Militantisme guerrier à La Liberté

Quand la rédaction en chef du premier quotidien fribourgeois a voulu sniper un jeune PDC trop libre qui avait idéologiquement fauté.

 

C'est l'histoire d'une chasse à l'homme, de la traque d'un messager pour ne pas avoir à entendre le message, ou comment le quotidien La Liberté a jeté en pâture le nom d'un élu PDC pour avoir osé lever le voile sur les réalités du vote socialiste en termes de pédophilie.

 

Le nom

Tout commence avec cette fameuse annonce, que tout le monde connaît, parue en page 12 de La Liberté en date du mercredi 2 octobre.

annonce_pdc steiert

S'ensuit une courte période de latence avant que, 3 jours plus tard, sans doute sous l'impulsion du bureau de communication du parti socialiste, la polémique ne finisse par prendre.

Le traitement ne sera pas neutre, mais portera sur le fauteur plutôt que sur le sujet, pour mieux l'éviter dirons-nous. Les deux plus grandes plumes du quotidien s'emploieront à qualifier l'annonce plutôt qu'à considérer ce qu'elle révèle. C'est peu dire que la méthode fleure un brin la mesure d'urgence, sinon de panique, où les deux sapeurs en chef, qui, au demeurant, ont dû se faire sacrément remonter les bretelles, sont dépêchés au feu avec des ordres clairs: tirer à vue. A compter de ce moment, tous les coups sont permis.

François Mauron, chef de rubrique régionale, ouvre les bans:

"Dans un style qui n’est pas sans rappeler les méthodes fascistes des années 1930."

Dialectique touchante, voire un brin surannée, et qui ferait presque sourire, mais qui, paraît-il, fonctionne encore dans les campagnes reculées du jésuitisme médiatique nuithon.

M. Mauron semble oublier presque naïvement que ladite campagne s'est inspirée en tous points, tant au rédactionnel que pour la ligne graphique, de celle... du parti socialiste. Fascisme des années 30, quand tu nous tiens...

publicité socialiste la liberté

Même le coup, fameux, du comité n'est pas oublié.

Et François Mauron de s'employer consciencieusement à éteindre tout foyer de réflexion:

"Elle [l'annonce, ndlr] dénonce le fait que le socialiste Jean-François Steiert [...] se soit prononcé au Parlement fédéral contre l’initiative «Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants». Une affirmation complètement sortie du contexte du vote sous la Coupole (voir ci-dessous), susceptible de laisser cours aux plus funestes amalgames." (source)

Prétention que le PDC valaisan Yannick Buttet balaiera quelques jours plus tard sur Forum:

"Il est vrai qu'il [Steiert] a choisi de défendre une ligne plus souple dans la ligne contre les pédophiles. Ca c'est une simple réalité [...] Du côté du parti socialiste on n'est pas non plus prêt à assumer finalement tous les votes de son candidat." (source)

Puis vient le coup de grâce, le nom du sacrilège:

"Selon plusieurs sources internes au PDC, il s’agit d’Emmanuel Kilchenmann."

 

L'éthique 

C'est là que la forfanterie journalistique prend toute son ample mesure, le "selon plusieurs sources internes au PDC" suinte le travail d'enquête de longue haleine, la finesse du limier, les décennies de rapports étroits entretenus avec soin et de si longues heures de patience pour débusquer un jour ce genre de trouvailles.

C'est là que ça devient le plus amusant, foin d'enquête et de longues recherches, La Liberté n'a eu qu'à relever l'e-mail de son rédacteur en chef où le nom de l'intéressé lui était livré, tout cuit, tout beau, sur un plateau.

La publicité a été achetée par M. Kilchenmann à la régie publicitaire Media f., filiale du groupe Saint-Paul, le groupe qui possède La Liberté. Media f. a transmis le mail de validation à M. Kilchenmann avec copie... au rédacteur en chef de La Liberté. Grand reporter.

email ruffieux kilchenmann

Echange de bons procédés, nous direz-vous. Reste que l'on peut tout de même s'interroger sur le respect de la protection des données clientèle dans la profession, Media f. et La Liberté apparaissant tout de même être deux sociétés distinctes (ici et ici) même si appartenant à un même groupe et logeant dans les mêmes bâtiments.

Preuve supplémentaire que La Liberté n'a pas cherché bien loin, Mauron s'excuse de n'avoir pu contacter Emmanuel Kilchenmann le déclarant "actuellement en voyage à l’étranger". Le ci-devant Kilchenmann confirme, il était à son bureau. Le monde du travail, le bout du monde pour M. Mauron ?

Niveau éthique, tout cela paraîtrait pour le moins tangent si nous n'avions la garantie de la parfaite probité d'un homme, rédacteur en chef de La Liberté, membre du jury des prix egalite.ch et Jean Dumur, récompensant tous deux l'"éthique professionnelle" en même temps que "la rigueur et l'éthique journalistique", un homme responsable des plans d'études d'une académie de journalisme, un homme célébré unanimement par ses confrères, un homme, un être, conscient de son devoir de maintenir fidèlement:

"Une ligne éditoriale qui privilégie l'intérêt général", laquelle s'efforce "de ne pas céder à la tentation de remplacer le devoir d'informer par la volonté de plaire à tout prix", avec, en outre, un "regard journalistique, c'est-à-dire sans complaisance sur les affaires de la cité." (source)

En un mot, un "journal indépendant".

Eblouie, la RTS parlera même de "formule magique". Dans son élan, Louis Ruffieux évoquera l'importance de disposer de:

"Vecteurs d'identité, des vecteurs régionaux qui sont capables d'animer le débat démocratique local, qui sont capables de déranger. Bref, qui sont absolument indispensables au fonctionnement démocratique."

Capable de déranger, certes, mais qui n'aiment guère l'être...

 

L'ambiance

En complément de l'article de M. Mauron, la deuxième étape de la tactique tendant à faire porter au PDC le poids des perniciosités socialistes prendra quartier dans l'éditorial du même jour de Louis Ruffieux. La manoeuvre aura aussi pour but, en passant, de disculper la responsabilité du journal, une façon de présenter des excuses à qui de droit et de rassurer quant à cette "fidélité de la ligne éditoriale" déjà évoquée.

Louis Ruffieux insistera en préambule sur la conformité de ses intentions:

"Nous avons refusé la première version de cette annonce qui nous a été soumise par notre agence de publicité."

C'est tout à fait juste, il volera au secours du candidat Steiert, refusant, dans un premier temps, la publication de l'encart, excipant que celui-ci avait seulement:

"Accepté le contre-projet indirect du Conseil fédéral, qui prévoit qu'un pédophile condamné ne pourra pas travailler pendant dix ans (période renouvelable de cinq ans en cinq ans) avec des enfants."

email ruffieux media f

Le fait qu'il ait fini par céder dit tout de la valeur de l'argument.

Dans la ligne "antifasciste" de François Mauron, il fustigera encore la "propagande et les ectoplasmes", faisant mine de dénoncer, d'un doigt tremblant, les spectres anonymes de fantômes dont il avait pourtant le nom depuis déjà près d'une semaine.

Drapé dans une vertu subjonctive:

"L’eussions-nous refusée qu’on aurait crié haut et fort à la censure",

Ruffieux repoussera l'auteur de l'annonce dans les ténèbres extérieures de son référent moral, qualifiant son oeuvre, dont il fut pourtant le principal véhicule, de:

"répugnante dans sa forme",

non tant par son contenu que parce qu'elle n'a pas respecté la règle tacite de non-agression morale et politique de la gauche:

"Parce qu’elle est tombée comme une météorite sur une campagne de communication tirée au cordeau par les candidats qui, tous deux, tentent d’araser leurs aspérités pour convaincre en dehors de leurs partis."

La faute de cette annonce est, en somme, d'avoir existé.

Le reste du papier est une correction en règle du PDC à stricte fin pédagogique. C'est d'ailleurs le fait le plus troublant de cette campagne, de voir ces grands noms du patriciat médiatique donner la leçon à l'un et l'autre parti. Dire aux socialistes comment bien être à gauche, apprendre aux PDC à ne pas trop être à droite.

Il faut voir Mauron, sur La Télé, reprendre vertement le candidat Steiert pour s'être rendu coupable de distance avec l'image de son parti (20:50).

La même idée se retrouve dans l'édito de Ruffieux, qui glose et montre des esprits en suspension sur l'échiquier de ses visions.

Nanti d'un tel soutien, la gauche ne brillera pas par l'honneur et le maintien. Raoul Girard, un conseiller communal socialiste, emploiera son quart d'heure de gloire à brandir le nom si bien livré pour dénoncer (04:18) une annonce choquante "dans sa forme" - tiens donc - et des rapports "tout, tout proches" entre le fauteur et un autre PDC; ce qui, dans sa pensée, devait constituer une sorte de preuve de complot. Certains sont tout proches comme d'autres sont tout contre. C'est vrai, il y a des liens familiaux au PDC. Pour M. Girard, de toute évidence, la famille est suspecte.

Ne pas prononcer les mots de parti pris au cours de cet article est une faute que nous commettrons pas. Avec toute la meilleure foi du monde, nous ne sommes pas parvenus à effacer, derrière ces insistances guindées, ces rages sourdes, ces rappels à l'ordre, ces affections affichées, comme ici, sur Facebook,

liberté facebook ps

et qui, à notre connaissance, ne trouve pas d'équivalent à droite, ce besoin, enfin, d'aller admonester quelques blogueurs crève-la-faim, qui n'ont pas eu l'heur d'être initiés aux règles du jeu, la très forte impression de tendresse, d'adhésion, pour un camp, contre l'autre..

En conclusion, nous dirons que les éducateurs politiques de La Liberté ne tolèrent le PDC que quand il est à gauche, la droite que si elle est docile et la démocratie que lorsqu'elle permet d'"encadrer" fermement la libre expression. Or, c'est bien de liberté qu'il s'agit, la liberté, la vraie, pas celle en papier recyclé.

 

L'homme

Emmanuel Kilchenmann, quant à lui, prend tout cela avec distance. Cette réaction féroce était attendue. La population devait pouvoir encore apercevoir cette ligne de fracture gauche-droite que beaucoup s'échinaient à gommer:

"La virulence de leur acharnement est certainement raison de la puissante mobilisation des électeurs de Jean-Pierre Siggen et de toute la droite au second tour."

Génération blasée qui a appris à prendre le sentiment ambiant à rebours; ou comment être rendu à droite et survivre en milieu hostile, une vie durant.

Yannick Buttet l'a dit, la gauche n'est pas prête à assumer son vote, ses idées. Le fait est que personne ne l'était et que tout un chacun a pu ressentir le rejet naturel, le retrait d'effroi causé par l'annonce. Tout cela était bien perceptible et Louis Ruffieux avait raison, l'annonce était proprement "répugnante", non pas en elle-même, mais en ce qu'elle dénonçait.

C'est le changement d'une époque, la société de l'information s'est invitée aux élections et la politique de papa doit s'attendre à la croiser de plus en plus souvent. Il est certain, il est souhaitable, que les annonces de citoyens informés, concernés, se multiplieront à l'avenir, qu'une mémoire collective politique s'interpose en continu aux techniques de communication les plus étudiées, les plus sophistiquées.

Jean-Pierre Siggen est passé à 562 voix. 562, c'est en gros le nombre d'enfants victimes d'abus sexuels dans le canton de Fribourg ces dix dernières années; de là à dire qu'ils ont compté...

 

Voir encore

Pédophilie: il faut sauver le soldat Steiert

Forum: Yannick Buttet attrape Steiert sur la pédophilie

4 commentaires

  1. Posté par Normandy le

    « L’Etat de Vaud aime les médiocres, donc les gens de gauche… » Pas d’amalgame, d’accord: Flütsch n’est ni le seul médiocre (prétentieux, en plus) de l’Etat de Vaud ni le seul idéologue de la Pravda suisse romande. Quant à confirmer qu’il n’y aurait pas que des médiocres de gauche, il faudrait pouvoir parfois le vérifier en en entendant d’autres. Le monopole idéologique se retourne ici contre ses artisans.
    « De plus votre commentaire n’apporte rien à l’article… » Et le vôtre? Le plus intéressant, c’est votre définition originale de la médiocrité. Elle est taillée sur mesure pour servir votre « argumentation », procédé bien connu pour pervertir les débats.

  2. Posté par G. B. le

    « L’Etat de Vaud aime les médiocres, donc les gens de gauche… »
    La médiocrité, cher Monsieur, est avant tout affaire d’amalgames, de raccourcis erronés et de conclusions hâtives. Vous qui êtes vraisemblablement de droite prouvez donc à merveille que la médiocrité n’est pas que l’apanage de la gauche.
    De plus votre commentaire n’apporte rien à l’article, il est hors sujet. Sauf si vous admettez que le simple fait de parler de M. Kilchenmann suffit, ce qui serait vraiment… médiocre !

  3. Posté par Géo le

    Kilchenmann trimbale tout de même une sacrée casserole. Il a fait des pieds et des mains, léché des bottes et autre chose, pour se faire cracher dessus, lui et l’Armée, accessoirement, par les crétins gauchistes de « La Soupe ». Cela lui a valu une déclaration publique d’insultes gravissimes lors de l’émission suivante de la part de Laurent Flütsch, idéologue en chef de la RTS et rédacteur adjoint du torchon « Vigousse ». Et directeur du musée romain de Vidy où il produit des expositions totalement calamiteuses. L’Etat de Vaud aime les médiocres, donc les gens de gauche…
    Kilchenmann n’a jamais répondu à ces insultes, donc Flütsch a dit vrai. K a fait des pieds et des mains pour aller se faire insulter dans cette émission. N’est pas Oskar Freysinger qui veut…

Et vous, qu'en pensez vous ?

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