Un monument littéraire pour rappeler la Grande Terreur

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste
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Ah, se référer aux fondements scientifiques, comme c’est pratique ! Grâce à eux, on peut dire n’importe quoi et rejeter tous les témoignages. Après tout, un homme qui parle ou qui, simplement vous regarde, comme Zheltikov, ce n’est pas de la science, ce n’est pas sérieux.
Cet ouvrage devrait être abondamment commenté sur les médias romands, notamment par la télévision.

Un regard d’halluciné qui vous dit de regarder, de regarder, de regarder. Et bien d’autres regards encore, rassemblés dans un ouvrage magistral publié par les Editions Noir sur Blanc, La Grande Terreur en URSS 1937-1938 (Lausanne, 2013). Il faut en effet le regarder ce regard, et tous les autres, ceux des centaines de milliers de victimes (750.000) qui ont été exécutées entre 1937 et 1938 dans les grandes purges staliniennes. Ces regards s’adressent à nous depuis d’innombrables tombes en Russie, en Sibérie, en Asie centrale. Les photos d’identité judiciaire d’une partie d’entre eux, comme celle d’Aleksei Zheltikov qui figure ici et sur la couverture de cet ouvrage, ont été prises dans des commissariats de la NKVD, généralement un jour avant qu’ils ne soient exécutés après un simulacre d’enquête ou de procès. Visages bouleversants auxquels on ne peut pas rester insensible. A l’époque où ils étaient tués d’une balle dans la nuque, innocence et culpabilité n’avaient plus cours, comme Hannah Arendt l’a dit pour la première fois en 1951. Les rafles emportaient tout le monde, paysans et poètes.

 

Il faut rendre hommage à Vera Michalski, directrice de ces Editions, qui a mis sur le marché un véritable monument à la mémoire de ces victimes et de leurs familles, oubliées dans l’anonymat des fosses communes de la tourbe russe. Elle a eu l’appui de Nicolas Werth et du photographe Tomasz Kizny, entre autres, qui ont pu consulter les archives de l’association russe Memorial.

 

Pourquoi La Grande Terreur en URSS 1937-1938 est-elle un monument ? Ce n’est pas le premier document sur cette effroyable période, précédée et suivie, d’ailleurs, d’autres effroyables périodes. On espère donc que, par son caractère monumental, il contribuera à une prise de conscience du passé russe qui, malgré la Chute du Mur de Berlin,  ne s’est pas faite. Nos belles Académies occidentales en sont responsables pour une large part. Robert Conquest publiait, en 1968, The Great Terror: Stalin's Purge of the Thirties, et son travail était immédiatement discrédité par l’industrie universitaire et soviétologique.[1] Experts ou chercheurs s’étaient en effet accordés à dire que le travail de Conquest était du journalisme politique et non de la science. Jerry Hough, éminent professeur de science politique à Duke University en rajoutait, estimant qu’il n’y avait eu que 50.000 victimes du stalinisme, alors que Conquest parlait de millions. En rajoutait aussi Stephen Wheatcroft, encore un professeur d’Université, et des collègues qui, dans la Slavic Review,[2] considéraient que les travaux de Conquest n’étaient que « des estimations extravagantes dénuées de fondement scientifique, ne servant ni la science, ni la moralité »[3]

 

Ah, se référer aux fondements scientifiques, comme c’est pratique ! Grâce à eux, on peut dire n’importe quoi et rejeter tous les témoignages. Après tout, un homme qui parle ou qui, simplement vous regarde, comme Zheltikov, ce n’est pas de la science, ce n’est pas sérieux.

 

Cet ouvrage devrait être abondamment commenté sur les médias romands, notamment par la télévision. Il a en effet une iconographie impressionnante qui nous changerait des images de cuisine ou de jardinage qui abondent sur notre petit écran. Il est vrai que Nicolas Werth a été interviewé sur la RTS, mais la vidéo n’est pas disponible. Envers et contre tout, nous gardons espoir.

Jan Marejko



[1] Ce discrédit est rappelé le 20 mars 1996 par le Washington Times.

[2] Slavic Review, Automne 1985.

[3] Commentaire, No. 58, Été 1992, pp. 515-520.

5 commentaires

  1. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Mon histoire de fessée discorde avec la bonne parole. De Suède et d’ici.
    Merci « Fonjallaz » Vos lignes me rappellent que le régime s’est employé à noyauter les administration. elles me rappellent aussi un vieux souvenir, de plus de trente ans! J’ai eu en main un livre de Gramsci. En le feuilletant j’ai vu un passage ou il était question d’un projet de noyautage de l’école. Ce passage m’a interpellé, je ne sais pourquoi car j’étais loin de devenir père. L’étant devenu, et au vu de l’expérience, j’ai parcouru les six ou sept volumes des écrits de prison sans retrouver trace de ce passage. Mais le soupçon demeure. J’ai d’ailleurs été « évangélisé » par un marxiste léniniste. Ce qui fait que le jargon pseudo scientifique de la dialectique marxiste révolutionnaire ne m’est pas étranger. De plus toutes, je dis biens toutes mes relation avec enseignants et autorités (qui n’ont que le pouvoir) scolaire m’ont laissé un arrière goût de totalitarisme. De penser prêt-à-porter obligatoire. Je réprime, je le confesse, un besoin de m’épancher. Ce n’est pas le lieu.

  2. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Les éminents Professeurs raillent! Il n’y a eu « que » 50000 victimes, au lieu de 700000? Il faut oser. Ils osent, sans s’étrangler. Il est vrai que 750000 c’est un peu gros, eut égard à la bonté naturelle de… j’allais dire l’homme.
    L’autre jour, j’ai mis de côté le dernier volet de la série concernant la Suède (le Temps), en vue de prolonger l’article sur LGBT. Malheur, disparu. Mais je le retrouve, et y trouve un passage approprié à l’article de Jan Marejko.
    Je cite Ulf Nlsson, auteur de livres pour enfants : « je peux parler d’un accident de voiture avec trois morts, évoquer aussi la drogue et l’alcoolisme, car les enfants voient des gens dépendants dans la rue. Mais c’est plus difficile (étrange formulation !) de décrire des meurtres ou de la guerre, par exemple, car…
    Tenez-vous bien,
    cela sous-entend de la méchanceté.
    Pourtant, en Suède, on déteste mentir aux enfants. « Ce qui explique peut-être le côté triste ou cru de la littérature (sic : littérature)… Une crudité sans meurtres, sans 50000, ni 750000 morts. Sans Hiroshima ni Shoa !
    Je ne mentionne pas les passages que j’ai soulignés, c’est effarant ! Quoi ? vous voulez un avant-goût ? le voici : « …c’est pourquoi l’école ne fonctionne plus ; les maîtres n’ont plus d’autorité et plus personne ne veut enseigner au secondaire. Les élèves tutoient leurs profs jusqu’à l’uni. »
    Il va falloir une réforme pédagogique. Le t majuscule sera obligatoire pour « tu ». Ceci écrit, le 22 juillet fut un grand jour ! Anniversaire de ma fille, le 150ème de la naissance de mon arrière grand papa et, cerise sur le gâteau, le jour où j’ai appris ou, quand et pourquoi j’ai reçu ma première fessée, de la bouche de celle qui me l’a infligée. J’avais pissé à côté du pot. Mais ce n’est pas tout ! je demande à ma bienfaitrice si elle m’a donné une explication. Elle me répond par la négative. Je la congratule, ce jour elle a scellé mon destin !

  3. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Mephisropheles, à l’écolier.
    Mon bon ami, je vous conseille avant tout le cours de logique. Là on vous dressera bien l’esprit, on vous l’affublera de bottes espagnoles, pour qu’il trotte prudemment dans le chemin de la routine, et n’aille pas se promener en zigzag, comme un feu follet. Ensuite, on vous apprendra tout le long du jour que pour ce que vous faites en un clin d’œil, comme boire et manger, un, deux, trois, est indispensable…
    Cela ira bientôt beaucoup mieux, quand vous aurez appris à tout réduire et à tout classer convenablement.
    Et puis, il faut avant tout vous mettre à la métaphysique: là vous devrez scruter profondément ce qui ne convient pas au cerveau de l’homme; que cela aille ou n’aille pas, ayez toujours à votre service un mot technique.
    … Un mot scientifique. Le sanhédrin n’a pas changé d’un iota!

  4. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Commentaire tout simple, pour commencer, et qui s’applique à d’autres articles. Pourquoi la quote négative?

  5. Posté par FONJALLAZ le

    La Grande Terreur a été niée par un réseau d’agents staliniens encore en poste aujourd’hui. Alors qu’en France, on était dans l’euphorie du « Front populaire », il n’était pas de mise d’informer sur l’horrible situation en URSS. Et en Suisse, aucune recherche n’a été faite sur les victimes suisses de la Grande Terreur dont quelques unes sont: Paul Ruegg, Ernst Schacht (devenu soviétique et fusillé), Fritz Platten, Berta Zimmermann, Renata Steiner, etc…
    Koni Mayer avait fait une liste des Suisses liquidés en URSS, liste jamais publiée. Il ne faut pas compter sur Jost et compagnie, un réseau de professeurs dans les universités suisses au service du communisme, réseau toujours actif pour falsifier l’Histoire!!! Donc, il y a encore du travail à faire, ce qui continue de faire courageusement Nicolas Werth.
    http://www.fonjallaz.net/Communisme/N2/Komintern/suisse/

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