De l’indoctrination politique à l’école

Avec un sens du buzz dont ils sont coutumiers, les Jeunes UDC ont lancé en grande pompe un site en ligne visant à dénoncer les professeurs utilisant leurs cours comme une tribune politique, l'objectif affiché étant de mettre un terme à "l'indoctrination".

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Cris et glapissements dans l'assistance! Il n'en fallait pas davantage pour que les journalistes du Matin - traitant eux-même l'actualité avec une indépendance idéologique à toute épreuve - ne partent en guerre contre le site, d'abord en relatant son existence comme un acte d'accusation, puis en lançant un "débat" orienté aux conclusions choisies en assaisonnant le tout d'un éditorial assassin.

Raphaël Pomey, auteur du premier article indigné, se lance ainsi dans une diatribe échevelée, s'étranglant que les Jeunes UDC présentent le réchauffement climatique comme un mythe et décrivant comme "digne des pires régimes autoritaires" (!) le fait d'envoyer une lettre de protestation aux individus ainsi accusés... L'hyperbole est en solde.

Pour relever le niveau de la presse romande on notera le traitement nettement plus factuel de l'information par le quotidien 20 Minutes, livrant d'ailleurs autant d'exemples édifiants par le biais des commentaires des lecteurs. Il faut dire que le public du journal gratuit, souvent adolescent, est certainement plus souvent au contact de la problématique soulevée.

L'UDC n'a rien contre les professeurs ne serait-ce que parce que certains de ses plus célèbres représentants, comme le Conseiller d'Etat Oskar Freysinger, sont issus de ce milieu. D'ailleurs, loin de réduction délibérément choisie par une certaine presse, les Jeunes UDC se défendent eux-mêmes de vouloir "traquer les profs gauchistes":

Il incombe [aux professeurs d'école] de dispenser des cours aussi neutres que possibles, se concentrant sur la transmission du savoir et la formation d’un esprit critique chez les jeunes.

Le projet des Jeunes UDC ne remet pas ces valeurs en cause! Les cours de citoyenneté doivent perdurer, les débats politiques en classe également, et les professeurs ne doivent pas avoir peur à tout instant d’être "dénoncé". Ce n’est pas ce que propose la plateforme "écoles libres".

Cette plateforme s’attaque aux abus manifestes. Les cas relevés concernent des situation inacceptables, telles que des cours d’histoire de la Seconde Guerre Mondiale où l’UDC aurait été assimilée au parti nazi, des manques de bonne foi évidents visant à convaincre des élèves de la véracité d’une idée politique ou encore la présence d’un portait de Lénine en salle de classes. Il s’agit là d’exemples réels qui ne doivent pas continuer: les faire connaître est un moyen certain de les faire cesser.

L'immense majorité des professeurs fait son travail correctement, avec dévouement et en gardant ses opinions politiques pour elle, qu'elles soient de gauche ou de droite. C'est exactement ce qu'on lui demande. Mais cette majorité n'est pas l'unanimité.

J'ai fait ma scolarité en France. Le pire y a côtoyé le meilleur, du brillant professeur de mathématiques "ancienne école" distillant ses cours en blouse blanche à l'enseignante d'histoire-géographie au maoïsme affiché, faisant circuler en classe des photos de propagande chinoise sur le bonheur des travailleurs aux champs sous un régime communiste. Ce ne sont que deux exemples parmi bien d'autres, certains à peine croyables.

Tout cela est bel et bien arrivé, mais il y a fort longtemps et dans un autre pays.

Cependant, je ne peux pas me résoudre à croire que la nature humaine change du tout au tout simplement en traversant une frontière. Pourquoi aurais-je enduré en France tant de classes tenues par des enseignants faillibles alors que l'école suisse serait miraculeusement protégée de ces dérives? Les professeurs helvétiques prêtent-ils serment? Appartiennent-ils à une espèce supérieure, ontologiquement capable de garder ses opinions politiques au vestiaire? Sont-ils au moins surveillés sur cet aspect de leurs cours?

Il est évident que non. Choix des thèmes de dissertation, des œuvres littéraires à étudier, traitement de l'histoire ou de l'actualité... Les possibilités d'une dérive idéologique de l'enseignant sur ses élèves sont légions. Elles sont encore renforcées par l'ascendant qu’exerce un adulte en situation de domination. Il paraît immanquable que ces dérives surviennent, bien qu'elles restent la plupart du temps dans le domaine du tolérable. Mais ce n'est pas toujours le cas et les conséquences peuvent être parfois dramatiques - par exemple, lorsqu'elles affectent directement les notes et donc les perspectives d'avenir d'un élève.

Freie-schulen.ch est une expérience intéressante. Le site constitue une menace vis-à-vis de tous ceux qui confondent pupitre et tribune de part son existence même. Il fait donc œuvre de salut en forçant peut-être certains enseignants à prendre du recul, même si aucune dénonciation n'y est jamais enregistrée.

Les journalistes n'en ont cure: ils se contentent pour la plupart de dénoncer la "chasse aux profs gauchistes". Il n'est pas anodin que la résistance s'organise autour de cette catégorie précise, un joli deux-poids-deux-mesures que relève avec beaucoup de finesse le vice-président des jeunes UDC:

Lorsqu’un enseignant chrétien raconte ses convictions à ses élèves, les réactions négatives ne se font pas attendre. Certains politiciens n’hésitent pas, à ce sujet, à dénoncer les cas publiquement et à se battre pour la neutralité confessionnelle des écoles. Ce combat est aussi visible pour ce qui est de la présence ou non de crucifix dans les écoles.

Pourquoi donc les mêmes personnes s’indignent-elles quand on s’attaque à la présence d’un portrait de Lénine dans une salle de classe? (...)

Et la classe médiatique de s'abîmer dans un silence épais.

Lorsqu'un professeur exprime ses opinions personnelles en classe il y a les dérives inacceptables... Et puis, il y a les autres.

Stéphane Montabert - sur le web et Lesobservateurs.ch

Un commentaire

  1. Posté par Stevan Miljevic le

    Vous oubliez de traiter de la partie la plus intéressante du site, à savoir celle qui veut fournir des documents historiques notamment aux jeunes pour se défendre. En tant qu’enseignant je trouve remarquable de se servir de la fibre militante des jeunes pour les inciter à investiguer des sujets historiques, à se cultiver, à apprendre. Mais ça bien entendu, le Matin non plus ne le crie pas tout haut

Et vous, qu'en pensez vous ?

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