Helmut Schmidt : un très grand Allemand nous quitte

Pascal Décaillet
Pascal Décaillet
Journaliste et entrepreneur indépendant
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Sur le vif - 10.11.15 - 16.37h

 

Hambourg, 25 mars 1999 : à quelques heures du début des bombardements de l’OTAN sur la Serbie, l’ancien chancelier Helmut Schmidt (1974-1982), cinquième de la République fédérale à porter ce titre, 80 ans, nous reçoit, mon confrère Pierre-André Stauffer de l’Hebdo, et moi, dans son bureau, au sommet de la tour de « Die Zeit », dont il est l’éditeur. Vue sur le port. Sa ville natale, splendide. Hanséatique. L’une de mes villes allemandes préférées.

 

Pendant 90 minutes, au milieu d’une incroyable tabagie, alternant les Menthol et les prises de tabac à sniffer (une vielle habitude d’adolescent marin, ici à Hambourg, nous dit-il), cet homme d’exception, successeur de Willy Brandt (dont il a été le ministre) à la Chancellerie, prédécesseur de Kohl, n’ayant rien à envier à ce dernier, nous promène, avec son allemand qui sent la mer du Nord, dans le prodigieux dédale de l’Histoire de son pays au vingtième siècle, celle qu’évoque Günter Grass dans son livre « Mein Jahrhundert ». Mais Grass est peintre, l’un des plus grands, Schmidt est acteur. Ce siècle allemand, il a contribué à le faire.

 

L’homme qui vient de nous quitter, à presque 97 ans, était né à Hambourg le 23 décembre 1918, un mois et douze jours après l’Armistice, un mois et quatorze jours, surtout, après le début de la Révolution allemande, celle du 9 novembre, celle dont parle Döblin dans son roman « November 1918 ». Il grandit dans la ville hanséatique, fait toute la Seconde Guerre mondiale comme officier de DCA, est décoré de la Croix de Fer, prisonnier des Britanniques en 1945, s’inscrit au SPD (le parti social-démocrate) en 1946, entame une prodigieuse carrière politique, d’abord dans le Land de Hambourg, puis au niveau fédéral (Défense, Finances), avant les huit années de pouvoir suprême.

 

Helmut Schmidt était un Européen convaincu. Mais pas une Europe du cœur, comme son successeur le Rhénan Helmut Kohl. Non, juste une Europe de la raison, avait-il tenu à nous préciser en ce jour de mars 1999, pour que le continent atteigne une dimension critique suffisante pour affronter les grands blocs. On connaît son amitié légendaire avec Valéry Giscard d’Estaing, ils furent, au même titre que de Gaulle-Adenauer et Kohl-Mitterrand, l’un des grands couples de la construction européenne. En 2001, je les avais revus, MM Schmidt et Giscard, à la Fondation Jean-Monnet de Lausanne, j’avais pu mesurer la proximité qui les liait.

 

Ce que les gens, aujourd’hui, connaissent peu en Suisse romande, c’est l’immensité de l’intelligence politique de l’homme qui nous quitte aujourd’hui. Dans la droite ligne de Bismarck, il construit le destin allemand sur le long terme, sans états d’âme, jouant des alliances pour le seul intérêt supérieur de la nation qui lui est confiée. Simplement, ses années de Chancellerie, 1974-1982, sont celles où l’Allemagne, redevenue géant économique, n’a pas encore droit à occuper la même taille en politique. Avec les vainqueurs occidentaux de la Seconde Guerre mondiale, Américains principalement, Schmidt, parfait anglophone, s’entend à merveille. Mais il serait faux de ne voir là qu’une obédience atlantiste : l’homme, patiemment, guette l’heure de son pays. Ce sera son successeur, le Rhénan Helmut Kohl, qui l’entendra sonner, le 9 novembre 1989. Et son prédécesseur, l’immense Willy Brandt, qui aura ce jour-là le mot juste : « Jetzt kann zusammenwachsen, was zusammengehört ».

 

Je ne puis en dire beaucoup plus pour l’heure, mon émission spéciale sur la grève de la fonction publique genevoise m’attend. Mais je tenais, à chaud, à rendre un premier hommage à cet homme tellement allemand, avec sa discipline de fer, son incroyable liberté de parole (il en a usé jusqu’au bout), sa culture historique, sa virtuosité de piano (il avait hésité à en faire son métier). Helmut Schmidt, comme Willy Brandt, est un chancelier profondément allemand. Je crois que Kohl, et même Adenauer, sont des chanceliers européens, au sens le plus noble de ce mot. Mais Schmidt était, dans toutes les fibres, un chancelier allemand. Connaissant à fond l’Histoire de son pays, en tout cas depuis Frédéric II, son équation (comme Willy Brandt) avec la question de l’Est, son intégration provisoire au système atlantique, sa nécessité d’un dialogue constant avec la France. Pour le reste, un esprit totalement libre, un provocateur. L’un des très grands Allemands du vingtième siècle, oui, lui qui naît en pleine Révolution allemande, et qui meurt au moment où Mme Merkel ne sait pas comment se sortir, mise sous pression par le Ministre-Président de Bavière, de la question des réfugiés.

 

Le Grand Refuge, Schmidt l’avait connu, à l’âge de 27 ans : alors que, officier de la Wehrmacht, il tombait aux mains des Britanniques, au moins 12 millions d’Allemands des pays de l’Est, fuyant l’Armée Rouge, déboulaient dans une « mère patrie » en ruines. A partir de là, il a fallu reconstruire. Nous perdons aujourd’hui un incomparable constructeur.

 

 

Pascal Décaillet

 

 

5 commentaires

  1. Posté par pierre frankenhauser le

    « sa virtuosité au piano (il avait hésité à en faire son métier) »
    M. Schmidt était visiblement taillé pour les hautes sphères de la politique et a opté pour la bonne carrière. Je connais par contre une pianiste virtuose bernoise qui aurait mieux fait d’en rester au piano. Elle aurait été moins nocive pour notre pays.

  2. Posté par aline le

    Merci beaucoup M. Décaillet pour ce portrait d’un homme politique exceptionnel qui n’avait pas peur des mots. Il a affronté le terrorisme de Rote Brigade et a su prendre les bonnes et courageuses décisions. Actuellement l’Allemagne aurait besoin d’un chancelier de ce format au lieu d’une dame qui a totalement perdu les pédales.

  3. Posté par Navigateur le

    L’Europe existe bien , mais c’est l’UE, l’Union Européenne qui est un leurre, bateau ivre livré au double appétit de l’empire d’Outre -Atlantique et celui l’Islam, même malades , leur nuisance perdure pour défaire le véritable sentiment d’unité des peuples souverain de la vieille Europe, aussi souverains que pouvaient l’être les cités -état de la Grèce.L’Europe est une réalité , l’UE une coquille vide de valeurs , peu démocratique (comme la Suisse qui vote et décide de son destin régulièrement) et un cheval de Troie d’appétits qui lui sont extérieurs.
    Helmut Schmitt est un homme honorable , mais qui s’est fourvoyé comme les autres dans cette confusion.

  4. Posté par MF le

    Je crois que beaucoup se leurrent, que l’europe est un rêve irréaliste que même les Francs n’ont pas réussit à construire et il faut imaginer un meilleur remêde aux contradictions d’aujourd’hui. L’Europe d’aujourd’hui est celle des traites qui l’ont livré aux américains : Il faut guérir de cette erreur quel qu’en soit le prix!

  5. Posté par John Simpson le

    En quoi ce monsieur qui a mené une politique immigrationniste des années 60 aux années 80 (forte immigration de travailleurs turcs) est-il un grand homme?

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