Entre apocalypse et avenir radieux

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste
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Encore une nouvelle qui nous fait froid dans le dos. Le taux de pollution de l’air est si élevé en Europe, qu’il provoquerait 400 000 morts prématurées par année. Le total des coûts externes de santé liés à la pollution de l’air est estimé entre 330 et 940 milliards d’euros par an », selon Janez Potocnik, commissaire européen à l’environnement (Reuters, 18.12.2013). C’est davantage que les accidents de la route ou les cancers du poumon provoqués par la fumée de cigarettes. Bientôt l’apocalypse.

Mais la Commission européenne va nous permettre d’éviter cette apocalypse…

 

Elle veut protéger les citoyens en les amenant à une « vie pleinement active » par réduction, chaque année, de la pollution. Avec des plafonds, des taux limites, des taxes probablement. Cette commission est maintenant passée maître dans l’art de la réduction de tout avec des plafonds, des taux et des taxes. Hier, c’était le budget des Etats qui ne devait pas dépasser 3% du PIB. Aujourd’hui c’est donc la pollution. Elle devra désormais tuer avec modération avec de nouveaux plafonds gracieusement fixés par Bruxelles. Nous voilà rassurés. Nous étions en train de glisser sur la pente d’une lente agonie avec un air sale et voilà qu’avec cette annonce, nous allons remonter cette pente avec une vie « pleinement active » et, cela va sans dire, avec la croissance au bout du chemin. D’ailleurs, pour quoi d’autre aurions-nous une vie pleinement active, sinon pour la croissance ? Nous avons eu chaud. Avec la croissance, finie l’apocalypse. Pfut, envolées nos angoisses ! Et Bruxelles de jouer avec une habileté déconcertante sur le double clavier des menaces apocalyptiques d’un côté, des bonnes nouvelles de l’autre. Pianiste de génie, que la commission européenne ! Ses mélodies, telles celles des joueurs de flute devant des serpents, nous charment chaque jour un peu plus.

Chaque mauvaise nouvelle est en effet accompagnée d’une bonne nouvelle dont le message subliminal est qu’elle se réalisera un jour grâce à la bienveillance étatique ou bruxelloise. Il ne faut pas désespérer les masses. Elles ne consommeraient plus. Tactique admirable : d’un côté on nous désespère – de l’autre, on nous promet l’Eden. Pas pour demain, bien sûr, mais à long terme. Soyons patients pour devenir d’heureux consommateurs. Ainsi, pendant plusieurs décennies, il nous a été expliqué que les moteurs diesel polluaient moins que les moteurs à essence. Eh bien, c’est pas vrai ! Les jours de brouillards font augmenter le nombre de vilaines et empoisonneuses particules fines émises par ces moteurs. Mais chercheurs et scientifiques, dûment nourris par des subventions de Bruxelles ou d’ailleurs, vont faire reculer ces vilaines particules.  L’augmentation des cancers du sein dans notre région serait due au nuage de Tchernobyl, tout heureux de se reposer un peu dans le bassin lémanique et tout heureux de faire pénétrer sa radioactivité dans nos paisibles champignons. Là aussi s’ouvre un riche champ de recherches avec des laboratoires pleins de champignons promis à l’analyse. Quant à notre eau, elle serait polluée par des antidépresseurs et bien sûr, des filtres seront mis au point pour stopper ces méchants médicaments.

Le public, déboussolé, se voit confronté à un avenir tantôt menaçant, tantôt radieux. Devant les menaces, il ne peut s’empêcher de chercher des coupables. Il faut bien qu’il y en ait. Hélas, ne sommes-nous pas tous coupables ? Tous coupables d’empêcher l’humanité d’accéder à un pur bonheur. Nous lançons un regard angoissé sur nos voisins et nous voyons des coupables. Nous nous retournons sur nous-mêmes et nous voyons un coupable. L’écrivain Kafka, avec ses personnages ployant sous le poids d’une culpabilité infinie, était un prophète.

Sauf que nous, modernes, instruits, éclairés, parfois illuminés par la presse et les médias, nous la comprenons cette culpabilité et nous en repérons les responsables. Nous conduisons des voitures qui polluent. A la trappe les automobilistes et vive les cyclistes ! Nos systèmes de chauffage produisent des particules fines.  A la trappe nos chauffages centraux et vive les dents qui claquent. Les grandes sociétés pharmaceutiques nous refilent des antidépresseurs qui polluent nos eaux. A la trappe les déprimés et vive la santé… active donc, pour mieux consommer ! La liste est infinie. La lutte sera longue mais aussi finale avec de solennels procès pour faire payer les pollueurs. Sauf que si nous sommes tous coupables…

La philosophie politique nous enseigne qu’il n’y a rien de mieux, pour les gouvernants, que l’instauration d’un climat de peur[i] avec des recettes gouvernementales pour en sortir. Les masses, toute tremblantes devant des annonces de catastrophes, voient en même temps scintiller sous leurs yeux des promesses d’avenir radieux. Elles s’accrochent à ces promesses. C’est bien normal. Et c’est bien normal que, chaque jour, on leur en fournisse. Tel médicament va nous guérir, telle voiture, hybride, nous transportera sans polluer, telle pommade empêchera les gratouillements ou les chatouillements. Ces jours-ci, à Genève, on peut voir une affiche devant une pharmacie. Une femme, avec un beau regard de mère attendrie, tient dans ses bras un adorable enfant. On pense à quelque Vierge à l’enfant. Mais à y regarder de plus près, on voit que l’enfant brandit un tube d’onguent destiné à soulager nos gratouillements et chatouillements. Autrefois, l’enfant Jésus tenait un globe terrestre, signe de son influence sur la terre entière. Aujourd’hui, il brandit quelque élixir contre les démangeaisons. C’est plus concret. Et le concret, nous aimons.

Jan Marejko, 20 décembre 2013

 

 

 

[i] Gilles Deleuze : « Les pouvoirs ont moins besoin de nous réprimer que de nous angoisser. »

2 commentaires

  1. Posté par Jan Marejko le

    Liste impressionnante. Les oligarques de Bruxelles et d’aileurs ont encore beaucoup de munitions.

  2. Posté par Michel de Rougemont le

    Que d’opportunités!
    Si l’on additionne les facteurs allégués mais non directement cause de mort plus ou moins subite:
    – les poussières fines
    – les ondes électromagnétiques
    – le bruit
    – les résidus de pesticides
    – les aflatoxines
    – les OGM
    – le bruit des éoliennes
    – le froid
    – le CO2
    – le chaud
    – le bon et le mauvais stress
    – le bon et le mauvais cholestérol
    – la musique hard rock et dodécaphonique
    – la bière (le liquide, pas celle dans laquelle on entre définitivement)
    – le cervelas grillé
    – les étrangers
    – les indigènes
    – la connerie
    – l’intelligence en excès
    – la précaution par principe
    – … et bien d’autres encore
    Alors on a l’occasion de mourir environ 5,63 fois par vie humaine (je viens d’écrire un chiffre au hasard, peut-être fera-t-il loi dans le futur, comme l’OMS le fait souvent).
    Et il reste encore bien du boulot pour les législateurs préoccupés du bien commun.

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