Ce que Berne négocie mal!

Jacques-Simon Eggly
Jacques-Simon Eggly
Ancien Président des Suisses de l'étranger, ancien CN, journaliste
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Il s’agit d’être lucide. Nous étions tous contents de la place singulière et privilégiée de la Suisse dans le domaine financier. Accuser seulement les banquiers serait hypocrite. Le secret bancaire, par exemple, a profité directement ou indirectement à tous les Suisses. Mais dès lors qu’il y avait un tournant aérien à prendre on aurait voulu de tous bons pilotes, dans les banques et à Berne. On nous a un peu mis les stewards aux commandes ce qui n’était pas le mieux pour défendre la Suisse.

 

Le Parlement doit accepter ou refuser l’Accord avec la France sur une nouvelle Convention de double imposition. Les députés aux Chambres auraient tout lieu d’en refuser la ratification. En se mettant dans une position d’infériorité diplomatique, soit en se laissant dire que ce serait tout ou rien, Berne n’a pas fait valoir tous les éléments du dossier. La France avait surtout dans le collimateur les forfaits fiscaux pour les riches Français fuyant leur fisc. Or, Berne aurait dû beaucoup plus faire valoir le cas de Suisses,  devenus par exemple frontaliers. Prenons un Genevois habitant en France voisine et travaillant dans le canton : une logique de plus en plus fréquente dans le cadre du grand Genève. La discrimination serait criante lors d’héritages de parents vivant par exemple à Genève, entre des enfants habitant en France voisine et d’autres habitant à Genève. Eh bien cet argument n’a pas été poussé lors des négociations. On nous dit que, faute d’accord, il n’y aura plus de convention et donc le risque d’une double imposition pour les Suisses de France. Serait-ce pire ? Et puis, assez de défensive. On a appris que la France n’a pas retourné l’argent qu’elle devait au canton de Vaud en regard de la répartition fiscale prévue pour les frontaliers. Voilà bien une opportunité pour le Gouvernement vaudois de prélever à la source la totalité et d’attendre de voir si Paris entend respecter ses obligations. Le système genevois est à cet égard meilleur car il ne permet pas au grand voisin de dire : faites ce que je veux, quant à moi je fais comme je veux.  Oui, vraiment assez de défensive et une exigence d’équilibre dans une approche plus globale.

On se félicite de l’accord dit Rubik avec l’Angleterre. Mais, de source officieuse semblant bien informée on apprend que les Anglais furent étonnés du manque de combativité des négociateurs helvétiques.

Quant à la saga entre le fisc, le département de justice américains et nos banques, elle a aussi montré un manque de professionnalisme, de  résistance chez Mme Widmer Schlumpf et ses diplomates. Ah les Anglais eux savent défendre leur place financière derrière leurs fausses déclarations vertueuses. On vient de s’en rendre compte une fois de plus avec les déclarations de leur Premier ministre. Berne nous a presque fait croire, un temps, que suivant la catégorie choisie, --dans le questionnaire imposé par Washington--, nos banques pourraient tourner la page du conflit. Naïveté ! Aucune garantie, aucune précision, les Américains se réservant en tout arbitraire, en toute démonstration de force de revenir à la charge ici ou  là avec des actions civiles et pénales. Et tant pis, ou plutôt tant mieux à leurs yeux, si des banques suisses ploient sous la charge des amendes et des actions judiciaires, si elles s’effondrent.

Répétons que certains banquiers ont vraiment tendu les verges pour se faire fouetter. Ces ténors de l’UBS cautionnant le racolage sur sol américain de clients américains non déclarés. Quelle folie. Mais que dire ensuite de leur attitude parfois sans aucune sensibilité consistant à jeter comme des malpropres des clients qui leur avaient fait confiance.

Cela étant, comment Berne a-t-elle pu réagir sans exiger immédiatement au moins une référence à des critères internationaux et des réciprocités immédiates et garanties ? Peut être que Washington aurait haussé les épaules si on lui avait tout de suite parlé du Delaware, de l’argent mexicain déposé dans certaines de leurs bonnes villes banques. Au moins, ils auraient senti de la résistance  au lieu de se réjouir de la mollesse constatée avant que fût même parti le premier coup de poing. Quant à la FINMA elle aura donné l’image d’une contrôleuse administrative plutôt que d’une instance d’appui pour une stratégie de la place financière suisse.

Vraiment la Suisse aura montré, une nouvelle fois, qu’elle fonctionne bien à usage interne mais qu’elle peine à trouver ses marques dans des crises venues de l’extérieur. Un espoir à cet égard : l’action semble-t-il réfléchie et probante du Département des affaires étrangères afin de clarifier et d’élargir nos relations avec l’Union européenne.  Mais pour le reste, quel amateurisme !

Il s’agit d’être lucide. Nous étions tous contents de la place singulière et privilégiée de la Suisse dans le domaine financier. Accuser seulement les banquiers serait hypocrite. Le secret bancaire, par exemple, a profité directement ou indirectement à tous les Suisses. Mais dès lors qu’il y avait un tournant aérien à prendre on aurait voulu de tous bons pilotes, dans les banques et à Berne. On nous a un peu mis les stewards aux commandes ce qui n’était pas le mieux pour défendre la Suisse.

Jacques-Simon Eggly, 11 décembre 2013

Un commentaire

  1. Posté par Jac Etter le

    Merci M. Eggly, il est urgent de sonner l’alerte. La situation est grave quand vous dites : « Stewards », le terme est trop flatteur car certains ont réussi à faire atterrir leurs avions. Il s’agit plutôt ici de doux naïfs qui se prennent pour « Maverick » dans Top Gun, mais qui ne sont que des « Colargol » sifflant l’air composé et imposé par des nations aux aubois, jalouses de la prospérité helvétique, mais plus encore, peureuses de la conscience fondamentalement démocratique et indépendante de notre pays. Nos banquiers se sont comportés tels des flibustiers aux States. Néanmoins, au vu des comportements usuels de cette merveilleuse Patrie, prenons par exemple Prism, il est difficile de ne pas décoder dans les mesures de coercition à notre égard un sentiment spleenétique qui avouerait « S…!, j’aurais dû y penser le premier ». Nos éminents représentants doivent sortir du « Kindergarten », prendre conscience des qualités profondes, intrinsèques, humaines et vraies qui enrichissent les prairies de notre belle Helvétie. Abondance dont profitent allégrement nos très démagogues voisins qu’ils soient géographiques, politiques ou économiques, proches ou moins proches, et développer des stratégies de négociations où nous cesserions de jouer ces jeux enfantins de victimes-prédateurs et établissions un rapport sous l’égide du respect du libre-arbitre, de l’intégrité individuelle et territoriale. Mais pour ce faire, encore faudrait-il avoir une connaissance profonde, exhaustive des économies et politiques de ces nations au travers d’une vision purifiée de toute idéologie embaumée. Et c’est là que le bât blesse.

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