Clarification sur le Front National et les extrêmes en général

Bruno Bertez
Bruno Bertez
Analyste financier anc. propriétaire Agefi France

Vous avez parfaitement le droit de soutenir et même de voter pour le FN, que ce soit par conviction, adhésion ou pure tactique. Si vous me lisez attentivement, vous comprenez que je suis pour l’intégration du Front dans la vie politique française. Je ne cesse de répéter que l’on n’a pas le droit de laisser les 30% de Français qui se reconnaissent dans ses idées sur le bord de la route.

 

Je suis pour la reconnaissance du Front National, un peu comme on dit « je suis pour la reconnaissance de l'opposition syrienne ». Je suis pour la reconnaissance du Front, un peu comme je dis, « je ne suis pas parfait », je le reconnais! Mais je préfère être imparfait qu'amputé. Sans ombre, il n'y a pas de lumière et le vrai fasciste, c'est celui qui nie la totalité de l'homme, du corps social, qui nie le caractère inséparable de l'ombre et de la lumière; c'est celui qui pactise avec le diable pour échapper à sa condition contradictoire et contrastée et connaitre la toute -puissance. Voir Goethe et les grands mythes.

 

Reconnaitre quelqu’un, c’est le considérer comme un interlocuteur. Interlocuteur, à condition bien sûr que les règles qui régissent le champ du débat démocratique soient respectées. Et nous visons là très fermement tout ce qui concerne le refus du racisme, de l’antisémitisme, du négationnisme et leurs avatars. Mais je fais le pari, l'histoire le prouve à l'envi, que la reconnaissance et l'intégration du Front au jeu politique le transformera. Il évoluera sous l'influence du contact avec les autres formations, sous l'influence de la concurrence en son sein pour le leadership. Pour prendre une comparaison que nous ne voulons ni désobligeante, ni dévalorisante, tous les produits s'améliorent au contact du marché. Car le marché a une fonction de mise en concurrence et de feed-back.

 

D'une certaine façon, le Front est malthusien. Les leaders historiques sont plus à l'aise dans la fonction tribunitienne que dans les fonctions de gestion et d'organisation. Ces leaders, ayant l'atout tribunitien, et la légitimité historique, ont tendance à éliminer, au sein du parti, les tendances et les individus qui pourraient favoriser un élargissement. Cela est normal car l’élargissement, d'une certaine façon,  réduirait leur emprise sur le parti.

 

La reconnaissance du Front implique de sa part une certaine ouverture, voire une relative banalisation. Il est évident que dès lors que vous participez pleinement aux débats politiques, dès lors que vous êtes interlocuteurs à part entière, vous devez modifier votre encadrement, le former différemment. Vous devez vous exprimer de façon plus cohérente, plus rationnelle, abandonner la priorité à la recherche d'émotions et, à l'inverse, être plus convaincant.

 

Le phénomène que je décris, cette mutation produite par ce que j'appelle « la reconnaissance », mais que je préfèrerais appeler « le droit de cité », a été observée, est en train d'être observée en Suisse avec la montée de l'UDC. L'UDC n'est pas encore tout à fait un « parti comme un autre », la question en particulier des alliances est loin d'être tranchée, mais les citoyens sont en train de comprendre que, s’ils veulent une Suisse forte, qui ne soit pas piétinée par le monde extérieur, alors il faut qu'ils intègrent cette partie de la population, ces forces vives qui sont parmi les plus motivées.

 

Bien que  pas encore « parti comme les autres », l’UDC est le seul parti qui progresse régulièrement. Je crois aux vertus de la concurrence, en particulier en politique, et c'est pour cela que je m'insurge contre les tentatives oligopolistiques de l'UMPS, même pas UMP-PS. Ce que j'appelle un bonnet pour deux. Je crois que frotté à la concurrence du grand large politique, sorti du petit marigot dans lequel il est enfermé et dans lequel il s'enferme, le Front va à la fois perdre des troupes, se décanter et, en même temps, en gagner de nouvelles, plus adaptées au monde, aux combats actuels.

 

La question de ce que j'appelle la reconnaissance du Front ne se pose pas seulement aux futurs interlocuteurs du Front, elle se pose au sein du Front. Ses leaders et même ses troupes et même ses électeurs sont-ils d'accord pour se lancer dans cette aventure et accepter d'en payer le prix. Car la fonction tribunitienne, c'est bien, cela procure des satisfactions narcissiques, mais cela est une impasse politique. On le voit avec Mélenchon, il se fait marcher dessus par les Solfériniens. On peut choisir d'être le meilleur tribun et se contenter de ce rôle de bateleur, mais c’est au prix de l'impuissance concrète. On peut aussi tenter le grand saut, accepter le risque de perdre une partie de son identité historique, une partie de son âme, une partie de ses troupes, pour gagner en efficacité. C’est le seul choix raisonnable.

 

Ce que je veux dire, c'est que la question de la « reconnaissance » est dialectique, quand on est reconnu par l'autre, cela n'est pas sans conséquence sur soi-même. La « reconnaissance » est une élévation, une élévation à la conscience, à la parole, au dialogue. La reconnaissance est une sorte de dépassement, un progrès, qui bénéficie à tous les interlocuteurs.

 

Par la reconnaissance, on trace un pont entre les interlocuteurs, et ce pont devient forcément quelque chose de commun, ce commun ne peut qu'être dicible, articulé, verbalisé. La question de la reconnaissance du Front n'est pas très différente de celle d'une partie de nous-mêmes. Vous savez,  cette partie obscure dont vous avez du mal à parler. Le Front fait partie du corps social, tout comme ce que nous rejetons en nous et de nous, fait partie de nous.

 

Lorsque nous rejetons une partie de nous-mêmes dans le noir, dans le non-dit, non communiqué, nous en devenons encore plus esclave puisque nous perdons prise sur cette partie. En ne se frottant pas au réel, cette partie reste intacte, telle qu'elle est, nous sommes sans prise dessus. Elle ne disparait pas, elle revient, en force comme un boomerang, sous forme de névrose. Sous forme de conflit, sous forme de souffrance et de mal-être.

 

Ce qui est  incroyable, et l'évolution politique actuelle le démontre à l'évidence, c'est que le non-dit du Front, par exemple le non-dit sécuritaire et le non-dit du rejet, devient le maître caché du jeu, un peu comme « le mort » gouverne le jeu au bridge. Regardez  le débat à droite, il est dominé par la question de l'attitude à tenir face au Front; regardez le pitoyable Valls qui cherche la popularité dans la voie sécuritaire tracée par le Front, il sillonne la France  avec sa panoplie de petit adjudant de discipline à la main.

 

Le comble de la situation présente est que, honni, banni, le Front devient peu à peu maître du jeu.

Bruno Bertez, 9 octobre 2013

3 commentaires

  1. Posté par André Marcel George le

    L’UDC n’est pas un parti comme un autre…? Mais quel est le parti qui veut ressembler à son adversaire. Est-ce que le PS et les Verts sont des partis comme les autres. Chacun à sa spécificité et défend ses idées et ses idéaux. Pour l’UDC c’est la souveraineté et la démocratie d’abord, la défense de nos richesses culturelles et l’attachement à nos racines. Ce qui le différencie des autres c’est avant tout le franc-parler, et la volonté de dire simplement les choses aux citoyens, sans langue de bois et d’une façon directe et pragmatique. D’ailleurs les autres partis, afin d’éviter un effondrement essayent de suivre ces principes, sans trop de succès, il est vrai.

  2. Posté par G. Vuilliomenet le

    Un coq, une poule!

  3. Posté par Michel de Rougemont le

    Oui, mais…
    En France l’histoire de l’extrême droite (avec le mot « Front ») traumatise encore les autres partis. Ceux-ci ne se sentent peut être pas assez forts au cas où un processus de prise de pouvoir absolu sous le manteau démocratique se mettait en route (de type NSDAP 1933, Allende 1973, FIS algérien 1991, frères musulmans 2012-13, Ennahda 2011-13) car ils savent que le peuple est moutonnier et hurle avec les loups (occupation 39-45). C’est en partie pourquoi ils essayent de garder le FN en dehors du cercle.
    Aussi il n’est pas sûr que le FN désire vraiment s’asseoir à la même table que les autres. Son aura de héro (héraut) victimisé par le « système » en pâtirait.
    Aussi, la comparaison avec l’UDC a ses limites. Le populisme du FN est plus crasse que celui de l’UDC, même si certaines tronches carrées de l’aile zurichoise mériteraient de bonnes baffes. Et l’UDC participe au gouvernement de manière responsable alors que le FN jouit de la liberté du bouffon.
    Cela n’empêche que les partis de gouvernement français ne savent pas comment jouer avec le problème que leur pose le FN. Leur indignation vertueuse et républicaine fait rigoler. Et n’ayant en fait pas de stratégie et de programme politique clairs ils ne savent pas comment mener un débat de fond. Il reste les anathèmes et les combats de coq (au féminin cocque ?).
    Pendant ce temps l’électorat cherche le mieux-disant, même s’il ne le croit pas.

Et vous, qu'en pensez vous ?

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