La foi, c’est quoi ?

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste

La foi, c'est Tintin au Tibet, bande dessinée d'Hergé, qui en dit plus sur ce sujet que la plupart des livres de philosophie. Tintin prend son petit déjeuner dans un hôtel en compagnie du si sympathique capitaine Haddock, figure de l'incorrection politique, puisqu'il est alcoolique, comme le commandant Rovère dans la belle série télévisée Boulevard du Palais. Tintin apprend qu'un accident d'avion a eu lieu dans l'Himalaya. Pas de survivant, disent les journaux. Peu après, Tintin pousse un grand cri,  "Tchang !" Son ami chinois était dans l'avion. Tout le monde lui explique qu'il n'y a aucune chance de le retrouver vivant, mais Tintin n'en croit rien. Haddock sent que Tintin va partir à sa recherche et tout de suite déclare qu'il faut être raisonnable et que lui, Haddock, ne l'accompagnera pas dans ses recherches. Tintin dit "très bien, donc je partirai seul". Une fois en route,  il est rejoint par Haddock qui, s'il n'a pas la foi de  Tintin, place toutefois l'amitié au-dessus du raisonnable.

 

Contre les journaux qui ont annoncé la mort de Tchang, contre tous ceux qui lui disent qu'il n'y a aucune chance de retrouver Tchang vivant, Tintin persévère. Ce n'est pas sur la base d'informations qu'il avance mais selon une petite voix qui lui dit que la voix du monde, elle, n'est pas fiable. C'est ça la foi! Avancer ici-bas, sans prêter trop d'attention à ce qu'ON nous dit. Le philosophe Martin Heidegger, pour une fois, a écrit une belle page sur la dictature du "ON" qui s'exerce aujourd'hui avec une puissance inégalée par la presse et les médias. Avoir la foi, c'est d'abord résister à cette dictature du ON qui nous contraint à être raisonnable ou correct.

 

En fait on ne peut pas AVOIR la foi, tout simplement parce que la foi n'est pas une chose que l'on peut avoir, comme une maison ou une voiture. C'est même l'inverse. Tintin va de l'avant pour retrouver Tchang vivant au risque de sa vie. S'il "avait" la foi, il l'utiliserait pour se guider avec sécurité. Même si Hergé n'insiste pas la-dessus, nous lecteurs, sentons que Tintin n'est pas absolument sûr d'avoir raison. La petite voix en lui n'est pas l'équivalent d'un plan de vol qui dit au pilote avec précision quelle route il doit prendre. Bref, avoir la foi, c'est prendre un risque. Certains de nos contemporains disent parfois envier ceux qui "ont la foi", manifestant ainsi leur incompréhension de ce qu'elle est et la confondant avec un plan de vol.

 

Le "non" que la foi adresse au monde ressemble à la révolte contre le père. Freud a bien senti qu'un adolescent qui ne connaît pas cette révolte ne peut pas entrer dans l'âge mûr. Une personne n'était pleinement humaine, pour lui, que si elle refusait d'abord de fonctionner dans l'univers proposé par le père et, plus généralement les adultes. Le Christ disait à peu près la même chose lorsqu'il affirmait qu'il faut haïr père et mère pour pouvoir le suivre. Nous ne pouvons entrer dans notre humanité qu'au prix d'un arrachement qui nous fait exister indépendamment des autres, de notre environnement naturel et culturel, de tout ce qu'on nous dit ou impose. C'est ainsi qu'on devient une personne humaine, c'est-à-dire unique ou, en tout cas,  un être qui n'est pas une bielle ou un piston dans la machine du monde.

 

Cette indépendance qui naît dans la révolte peut conduire au fanatisme, comme cela s'est souvent produit dans le judaïsme et le christianisme hier, dans l'islam aujourd'hui. La distance prise envers le monde se nourrit alors de haine, haine du père, des autres, haine de soi. Cette foi-là est une foi qui s'est égarée.  Comment une foi naissante peut-elle progressivement conduire à l'amour des autres et de soi ?  Cette question obsédait Camus. Il voyait bien toute la dignité d'une révolte, mais voyait aussi combien cette révolte peut engendrer toutes les horreurs d'un terrorisme dirigé contre les autres, puis contre soi, comme cela s'est produit pour le parti bolchevique dans les grandes purges staliniennes de 1937-38. La révolte de 1917 n'a pas conduit à l'amour, mais à des exterminations. Dans les termes de Camus,  cette révolte est devenue une révolution, c'est-à-dire une immense machine broyeuse d'hommes. Nonobstant, aujourd'hui,  le mot de révolution est plus populaire que jamais.

 

Mais chez Tintin, rien de tout cela. Il ne dit pas non au monde par haine du monde. Lui, il veut simplement retrouver Tchang. Il n'a pas besoin de haïr pour exprimer son désaccord. Contrairement aux terroristes, il n'a pas besoin de détruire le monde pour aller jusqu'au Tibet et retrouver son ami. Hervé ne nous parle pas de cette longue odyssée qui conduit de la révolte à l'amour (au lieu du  terrorisme). Il décrit une foi presque pure, celle qui conduit Tintin à se mettre en route pour retrouver vivant celui qu'on croyait mort.

Jan Marejko, 3 avril 2015

11 commentaires

  1. Posté par Jac Etter le

    Merci M. Marejko pour nous ouvrir encore une fois une fenêtre sur le cœur, sur l’espoir. La foi n’est-elle pas le contraire de la croyance, n’est-elle pas un rapport au temps ? Tintin écoute sa voix intérieure qui le pousse à se questionner, à remettre en question une vérité qui est présentée comme établie, donc arrêtée dans le temps. Elle est déjà croyance. Il ne l’accepte pas en tant que telle et la replace dans le présent en la confrontant à son souffle intérieur : et son cœur lui parle, la vérité lui apparaît, son ami est vivant. La foi n’est-elle pas justement le contraire des croyances et des dogmes ? N’est-elle pas liée à cette faculté de questionner le présent ? Peut-être est-ce inexact, mais je crois que la foi vivante est le chemin du questionnement qui lorsqu’il rencontre sa réponse dans la vérité devient alors connaissance. Tintin trouvant son ami Tchang a transmuté sa foi en connaissance d’un état vrai, réel. Tous ces fous prétendent « avoir la foi » en l’habillant de croyances issues du passé. Est-ce prétentieux, mais je crois que leur foi ne pourra jamais un jour rencontrer une réponse, il n’y a aucun questionnement. Leur foi est un avorton qui ne sera jamais connaissance, il n’y a aucun espoir. En fait ils sont déjà morts.

  2. Posté par Jan Marejko le

    Renaud et Christophe, vous avez raison: une foi sans contenu peut facilement partir dans tous les sens. Mais il me semble qu’on peut aussi avoir du contenu sans foi, c’est-à-dire une récitation mécanique. Ce n’est guère mieux.

  3. Posté par Renaud le

    Avec votre gentillesse coutumière Jan, vous n’avez pas remarqué qu’un des commentateurs vous contredit pratiquement. La foi sans la croyance n’est pas tout à fait la même chose qu’une foi libre des croyances ou dogames. Libre des croyances mais les respectant et les approfondissant. La foi sans la croyance c’est un peu la religion de Peillon qui détruit tous les déterminismes par un coupable naïveté. La foi sans la croyance c’est se prendre pour un ange et on connait le résultat.

  4. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    C’est drôle! Un commentateur signale une « prédication » originale! Ca m’avait mis une petite puce à l’oreille qui n’avait fait que me chatouiller. Mais, comme elle se fait insistante, je relis la courte ligne et découvre le nom de son auteur! Vincent Schmid! Le pasteur? Dont il me plairait de lire de substantiels commentaires.

  5. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Tuer le père selon Oedipe et Freud, ou quitter selon Abraham… Comme toujours je médite mes propos. Et survient une étincelle de mémoire, encore Abram, devenu Abraham. Abraham confronté à l’épreuve! L’ultime épreuve! Celle que nul ne peut fabriquer. Renonçant au fils! Prêt à le sacrifier sans une once de mise en scène. Oedipe renversé, le mythe revisité. Le fils libéré, en vérité, de l’investissement paternel! Voyez-vous, entrevoyez-vous ce que ceci signifie?
    Et l’autre, la prostituée qui préfère renoncer au fils sien au profit de l’autre femme afin qu’il vive.
    Et encore le père de Gédéon. Dont les notables attendaient une sévère sanction de sa part envers son fils, qui avait profané les poteaux sacrés. Et qui, au lieu de ce faire, répondit que les dieux prendraient soin eux-mêmes d’appliquer le châtiment. C’est un psychiatre zurichois, Von Orelli que je n’oublierai jamais, qui a mis l’accent sur ce désinvestissement narcissique du père sur le fils. Il y a presque trente ans.
    Une psychanalyste française, Marie Balmary, à évoqué brillamment le « sacrifice d’Itzrak » dans « LE SACRIFICE INTERDIT, Freud et la Bible ».

  6. Posté par vincent schmid le

    Merci pour cette prédication originale et bienvenue!

  7. Posté par Christode le

    « L’élan de la foi peut retomber dans la récitation de dogmes qui cassent cet élan. » Oui, sans doute faut-il bien se garder d’une simple récitation de dogmes. Mais l’Ecriture sainte, et tout particulièrement par la plume de quelques apôtres, nous présente une foi qui a bel et bien un contenu. Après la résurrection du Christ, ses disciples sont d’abord restés très craintifs et sceptiques, presque incrédules! Il leur a fallu voir le tombeau vide, puis Jésus vivant, le toucher. Et c’est seulement quand la certitude inébranlable de la résurrection s’est comme imposée à eux, que les paroles du Christ ont trouvé toute leur substance dans leur esprit. Leur foi s’est alors entièrement reposée sur ses paroles, puisqu’ils s’en sont fait les serviteurs au prix de leur vie. Je crains que la foi sans contenu parte dans tous les sens et qu’elle se résume finalement à la foi en soi-même, ce qui ne mène pas très loin.

  8. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    « En fait on ne peut pas AVOIR la foi… »
    A-D Grad, dans Moïse l’hébreu » déclare que l’hébreu est la langue de la science de l’être! Un exemple? en hébreu on a rien! Pas de verbe avoir en hébreu! C’est pourquoi souvent je parle des enfants dont je suis père. Donc « si vous aviez la foi comme un grain de sénevé (Luc 17:6) » ne tient pas la route.
    « Le « non » que la foi adresse au monde ressemble à la révolte contre le père. Freud a bien senti qu’un adolescent qui ne connaît pas cette révolte ne peut pas entrer dans l’âge mûr. »
    Voici une affirmation qui pose problème! Car Oedipe ignore qu’il tue son père! C’est tout différent dans le cas d’Abram. Qui reçoit cette invitation-injonction de quitter. Quitter son pays (sa terre – aretz!), la maison de son père et ce que je traduit par « le lieu de tes engendrements » Genèse 12:1. Pour aller où? Vers le pays que je te ferai voir! et le père de la foi y va! Mais ce n’est pas tout!
    Car il y a une conséquence: « je te ferai devenir une grande nation… ». Et nation, en hébreu, n’est rien de moins que: goï!
    Allons! Je poursuis un peu, au verset trois: « et par toi seront heureuses toutes les races de la terre, la adamah! Voyez-vous l’étrange couple formé par « aretz » et « adamah »? Mais cet une autre histoire…

  9. Posté par Luiz le

    Merci pour votre si pertinente petite chronique.

  10. Posté par Jan Marejko le

    Vous touchez juste Patrick. L’élan de la foi peut retomber dans la récitation de dogmes qui cassent cet élan.

  11. Posté par Patrick Stocco le

    La foi sans la croyance, en somme, ça me plaît 😉

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