…..ce qu’il faudra observer en cas de brexit qui selon moi est plus que probable c’est le signal qui sera donné et comment il sera interprété par d’autres pays bien plus imbriqués dans la construction européenne comme l’allemagne qui d’après mes info a commencé a imprimer des deutschmark alors attention le 23 vous pourriez avoir une grosse surprise

  2. Posté par marguerite le

    la seule expérience donnée à vivre à travers la création perverse de l’UE est l’expérience de la destruction lente et du mécanisme d’emprise et de contrôle psychologique total. La « démoralisation » des populations, le syndrome de Stockholm et l’incapacité à réagir y ont été programmé depuis le sommet de la pyramide des Etats unis d’Europe.

    nous devrions « agir et attaquer » ce qui reste depuis toujours la meilleure défense et la meilleure prévention en cas de catastrophe en sommes-nous capables alors que nous avons subi la déresponsabilisation, l’infantilisation, et l’abrutissement depuis si longtemps ?

  3. Posté par marguerite le

    mr Sutherland et ses amis ne veulent pas d’une sortie de l’Angleterre et l’on bien fait comprendre ! cela ne satisfait pas à leur plan ils n’ont donc pas de gêne à menacer et exercer toutes les pressions possible sur cette décision.
    ils veulent des nations inexistantes et des populations soumises et rien ne les arrêtera surtout pas des peuples et des gouvernements dépossédés de leur pouvoir d’auto-détermination ! car totalement ligotés et corrompus du dedans à tous les niveaux .

  4. Posté par Pierre H. le

    « Les Britanniques sont une ancienne puissance mondiale. Ils ont au cours du dernier siècle et demi perdu leur empire et cédé leur suprématie mondiale aux Américains… »
    C’est vrai, mais le centre névralgique du monde est toujours la City de Londres et ce sont eux qui ont « fabriqué » la puissance des Etats-Unis.

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