L’école ne serait-elle pas tout à fait morte ?

Jean Romain
Jean Romain
Ecrivain, philosophe, député PLR GC Genève

 

Nous sommes sans doute à un nouveau tournant pour l’école. Je ne suis pas certain que l’analyse de Jean-Michel Bugnion soit correcte parce qu’elle fonde sa conclusion sur le fait d’une réaction conservatrice au monde anonyme que nous vivons. Le repli, le petit, la région seraient des réactions à la peur du trop grand. Donc, en ce qui concerne l’école, tout irait bien s’il ne fallait compter avec les conservateurs.

 

Depuis une trentaine d’années est apparue chez nous une nouvelle manière de concevoir l’école qu’on appelle “ la pédagogie par objectifs ”. Cette conception gestionnaire de l’école s’est immédiatement donnée comme une alternative à ce qu’on a jugé avec mépris comme l’école de “ la culture pour la culture ”.  Cette nouvelle manière de faire repose sur des méthodes efficaces qui doivent tout à une conception purement gestionnaire des choses, et à une psychologique positiviste, qu’on appelle la psychologie du comportement, le béhaviorisme.

 

La conception traditionnelle du savoir désintéressé entendait mettre l’accent sur le contenu des disciplines enseignées à l’école. Il s’agissait de former tout l’homme, y compris son esprit, sa conscience dans laquelle on ne pouvait pas pénétrer et pour laquelle aucun jugement noté n’était pertinent. Le nouvel apprentissage a été présenté comme un processus qui vise un “ objectif ” indépendant du contenu de ce qui est à apprendre. Il faut que l’élève sache parvenir à ce qu’on a prédéfini de manière objective, et les moyens (les contenus) pour y parvenir importent moins que le fait d’y être parvenu. Chacun est donc invité à être l’acteur de son propre changement. On veut former un “ nouvel ” homme nouveau.

 

Si cette façon de faire par objectifs est assez performante pour l’économie où il n’est plus question que de gestion, d’audit, de projets et de stratégie, l’est-elle appliquée à l’école ?

 

Partout, on parle de comportement de l’élève lorsqu’on veut parler de sa conduite. Le mot “ comportement ”, dans son sens technique, est un des moins innocents qui soient parce qu’il est emprunté à l’idéologie béhavioriste, pour laquelle seul compte ce qui est observable. Mis en honneur par Watson (penseur du béhavioriste) qui préconise de s’en tenir au célèbre rapport stimulus-réponse, il organise la pensée des pédagogistes et devient une sorte d’obsession à lier les objectifs pédagogiques avec des comportements observables et vérifiables. Éduquer, c’est produire des comportements, et toute allusion à la vie de l’esprit, à la liberté individuelle, à la conscience de soi est évacuée, dénoncée comme pensée subjective et donc, pour les pédagogistes, arbitraire.

 

On entend engendrer chez l’élève une réponse objective en fonction d’un stimulus, et pouvoir vérifier si cette réponse est ou non adéquate. Dans le fond, il n’y a aucune différence de nature entre apprendre le latin à Pierre et apprendre à un rat à s’orienter dans un labyrinthe. En termes d’objectifs, le rat doit s’en sortir, tout comme Pierre dans sa version : peu importe ce qui se passe dans son esprit, c’est la “ boite noire ” pour laquelle il n’existe aucune clé. Cela tient donc d’avantage à l’apprentissage (d’ailleurs on ne dit plus l’élève mais l’apprenant) qu’à l’instruction publique.

 

Tous les cantons romands ont organisé pour leurs maîtres des stages de formation à la pédagogie “ par objectifs ” où on leur répète jusqu’à la nausée qu’enseigner c’est apprendre à produire des objectifs !

Mais il importe de distinguer l’imposture de cette pédagogie “ par objectifs ” comportementaux (on dit savoir-faire, savoir-être, ou compétence), de ce que sont les vrais “ buts ” de l’enseignement. Seuls les contenus (les savoirs) sont porteurs d’universalité, et seuls ils permettent à un élève de devenir lui-même. Mais cette élévation n’est pas objectivement vérifiable, ni point par point évaluable.

 

En effet, comment vérifier un savoir-être ? Il faut codifier le comportement ! Le prix en est l’uniformisation des conduites, la baisse du niveau dans les matières enseignées, la mort de l’esprit critique. C’est ce à quoi conduit la pédagogie par objectifs, et le prix de cette imposture est un enseignement mis en miettes.

Aujourd’hui l’école commence à rectifier le tir. Le mammouth remue donc encore un peu.

Jean Romain, 1.12.14

Source : le blog de A. Duval

 

Un commentaire

  1. Posté par Anne Lauwaert le

    Au nom de l’égalité on a supprimé la compétition entre les élèves. Or la compétition est non seulement une loi de la nature mais surtout le mode de fonctionnement du monde réel: on n’engage que les meilleurs… dans le sport la première place se dispute au millième de seconde, les médailles ne sont pas toutes égales mais l’or, l’argent, le bronze et les suivants comptent pour des prunes… Mais, si les enfants et adolescents sont privés de la compétition pacifique dans leur école ils vont chercher les combats sur d’autres champs de batailles bien plus dangereux… Il faut rendre aux enfants les distributions des prix et la reconnaissance/récompense de leurs efforts!

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