Sommet anti-jihadiste de Paris : la journée des dupes ! L’envers des cartes.

Richard Labévière
Journaliste, Rédacteur en chef  du magazine en ligne : prochetmoyen-orient.ch

 

Quel bilan militaire tirer des opérations de la Coalition internationale engagées contre l’organisation « Etat islamique » depuis août 2014 ? Quelle stratégie adopter pour endiguer les nouveaux gains territoriaux et idéologiques de l’organisation terroriste ? Mardi 2 juin 2015, s’est tenue à Paris un sommet anti-jihadiste (24 ministres et organisations internationales) qui, en principe, auraient dû fournir quelques éléments de réponse à ces deux simples questions. Rappelons que les jihadistes contrôlent, aujourd’hui un tiers de l’Irak et la moitié de la Syrie, soit environ 300 000 kilomètres carrés.

« Face à Dae’ch, la détermination est totale ! » C’est par cette déclaration - qui n’est pas sans rappeler celles de George W. Bush lorsqu’il menait la guerre globale contre la terreur[1] -, que le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius a ouvert les travaux. La veille, quelques journalistes - soigneusement triés sur le volet - avaient été convoqués au Quai d’Orsay pour se voir communiquer - off - les « éléments de langage » appropriés : « la lutte contre Dae’ch va prendre du temps, mais nous gagnerons ; pour abattre Dae’ch, il faut d’abord tuer Bachar al-Assad parce que c’est lui qui a créé l’Etat islamique de toutes pièces ; enfin, la stratégie anti-jihadiste adoptée durant l’été 2014 est la bonne, parce que c’est la seule possible ! » A voir ! C’est justement en termes de bilan opérationnel que cette étrange réunion laisse un arrière goût pour le moins amer…

 

En effet, comment se fait-il que les « frappes » - appellation mondialement contrôlée pour désigner des opérations de bombardements aériens (4000 depuis 10 mois) -, menées par la Coalition forte d’une soixantaine de pays comportant les chasses les plus puissantes du monde (Etats-Unis, Grande Bretagne, France, Arabie saoudite, etc.) n’aient pas endigué la progression de Dae’ch. La réponse est enfantine : celles-ci n’ont visé que des « cibles fixes, non stratégiques » dont la liste a été vite épuisée, tandis que les mouvements de véhicules et de troupes jihadistes auraient nécessité l’engagement d’hélicoptères de combat, mieux adaptés à la fluidité d’une tactique de guérilla asymétrique. Quand bien même ces moyens eussent été déployés, ils auraient dû être relayés - au sol - par des forces spéciales mobiles en coordination avec des unités conventionnelles de profondeur. Des experts du Pentagone estimaient récemment qu’un tel dispositif terrestre - « nécessaire pour emporter la décision » -, correspondait à un format d’une dizaine de milliers d’hommes…

 

Evidemment, ces questions bassement matérielles n’intéressent pas Laurent Fabius qui ne s’occupe que de la grande, la toute grande diplomatie en sommant le nouveau premier ministre irakien Haïdar al-Habadi de procéder aux réformes institutionnelles visant à inclure les Sunnites dans le jeu… La « politique sunnite de la France » - on ne parle plus de « politique arabe » comme il était d’usage sous De Gaulle, Giscard et Mitterrand - consiste désormais à faire barrage à « l’expansion chi’ite »… à savoir le péril iranien ! A quand une politique papou ou celte ?

 

Et cette « politique sunnite » prend des tournures assez curieuses. Voyons plutôt ! Deux des quatre « groupes de travail » du sommet de Paris méritent attention. Le premier atelier, consacré à l’exil vers la Syrie et l’Irak d’apprentis jihadistes européens, était présidé par… le représentant de la Turquie ! Soit le pays par lequel transitent justement la majorité de ces jeunes gens paumés, se destinant à devenir la chair à canon de Dae’ch, de Nosra ou d’autres factions terroristes. Catégorie « pompiers-pyromanes », on ne pouvait pas mieux faire ! Quant au deuxième atelier - censé travailler sur les ressources financières de Dae’ch -, c’est encore plus rigolo, pour ne pas dire désespérant : il avait pour maître d’œuvre un ministre saoudien ! Autant mettre un diabétique dans une pâtisserie…

 

Mais la cerise sur le gâteau fût déposée très en amont… En effet, pas question d’inviter l’Iran, pays frontalier pourtant engagé de manière décisive et terrestre contre les jihadistes mettant à feu et à sang la Syrie et l’Irak voisins. Laurent Fabius en avait décidé ainsi parce que l’accord sur le nucléaire iranien - qui devrait normalement aboutir d’ici la fin juin -, n’est pas encore plié d’autant que le même ministre à promis à ses amis Saoudiens et Israéliens qu’il mettrait tout en œuvre pour le faire capoter…

 

A l’issue de ce mini-sommet parisien - qui restera dans l’histoire comme une nouvelle journée de dupes[2] -, de fins observateurs, autant de mauvaises langues, ont laissé entendre que les conclusions avaient été préparées de concert entre Paris et Riyad, diplomatie sunnite oblige ! La finalité réelle de cette belle journée aurait surtout visé à garantir la poursuite de livraisons de matériels militaires français aux différents pays du Golfe : une enveloppe de 34 milliards d’euros lourds qui agite passablement le CAC-40.  Evidemment, vue sous cet angle, la détermination peut et doit rester « totale ». Pour les Chrétiens de Syrie et d’Irak, comme pour toutes les autres minorités de la région en sursis, c’est beaucoup moins drôle, même si le même Laurent Fabius ne ménage pas sa peine pour pousser régulièrement quelque projet de résolution improbable au Conseil de sécurité des Nations unies afin de « protéger » ces mêmes minorités… Comprenne qui pourra !

 

La communication politique a ses raisons, les parts de marchés ont les leurs, mais ces objectifs à courte vue font-ils, à défaut d’une « politique sunnite », une grande diplomatie, sûre de son passé, de ses valeurs et d’un peu d’honneur ? Rien n’est moins sûr…     

 

Richard Labévière, 8 juin 2015     .

 

[1] Dont chacun connaît les brillants résultats…

[2] La journée des Dupes désigne les événements des dimanche 10 et lundi 11 novembre 1630 au cours desquels le jeune roi de France Louis XIII, âgé de 29 ans, réitère contre toute attente sa confiance à son ministre Richelieu, élimine ses adversaires politiques et contraint la reine-mère Marie de Médicis à l'exil.

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