La pseudo-affaire Legrix, suite et fin

Stéphane Montabert
Suisse naturalisé, Conseiller communal UDC, Renens

Il y a quelques jours j’avais fait part de mes doutes quant à l’éviction précipitée de Jean-Charles Legrix de ses fonctions à La Chaux-de-Fonds. La sentence était trop soudaine, les torts trop unilatéraux et le verdict trop définitif pour ne pas attirer de soupçons.

Heureusement, grâce à la Weltwoche, nous en savons désormais davantage. L'article d'Axel Baur, Protocole d'un putsch, brosse un portrait saisissant de l'ambiance délétère régnant à La Chaux-de-Fonds entre Jean-Charles Legrix et l'administration communale. Il permet de mieux comprendre comment "le dossier" s'est monté jusqu'à sa spectaculaire conclusion.

Quiconque prétend exprimer un point de vue informé se doit d'avoir lu cet article.

L'affaire Legrix est avant tout le résultat d'une lutte entre deux individus, Jean-Charles Legrix, chef du dicastère des infrastructures et de l’énergie de La Chaux-de-Fonds, et Joseph Mucaria, 58 ans, ancien boxeur entré à la voirie grâce à des relations familiales et dirigeant le service depuis des décennies. L'un a pour lui la légitimité politique et le désir de réformer, l'autre de solides amitiés dans l'administration et un immobilisme inébranlable. N'ayant plus que quelques années à tirer, il ne tient pas à ce que les choses changent.

Il serait trop long de rapporter ici l'escalade du conflit entre les deux hommes. M. Legrix se casse régulièrement les dents sur la bureaucratie communale syndiquée ; M. Mucaria, lui, joue ses atouts d'une autre manière. Un exemple particulièrement saillant mérite d'être cité:

A l’approche des élections de 2012, la télévision suisse romande RTS insinue que Jean-Charles Legrix s’est rendu coupable d’«abus de privilèges», selon le titre du sujet. L’affaire porte sur des tablars pour une armoire ancienne, des travaux d’une valeur de 919 francs, que Legrix a confiés à la menuiserie communale. Les journalistes de la télévision oublient cependant d'évoquer un point essentiel, qui démonte ces accusations: la menuiserie communale précise à l’attention des citoyens que le président de la Ville a payé ces travaux, certes destiné à des fins privées, de sa poche. Il ne saurait donc être question «d’abus de privilèges».

Pour la petite histoire, le reportage à charge est l’œuvre d'Olivier Kurth, qui serait le frère de l'élu socialiste Laurent Kurth. Mais, outre le traitement partial du sujet, une interrogation subsiste: comment la RTS a-t-elle eu vent de tout cela?

Par mesure de précaution face à un sujet sensible, le menuisier interrogé par le journaliste de la RTS un peu plus tôt a pris soin d'enregistrer discrètement la conversation. Au cours de celle-ci, ignorant qu'il est sur écoute, Olivier Kurth dévoile sa source: Joseph Mucaria.

L'enregistrement ayant été fait en secret, il n'est pas recevable comme preuve - pour licencier un collaborateur déloyal montant une cabale, par exemple. Malgré tout, cette histoire d'enregistrement trouvera son chemin jusque dans le rapport d'audit ayant servi à destituer Legrix. On reprochera ainsi à l'élu d'avoir "réuni des preuves par des moyens douteux comme la délation ou en espionnant", en lui attribuant la paternité de cette conversation enregistrée! Même les aléas des manigances de Joseph Mucaria seront portés à la charge du conseiller communal de La Chaux-de-Fonds.

Legrix n'est pas le manager du siècle, mais les accusations contre lui oscillent entre le grotesque et le douteux et sont largement sujettes à interprétation. Bien que les faits reprochés soient régulièrement qualifiés de "très graves", aucun n'a été suivi d'une quelconque action judiciaire. Les accusateurs ont beaucoup souffert mais sans jamais oser porter leurs griefs devant les tribunaux... En fin de compte, il ne reste qu'une diffamation sans substance, si bien que, comme le résume Axel Baur dans une formule limpide,

On se pince en se demandant comment il est possible qu’un représentant élu par le peuple puisse être démis de ses fonctions sur la base de rumeurs anonymes.

Cerise sur le gâteau, le rapport accablant est le résultat d'une demande de Jean-Charles Legrix lui-même. Pour trouver une solution aux blocages exaspérants de son dicastère, début 2013, il suggère à l'exécutif un audit externe. Entre tous, Jean-Pierre Veya du Parti Ouvrier Populaire prendra les choses en main, pour rendre service. Un tel dévouement force le respect. Il sera épaulé par la cheffe des ressources humaines Ioana Niklaus, une vieille ennemie de Legrix. Ils choisiront comme mandataire "l'experte en harcèlement" lausannoise Cécile Pache, très au fait pour monter des dossiers de ce type. Toutes les pièces sont en place. Rapport sera rendu le 10 juillet ; Jean-Charles Legrix n'en aura connaissance que le 6 août, la veille de la séance du Conseil communal décidant de sa destitution - un ultime coup de Jarnac pour l'empêcher de se défendre.

L'article de la Weltwoche répond à de nombreuses interrogations que se posent les habitants de La Chaux-de-Fonds, mais ce faisant, en soulève une autre. Comment se fait-il qu'un journaliste alémanique parvienne à démêler l'écheveau bien mieux que toute la presse locale? Apparemment, les écoles de journalisme ne sont pas les mêmes des deux côtés de la Sarine.

Il est infiniment commode - et rares sont ceux qui s'en privent - de défausser les révélations de la Weltwoche au prétexte que ce serait un journal "proche de l'UDC". Une ligne éditoriale n'implique pourtant pas des liens avec un parti ; la Weltwoche l'a elle-même brillamment prouvé, si j'ose dire, en descendant en flammes par ses révélations la candidature au Conseil Fédéral de l'UDC Bruno Zuppiger. Mais ici, l'accusation est particulièrement malvenue. Sur le dossier Legrix, l'intérêt de l'UDC n'est certainement pas de défendre l'élu. Il a déjà été sacrifié en coulisses.

Ni la section communale UDC de La Chaux-de-Fonds, ni celle du canton de Neuchâtel n'ont intérêt à faire des remous. Par le biais de la proportionnelle dans le système communal du canton, l'UDC est assurée de retrouver un siège à l'exécutif. Pour beaucoup de responsables locaux que cela ne grandit guère, l'affaire est entendue: raison ou tort, il faut sacrifier le soldat Legrix.

Oui, il est bien plus facile de fermer les yeux, de se boucher les oreilles et de crier "Non à l'UDC! Weltwoche vendus!" que de comprendre que la Weltwoche vient en réalité de donner à la presse romande une cinglante leçon de journalisme. Mais qui s'intéresse encore à la recherche de la vérité? Même depuis la parution de cet article les lignes restent figées: à la condamnation succède le travail de sape. Les médias ont rendu leur sentence, il leur est impensable de se désavouer. Ils n'essaieront même pas.

Pauvre Jean-Charles Legrix! Le brillant professionnel avec des décennies de responsabilités couronnées de succès auprès de grands groupes est réduit à l'image d'un simplet grossier, tyrannique et porté sur la cuisse. Sa sincérité et son esprit constructif ont été retournés contre lui ; il doit expier pour l'exemple. Rien ne sera épargné à l'homme-qui-a-tenté-de-réformer dans une commune de gauche. Sa seule véritable erreur aura sans doute été de s'attacher les services d'un avocat six mois trop tard.

Peut-être Jean-Charles Legrix retrouvera-t-il une partie de sa respectabilité lorsque les tribunaux constateront l'abus de pouvoir manifeste de l'exécutif communal ; mais l'honneur des médias romands, lui, semble compromis au-delà de toute rédemption.

Et c'est autrement plus grave.

Stéphane Montabert

 

Première publication stephanemontabert.blog.24heures.ch

 

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La pseudo-affaire Legrix

Un commentaire

  1. Posté par Houlmann Henri le

    Ma lettre aux députés UDC de La Chauxde-Fonds
    Henri Houlmann périodiquement
    28, Point-du-Jour Kolschitzkygasse 14-18/7/8
    2300 – La Chaux-de-Fonds A -1040 – Wien
    Tél.+télécopie 032/968 74 84 0043/1/953 0 539
    Courriel : [email protected]

    La Chaux-de-Fonds le 1er septembre 2013

    À Messieurs Legrix – Chantraine – Steudler – Schafroth – Favre – Robert-Nicoud

    Messieurs,

    En un premier temps, j’ai été stupéfait … comme vous, je pense. D’emblée cela sentait la magouille politique – accusations non fondées, accusateurs non nommés, précipitation, cachotteries, bref tout l’arsenal de la calomnie.
    Puis est venu l’article de la « Weltwoche », publication dont je suis un abonné. Je n’avais d’ailleurs pas douté un instant que la publication prendrait l’affaire en charge et avec le sérieux qu’on lui connaît.
    Puis est venu l’article dans l’Impartial, à qui je tire mon chapeau en l’occasion et la traduction française du rapport allemand dans la publication en ligne « Lesobservateurs.ch » que j’ai immédiatement imprimée.
    Mais voilà … Il y a dans cette étude une remarque qui a conforté mon impression d’un manque de vigueur et d’esprit de décision dans vos instances, quand il est écrit :
    Jean-Charles Legrix ne peut pas non plus compter sur son propre parti. L’UDC prend déjà prudemment ses distances. « Si M. Legrix ne peut pas prouver que les accusations portées contre lui sont dénuées de fondement, il faudra envisager de l’exclure du parti » expliquait la semaine dernière à la NZZ Walter Willener, secrétaire politique de l’UDC neuchâteloise.
    C’est carrément une inversion du droit, car en droit c’est l’accusation qui doit amener ses preuves, pas l’accusé qui, lui, bénéficie de la présomption d’innocence.
    Alors, je vous avoue que je suis très déçu, car depuis les grandes batailles de l’UDC pour la sauvegarde de l’indépendance du pays, je regardais ce parti comme une force de caractère.
    J’attends de votre part une réaction vigoureuse, une offensive avec toute l’agressivité qu’on a connue des vôtres.
    Je vous cite le merveilleux air de la calomnie, tiré du Barbier de Séville » de Gioacchino Rossini :
    La calomnie est une brise / Un zéphyr assez charmant / Qui, subtile, insensible /
    Légèrement, tout doucement, / Commence, commence par murmurer / Piano, piano, rasant la terre / A voix basse, elle va sifflant, / Puis se répand, se répand / Se répand en bourdonnant ; / Dans l’oreille du public. / Elle se glisse, elle se glisse adroitement, / elle étourdit la tête/ Elle étourdit, elle étourdit / Et fait gonfler la tête. / S’échappant de la bouche, / Le vacarme va croissant! Et grandit de jour en jour / Le voilà courant partout ; / On dirait une tempête / Au fond des forêts,! Qui roule et gronde et clame /, / Et vous fait d’horreur trembler. / Elle crève enfin, elle déborde, / Se propage et se redouble, / Elle produit une explosion / Comme un vrai coup de canon, / Un séisme, un ouragan, Un tumulte général,! Qui retentit dans I’ air
    Et Ie pauvre calomnié, / AviIi, foulé aux pieds, /Sous la réprobation publique !
    N’a plus guère qu’à crever.
    À rappeler aussi le TARTUFFE de Molière.
    Avec mes meilleures salutations,

    Henri Houlmann

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