Lire avant de dénoncer, d’excommunier, de condamner à la mort civile, c’est précisément ce dont les Plenel de la terre s’estiment par nature dispensés.
Tiens tiens tiens… Le parti remplaciste deviendrait-il nerveux ? Mes quatre mille signes de cette semaine, je voulais les intituler Pegida mon amour, et en profiter pour appeler aux manifestations du 17 janvier à Saint-Martial-le-Vieux, contre l’usine à veaux hallaux, et du 18 à Paris, contre le changement de peuple et de civilisation. Mais voilà qu’une des figures de proue du remplacisme médiacratique, Edwy Plenel en personne, se remet à me tirer dans les pattes, comme au bon vieux temps – il faut bien que je danse un peu sur sa musique.
Le commissaire Plenel me fait bien de l’honneur, il me place, ou plutôt mon affaire, l’affaire Camus, « aux sources de la régression française » (sic), celle où s’illustrent à des titres divers Finkielkraut, Zemmour, Benoist et maintenant Houellebecq :
La scène inaugurale de cette radicalisation s’est jouée il y a quinze ans, avec la parution de La Campagne de France (Fayard, 2000), réquisitoire contre “l’idéologie dominante antiraciste”. Ce qui fit alors scandale, c’est que Renaud Camus, n’ayant pas encore adopté la précaution de mettre en sourdine son antisémitisme pour mieux libérer sa haine des arabes et des musulmans, y exprimait son obsession de la présence juive, notamment dans les médias. Cette polémique parisienne, où Le Monde dont je dirigeais alors la rédaction joua son rôle d’alerte, fut la scène inaugurale…
Le rôle d’alerte est une litote exquise. Mais surtout, ainsi qu’il était manifeste lors d’un débat sur le sujet avec Alain Finkielkraut à Sciences Po, en 2002, Plenel ne sait pas du tout de quoi il parle. C’est ainsi qu’il a dépouillé de tout son prestige l’ex-journal de référence, réduit sous sa férule à un rôle d’alerte, comme il dit, comprendre : de dénonciation et de police. Il est l’emblème de ce retournement spectaculaire qui a fait des journalistes, principaux bénéficiaires de la liberté d’expression inventée pour eux, ses principaux contrôleurs, censeurs, dénonciateurs, argousins et juges. L’instrument de ce retournement, c’est la scie selon laquelle telle ou telle opinion n’est pas une opinion, mais un délit. Or, toute opinion, avant d’être éventuellement un délit, est bel et bien une opinion.
La Campagne de France est un journal intime, qui parle de dix mille choses petites et grandes, et peut difficilement, donc, être un réquisitoire contre quoi que ce soit. Quant à mon antisémitisme supposé, auquel j’aurais mis la sourdine, encore eût-il fallu qu’il existât. Les gens vous accusent de ceci ou de cela, puis, une fois avéré que l’accusation était sans fondement, ils vous accusent d’avoir tourné votre veste, ou de mettre la sourdine à vos fameuses opinions qui sont des délits.
On n’est pas antisémite une après-midi dans sa vie, ou même une saison et puis plus rien, et rien avant. J’ai estimé dans La Campagne de France qu’une émission de France Culture (et non pas France Culture soi-même, comme le répètent idiotement des générations de journalistes plénélisés à mort dans leurs écoles… ) prenait un tour abusivement communautaire, alors qu’elle était censée être généraliste (le « Panorama »). Ce qui rendait indispensable à mes yeux que ce fût dit, c’est (on l’a bien vu) qu’on ne pouvait pas le dire : c’est la mission des écrivains de se porter par excellence à l’indicible d’une époque et d’une société. Et ce qui me permettait à moi de le dire, pensais-je, c’est que j’étais radicalement insoupçonnable d’antisémitisme. Mais cela, c’est à condition qu’on me lise, et pas seulement le jour où…
Or, lire avant de dénoncer, d’excommunier, de condamner à la mort civile, c’est précisément ce dont les Plenel de la terre s’estiment par nature dispensés. Ils croient que n’avoir pas lu ne se voit pas, ne s’entend pas. C’est ce qui permet à notre Fouquier-Staline d’écrire à présent que j’appelle à « l’expulsion des éléments supposés étrangers à raison de leur origine, de leur croyance, de leur apparence » – ce qui est, bien entendu, parfaitement faux.
Auteur et source : Renaud Camus, BdVotaire 7 janvier 2015
Plénel : sous Miterrand, la fameuse cellule antiterroriste de l’Élysée (Cdt Prouteau, Cne Barril) le désignait sous le nom de code “Benêt”. C’était trop lui faire d’honneur, à ce gangster de la bien-pensance, branché sur le tout-à-l’ego.