Révolution et démocratie: l’enfumage, sauf en Suisse

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste

L’un des beaux slogans de Mai 68 était : « on nous ment ». Aujourd’hui, ce serait plutôt : « on nous enfume ». Dénoncer le mensonge, c’était facile. Derrière lui se cachait la vérité qu’on allait bientôt dévoiler. Mais, avec l’enfumage, elle est où la vérité ? On avance dans la fumée sans savoir où l’on va. Ça ressemble à la vieille désinformation soviétique qui, elle aussi, égarait les esprits non pas avec de simples mensonges mais avec un fouillis de fausses données. Toutefois, avec la désinformation, on pouvait encore garder espoir. Elle provenait d’une source localisable et localisée : Moscou. Or, l’enfumage, il ne vient plus de Moscou, comme dans l’ancien temps. Difficile de croire qu’on va en localiser la source. Alors, d’où pourrait-il bien venir ?

Essentiellement des mots qui ne sont plus liés à une pensée, mais servent à faire rentrer la réalité dans un carcan. Un exemple, les mots de révolution et de démocratie. Ils sont utilisés pour tout et n’importe quoi, surtout depuis que la presse et les médias ont ainsi baptisé les événements d’Afrique du Nord. Il suffisait d’un minimum de culture politique pour douter de la validité de ce baptême et ne pas enfumer les esprits dans cette région du globe. Révolution, une protestation populaire qui portait un Mohamed Morsi démocratiquement au pouvoir ? Révolution son renversement, lui aussi qualifié de démocratique ? Une chatte n’y retrouverait pas ses petits.

 

Pour croire qu’une révolution va tout résoudre, il faut ne rien comprendre au phénomène révolutionnaire et ne rien comprendre à ce qui se passe. Mais presse et médias occidentaux, en cœur, ont entonné la Carmagnole. Résultat : une pagaille partout dans les esprits, surtout à propos de l’Egypte, pagaille relevée il y a quelques jours par l’Associated Press. Chaos diplomatique dans toutes les chancelleries ! Quant à ce qui se passe ces jours sur le terrain, c’est aussi la pagaille. Après des jours de ballet diplomatique ininterrompu d’émissaires européens, américains, africains et arabes au Caire, le gouvernement égyptien a mis un terme aux discussions, décevant les espoirs de la communauté internationale. Evidemment, à parler de révolution et de démocratie, l’oligarchique mais internationale tribu des bien-pensants, avec à sa tête le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, enfume. Pourrait-on prendre une distance envers ce catéchisme qui fait croire que la révolution et la démocratie, c’est le bien, et son contraire, le mal ? La communauté internationale pourrait-elle comprendre que ce n’est pas aider les peuples que leur asséner ce catéchisme ?

 

Evidemment, comprendre ces choses est difficile. Surtout en Occident où, depuis 1917, on parle sans hésitation de révolution russe pour qualifier ce qui n’était qu’un coup d’Etat. Tout de suite, les documents et les informations ont abondé qui montraient que le peuple russe n’avait joué pratiquement aucun rôle dans cet événement. Même autour de Lénine, à qui l’on doit ce coup d’Etat, on doutait qu’il fût possible. Depuis lors, l’idée de révolution a enfumé les esprits au lieu de les éclairer. Elle les a aussi fascinés comme un serpent fascine la grenouille qu’il va avaler. Nous aussi, allons bientôt être avalés par des grilles de lecture prétendant nous donner accès à la réalité, alors qu’elles nous en coupent. D’autant qu’Universités et centres de recherche nous en fournissent à la pelle des grilles de lecture, toutes plus inutiles les unes que les autres, aussi longtemps que personne ne les utilise pour porter un jugement. Si elles conduisaient à une réflexion inévitablement personnelle (comme toute réflexion), ça irait, mais elles sont perverses, parce que cette réflexion manque. Il ne s’agit plus, alors, de mensonge ou de désinformation, mais de perte du sens, d’enfumage. Lorsque le sens des mots se perd, la liberté disparaît, comme le remarquait déjà Confucius, cinq siècles avant notre ère. Mais Confucius, c’est un « has been ». Quand on donne dans le jeunisme, le passé disparaît et l’on s’arrête confortablement de réfléchir.

 

En Suisse le mot de révolution ne tétanise pas les esprits. Miracle, la Suisse est pourtant un pays démocratique. Comment est-ce possible ? Nos diplomates feraient bien de le méditer, ce miracle.

Jan Marejko

4 commentaires

  1. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    L’enfumage venait certes de Moscou, mais il était servi par de nombreux relais. Partout en Occident! Même des Prix Nobels! Voyez le livre (encore un!) de Valdimir Bukovsky: « jugement à Moscou »! Je cite? « Presque toute les chaînes de TV relayaient le mensonge soviétique dans le monde »! Ou bien « ces braillards prospèrent et forment l’opinion publique »! Permettez-moi d’en rajouter!
    « Attendre d’une révolution justice et liberté est d’une stupéfiante naïveté. Tout ébranlement de la société fait remonter du fond de la lie ceux « qui n’étaient rien et seront tout »… Si bien que les révolutions s’achèvent toujours par la tyrannie et non par la liberté et la justice. »

  2. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Bill Clinton, après le séisme en Haïti, y va de son couplet! Faut-il incriminer l’interprète? Voici ses mots traduits:  » malgré ce terrible séisme, c’est la meilleure chance pour ce pays d’échapper aux heures sombres du passé et de construire l’avenir ». Et il fut président des États-Unis d’Amerique, et du Nord? C’est lui-même qu’il enfume. Lui et ses pairs! Ses camarades? Quelle repasseuse, ménagère, quel ouvrier d’usine trouvera le temps de s’insurger contre ce « malgré »? Ou alors en mots maladroits dans une lettre de lecteur publiée par le Matin? Et j’oublie la « chance »! Autrement dit, ce que dit Clinton est: ce n’est pas ce terrible séisme qui m’empêchera de vous dire votre chance. Et moi, quand j’ai vu débarquer Hillary Clinton radieuse, fière d’étaler sa justice, j’ai pensé à ces mots de la « révélation: « où que soit le cadavre les vautours s’assembleront! « 

  3. Posté par Philippe le

    Pour moi l’enfumage vient de cette oligarchie mondialiste qui veut faire de chaque homme non pas un citoyen plus ou moins informé et responsable, mais une chose déracinée de sa nation, irresponsable, dépendant de son pouvoir de consommation.
    Alors printemps arabe pour une vrai démocratie ou pour de nouveaux consommateurs.

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