Avenir Suisse: nouvel avenir radieux, anglophone?

Uli Windisch
Rédacteur en chef

On pourrait aussi se demander si les dizaines de millions de francs investis par les grands acteurs économiques du pays dans ce think tank ne seraient pas plus fructueux s’ils servaient aussi à développer davantage le bi- et le plurilinguisme suisses, anglais compris. Cela assurerait un avenir à la fois national, international, et enfin, mondial, meilleur aux générations montantes prêtes à s’évader tout en gardant leurs racines et les pieds sur terre.

Après la Suisse n’existe pas, le bilinguisme n’existe pas ? Ou carrément une nouvelle forme de repentance revenant à devoir nous excuser pour nos richesses linguistiques, culturelles et interculturelles, devenues pourtant une référence quasiment mondiale ?

 

Le vendredi 7 juin 2013 la Radio suisse romande consacrait son émission Ligne directe au thème du bilinguisme.

D’innombrables travaux de recherches internationaux très rigoureux et sérieux, non guidés par la bien-pensance,  montrent les côtés positifs du bilinguisme, non seulement économique (plus de chance de trouver du travail) mais social, culturel, interculturel, même cognitif, etc.

Or voilà que le gourou romand d’Avenir suisse, Xavier Comtesse, qui a parfois des idées stimulantes et audacieuses, annoncées si possible avec force propos provocateurs, vient nous dire l’inutilité, la non efficacité de ce bilinguisme en Suisse, en ajoutant pour faire bonne mesure, que notre bilinguisme est un mythe et que les cantons ou les villes qui se disent bilingues ne le sont en fait pas du tout. Cela pour nous chanter le bonheur radieux promis par la mondialisation en marche, elle aussi forcée. Par quel moyen ce futur bonheur sans limite ? Voyons, grâce à l’anglais, évidemment.

On cite même dans l’émission un député PLR qui propose carrément de faire de l’anglais une ou la langue officielle de la Suisse. Après le gourou provoc la politique provoc ? Il arrive pourtant qu’à droite on trouve des politiciens responsables.

Vous ne rêvez pas, cher lecteurs, l’anglais devrait être notre nouvelle réalité. Effectivement, l’anglais, langue officielle,  permettrait à la Suisse de se soumettre encore plus facilement à un certain empire américain qui montre de plus en plus ses tendances autoritaires, tout en pratiquant ce qu’il interdit aux autres ; en plus, en rançonnant ces derniers à bien plaire.

Prôner inconditionnellement et unilatéralement la mondialisation et l’anglais est non seulement d’une bêtise incommensurable mais d’une grande irresponsabilité. Alors que le bilinguisme est un formidable atout linguistique, culturel et interculturel suisses, acquis progressivement au cours de l’histoire, un acquis qui est en plus pour beaucoup dans le fait que nos différentes cultures et langues vivent non seulement en paix mais a permis le développement de pratiques interculturelles et intercommunautaires riches, constructives et pacifiques. Nombre de délégations étrangères viennent même les voir fonctionner de près afin de tenter de les reproduire chez eux. Faut-il rappeler qu’ailleurs on s’entretue, on fait la guerre au nom de différences ethniques, linguistiques et culturelles ? Bien sûr, tout n’est pas parfait et personne ne prétend que le bilinguisme, les cantons et villes bilingues représentent une réalisation parfaite, idéale et indépassable. Les conflits existent partout mais peut-être que le fait de chercher à les surmonter et d’y parvenir constitue une richesse d’une valeur inestimable de notre culture de l’interculturel et de l’intercommunautaire, culture qui nous a certainement évité des déchirements meurtriers.

Il est tellement évident qu’il nous faut à la fois nos langues, notre bilinguisme, en fait notre multilinguisme, et toutes les pratiques culturelles qui vont avec, et, EN PLUS, l’anglais et l’ouverture économique, que la Suisse pratique depuis très longtemps et avec quel succès, sans qu’il ait fallu attendre le hochet ou mot-valise de la « mondialisation ».

Quand la pensée du à la fois remplacera-t-elle enfin celle dichotomique et manichéenne du ou bien ou bien. Tout le monde sait, ou presque, que l’avenir est plus riche si on réussit à le construire à partir du passé, en tenant compte de ce dernier, tout en le redéfinissant parfois ou même en abandonnant certains aspects devenus non pertinents. Ce qui est différent de ne voir dans ce passé que mythe, illusion et de le dénigrer à qui mieux mieux.

Voir dans les racines, les identités et les spécificités nationales, les frontières, que conservatisme et passéisme réactionnaire témoigne d’une pensée faible, incapable de penser la complexité et les exigences multiples et plurielles que l’anglais à lui seul, même par miracle, ne résoudra pas. Ce sera plutôt l’appauvrissement garanti au moyen d’un monolinguisme tout aussi indigent.

La manie de faire fi de nos inestimables acquis historiques, voire de les ridiculiser,  en l’occurrence en matière de langues, est donc encore en vogue même chez ceux qui sont censés réfléchir, anticiper et nous présenter les voies royales de l’Avenir Suisse.

 

Si la mondialisation, sans racines, sans cultures, sans spécificités culturelles, sans culture de l’interculturel, sans bilinguisme, en fait nous en sommes déjà à un large et puissant plurilinguisme,  est l’avenir que veut nous imposer tel think tank  avec « l’anglais pour tous et partout », il y a plutôt de quoi être inquiet pour notre avenir.

On pourrait aussi se demander si les dizaines de millions de francs investis par les grands acteurs économiques du pays dans ce think tank ne seraient pas plus fructueux s’ils servaient aussi à développer davantage le bi- et le plurilinguisme suisses, anglais compris. Cela assurerait un avenir à la fois national, international, et enfin, mondial, meilleur aux générations montantes prêtes à s’évader tout en gardant leurs racines et les pieds sur terre.

Après la Suisse n’existe pas, le bilinguisme n’existe pas ? Ou carrément une nouvelle forme de repentance revenant à devoir nous excuser pour nos richesses linguistiques, culturelles et interculturelles, devenues pourtant une référence quasiment mondiale ?

 

2 commentaires

  1. Posté par Roger H. Uldry le

    J’ai eu la chance de devoir pratiquer le bilinguisme à mon école de pilote où nous étions une minorité de romands. Nos camarades d’outre Sarine appréciaient beaucoup nos efforts pour les comprendre. Une réelle complicité s’est établie entre nous, faite d’estime réciproque. Quel plaisir de prendre leur accent et leurs expressions. Il se créait un contact particulier, enrichissant.
    Vive le quadrilinguisme (français, Allemand Suisse, Italien, Anglais)…Pour se comprendre en CH.

  2. Posté par Jan Marejko le

    S’il n’y avait que l’anglais qui faisait problème avec Avenir Suisse, ce ne serait pas trop grave, encore que ceux qui prétendent parler anglais, le plus souvent, le massacrent. Mais il y a hélas plus grave avec Avenir Suisse, notamment des rapports insipides parce qu’ils se veulent scientifiques. Personne ne les lit.

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