Orient-Occident, deux messianismes

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste

L’opposition entre Occident et Orient est donc plus compliquée que ne le suggérait Samuel Huntington dans son livre célèbre, The Clash of Civilizations. Elle ne repose pas sur une différence entre religions, entre christianisme et islam. Elle repose sur deux messianismes radicalement différents, l’un franchement religieux (islam), l’autre caché sous les vêtements de la science (modernité).

 

Le messianisme, c’est l’aspiration à un autre monde avec, pour corollaire, la tentation de détruire ce monde pour en faire advenir un autre, celui qui nous attend, notre vrai royaume. Or, en Occident, apparemment, rien de tel. Nous ne sommes pas messianiques. Nous nous occupons de la réalité pour l’améliorer, donc de la santé, du chômage, de nos routes. Ce sont les islamistes qui sont messianiques, pas nous. Eux, ils veulent détruire notre univers au nom du leur. Nous, nous voulons améliorer notre monde tel qu’il est. Eux, ils veulent une révolution. Nous, nous voulons de lentes réformes. Eux, veulent tout bouleverser. Nous, nous voulons seulement améliorer ce qui est. La chose est entendue.
L’est-elle vraiment ? Rien n’est moins sûr. Chez nous, le messianisme passe par la technoscience. Elle va tellement changer notre environnement que, grâce à elle, un beau matin ou un beau jour, nous nous réveillerons dans un monde nouveau. Il y a quelques années, le célèbre professeur de médecine Jean Bernard se réjouissait à l’idée qu’à l’avenir, l’humanité disposerait de « centres spécialisés » dans lesquels « l’œuf humain pourrait mûrir hors de l’utérus maternel ». Il semblait presque exulter à l’idée que même des « femmes illettrées, qui ne savent pas compter, auraient acquis la maîtrise de la reproduction ». Serge Rezvani qui commentait ces propos dans un article publié par Libération, notait que le terme de grossesse « cesserait d’avoir un sens » et que les femmes, enfin « libérées », ignoreraient les servitudes qui, pendant des millénaires, ont accablé leurs aînées ». Des femmes nouvelles !
Comment ne pas convenir qu’un tel changement inaugurerait effectivement un autre monde ? Comment croire qu’il tiendrait compte de ce qui est ? Non seulement la naissance d’un enfant n’y aurait plus de sens, mais la vie tout court. Vivre enfin dans un monde où la question du sens ne se posant plus, nous n’aurions plus à penser, quel rêve ! Nous brouterions enfin dans les pâturages du Jardin d’Eden. A coup sûr, l’avènement du monde promis par la technoscience signalerait un changement radical, révolutionnaire. Chercheurs et savants ne répugnent d’ailleurs pas à qualifier leurs découvertes de révolutionnaires. C’est tout dire. La technoscience n’est pas un outil aidant les individus à mieux parvenir à leurs fins. Elle fait croire à une radicale transformation du notre monde et de notre être biologique. Elle nous propose de participer à un grand élan vers un nouveau monde où nous serions libérés de toutes nos servitudes. Devant la technoscience, la modernité s’agenouille bien bas, certaine que les scientifiques sont des gens sérieux, des gens qui vont nous faire passer dans l’au-delà en toute sécurité.
Difficile de nier le caractère messianique de la technoscience et la fascination qu’elle exerce sur les esprits. Mais ce caractère messianique est caché sous les habits de la recherche, du sérieux, des mathématiques. Les fascinés n’ont pas du tout l’impression, lorsqu’ils s’agenouillent devant la technoscience, qu’ils s’agenouillent devant une idole, mais en réalité, c’est bien ce qui se passe.
L’opposition entre Occident et Orient est donc plus compliquée que ne le suggérait Samuel Huntington dans son livre célèbre, The Clash of Civilizations. Elle ne repose pas sur une différence entre religions, entre christianisme et islam. Elle repose sur deux messianismes radicalement différents, l’un franchement religieux (islam), l’autre caché sous les vêtements de la science (modernité).
Le propre de l’homme est d’attendre autre chose que le monde qui lui est proposé. L’homme est naturellement messianique. S’il ne l’était pas, il accepterait sans murmurer de fonctionner dans le monde tel qu’il est, il accepterait le métro-dodo-boulot. Or, il ne l’accepte pas, même si, pour une part, il voudrait fonctionner sans plus se poser de question. Il y a toujours quelque chose, en lui, qui attend de nouveaux cieux et de nouvelles terres. D’où le malaise qu’on ressent dans les débats portant sur l’Islam aujourd’hui, lorsque l’Occidental est présenté comme sérieux et le musulman, délirant. Ce n’est pas aussi simple.

Jan Marejko, 23 décembre 2013

2 commentaires

  1. Posté par Stevan Miljevic le

    sauf que…. si je me souviens bien, le choc des civilisations ne présente pas l’Occident comme la civilisation du christianisme mais comme celle de l’état de droit!

  2. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Cher Jan, je vous remercie pour vos lignes qui interpellent. En effet, ce n’est pas simple! Car la première chose que je dois rappeler est que toutes les philosophies sont parlées de l’exil! Donc après l’échec. L’échec du remplissage de la terre! Si on le considère comme l’œuvre de deux castors particulièrement prolifiques, n’en parlons plus. Ce qui nous évitera de questionner l’inceste! Mais conduira à se blouser et à blouser les enfants! Avec les jolies images du couple dont les organes tabous sont masqués par des feuilles de vignes. Avec l’air contrit, entre la pomme et le serpent! Lamentable, pitoyable!
    Le fait que la vierge (adolescente et non-mère) n’avait pas connu d’homme ne suscite aucune interrogation. Nul ne fait la relation avec « Adam connut Ève sa femme »! Les pâmoisons devant la nativité évacuent les questions.
    C’est tellement plus simple de faire de Dieu un démiurge! Mais c’est aussi bafouer l’intelligence.
    Le messianisme? Un expédient! Le fait de gens dépourvus de foi! Déconnectés d’eux-mêmes! Un veau d’or! Croyant ou athée, nul n’échappe à son humanité!
    Foi? Qu’est-donc la foi? Avoir la foi est déjà un témoignage de la faute! En vérité nous n’avons rien, rien que nous n’ayons reçu! L’hébreu ne connais pas le verbe avoir. La foi? C’est manger l’arbre! C’est agir juste, adéquatement, sans certitude de résultat! C’est donc tout le contraire de la démarche des idéologues, de ceux qui prétendent savoir! Le messianisme fabrique les fruits, il impose. Il ne peut que mentir et imposer le mensonge.
    Je veux conclure avec la parabole du semeur! Tant je me suis morfondu d’être un mauvaise terre. Ce semeur, aujourd’hui, serait foutu à la porte vite fait! Imaginez un type qui sème n’importe où? Et qui ne vas pas vérifier que la semence pousse selon les normes décidées à Berne ou Bruxelles! Et qui ne se préoccupe pas des semeurs d’ivraie. Contrairement à Berne et Bruxelles! Non, cet « autre en nous », celui mentionné par un auteur publié par les Observateurs, sait trier. Au moment opportun! J’aime cet autre!

Et vous, qu'en pensez vous ?

Poster un commentaire

Votre commentaire est susceptible d'être modéré, nous vous prions d'être patients.

* Ces champs sont obligatoires

Avertissement! Seuls les commentaires signés par leurs auteurs sont admis, sauf exceptions demandées auprès des Observateurs.ch pour des raisons personnelles ou professionnelles. Les commentaires sont en principe modérés. Toutefois, étant donné le nombre très considérable et en progression fulgurante des commentaires (259'163 commentaires retenus et 79'280 articles publiés, chiffres au 1 décembre 2020), un travail de modération complet et exhaustif est totalement impensable. Notre site invite, par conséquent, les commentateurs à ne pas transgresser les règles élémentaires en vigueur et à se conformer à la loi afin d’éviter tout recours en justice. Le site n’est pas responsable de propos condamnables par la loi et fournira, en cas de demande et dans la mesure du possible, les éléments nécessaires à l’identification des auteurs faisant l’objet d’une procédure judiciaire. Les commentaires n’engagent que leurs auteurs. Le site se réserve, par ailleurs, le droit de supprimer tout commentaire qu’il repérerait comme anonyme et invite plus généralement les commentateurs à s’en tenir à des propos acceptables et non condamnables.

Entrez les deux mots ci-dessous (séparés par un espace). Si vous n'arrivez pas à lire les mots vous pouvez afficher une nouvelle image.