Guerre froide: infiltration Stasi en Suisse

Erwin Bischof
Historien et écrivain, ancien diplomate

Dans le Dictionnaire historique de la Suisse, on apprend sous la définition donnée par Brigitte Studer, historienne et professeure à l’Université de Berne pour «anticommunisme» que la conspiration communiste est un mythe politique de droite et donc un mensonge.

Selon le résultat de recherches intensives dans de nombreuses archives dont les archives de la Stasi (police politique) à Berlin et celles de la Police fédérale à Berne, l’on a la preuve aujourd’hui que le danger d’infiltration des services secrets communistes fut largement sous-estimé à l’époque et qu’il représentait un grand danger pour notre pays.

Par le biais de discussions très houleuses aussi bien au parlement que dans les médias, le public était quelque peu informé, mais certains organes comme le Conseil fédéral et la Police fédérale ou les tribunaux qui jugeaient les espions se gardaient bien de livrer des informations sensibles au grand public, ce qui se comprend tout à fait. En outre, les documents auxquels nous avons accès aujourd’hui étaient alors secrets.

 

Savoir-faire technologique volé

Comme les États de l’Est se distinguaient par un net retard technologique par rapport aux  pays de l’Ouest, des entreprises de pointe étaient des objectifs convoités par les services de renseignement. À l’exemple du couple Hans-Günter et Gisela Wolf de RDA, alias Kälin, qui réussit à s’infiltrer chez Sulzer à Winterthour. Leurs noms d’emprunt étaient «Vram» et «Veram»; ils débarquèrent en Suisse en août 1967, soi-disant en tant que Suisses de l’étranger qui voulaient renouer avec la terre de leurs ancêtres. Ils furent engagés tous les deux chez Sulzer; lui, ingénieur de formation, fut nommé responsable de l’organisation des processus de production et elle, journaliste, engagée aux relations publiques. Pendant six ans, ils envoient régulièrement à leur officier traitant à Berlin-Est des rapports sur des processus secrets d’exploitation et sur des employés haut placés de l’entreprise ainsi que sur leur cercle de connaissances. Jugés par le Tribunal fédéral à Lausanne, ils écoperont tous les deux de sept ans de prison. À leur sortie de prison, ils retournèrent en RDA où ils furent fêtés en héros. Ce fut le cas le plus spectaculaire des services secrets économiques pendant la Guerre Froide.

 

Agents de la Stasi infiltrateurs

Le service politique de renseignement était de loin le plus fréquent. Et la Stasi visait des objectifs bien précis : infiltrer les universités, l’administration, les médias et les organisations ecclésiastiques comme «Glaube in der 2. Welt».

Comme les groupements estudiantins des universités hébergeaient des organisations marxistes actives, le terrain était tout préparé pour des éléments subversifs. Les Organisations progressistes de Suisse (POCH) ont été particulièrement actives pendant cette période de la Guerre Froide, elles sont intégrées aujourd’hui en majorité dans le groupe des Verts. Le groupement POCH prenait fait et cause pour le communisme. Les espions de l’Allemagne de l’Est étaient derrière des membres POCH tel Daniel Vischer, conseiller national des Verts ZH.

 

La radio rouge

Le plus actif de ces espions fut sans nul doute Jochen Staritz alias «Robert», journaliste radio de RDA. Il connaissait des douzaines d’écrivains, des acteurs, des musiciens, des sociologues, des professeurs en Allemagne de l’Est et de l’Ouest et aussi en Suisse. Cela le prédestinait à collaborer avec la Stasi, car la RDA, État de non-droit, abhorrait les intellectuels critiques. Staritz s’est engagé par écrit à s’infiltrer dans le monde culturel suisse et à rédiger des rapports à son sujet. Il y mit beaucoup de zèle, les dossiers envoyés à Berlin étaient complets et témoignent de son rôle double: il était pour ses fans l’ami et l’ennemi : le jour, il tenait des discours très pointus entre autres à l’université de Fribourg et montait des pièces de théâtre et la nuit, il se mettait à sa machine à écrire et rédigeait des rapports sur ses nombreux admirateurs des milieux culturels et universitaires. Staritz était invité par les organisations d’extrême-gauche comme l’Association des étudiants marxistes et le groupe universitaire POCH à tendance communiste. En relation étroite avec les journalistes de la radio suisse, il nomme dans ses rapports divers «amis» qui avaient des sympathies pour la RDA. Ces contacts à la radio n’avaient rien du hasard, la radio était très souvent critiquée pour ses tendances gauchistes prononcées. Nombreux sont ceux qui critiquèrent le non-respect des dispositions législatives par les médias de la SSR, à preuve un contrat de collaboration des plus douteux avec l’organisation de radiodiffusion est-allemande signé en 1977 par le directeur général de la SSR, Stelio Molo. L’ambassadeur de la RDA en Suisse, Günther Ullrich louait dans un rapport secret à Berlin-Est la collaboration positive de la radio-télévision suisse et critiquait la «médisance et les propos haineux contre le socialisme en RDA» de la presse écrite du centre dont la NZZ. Bien des intellectuels suisses – Dürrenmatt, Frisch, Karl Barth, Jean Rudolf von Salis – se sont laissé prendre au piège de cette propagande à grande échelle, des méthodes de subversion et de désinformation des services d’espionnage d’Allemagne de l’Est. Ils louaient le communisme et invectivaient ceux qui le critiquaient, les traitant de «partisans bornés de la Guerre Froide». Des politiciens du Parti socialiste suisse comme Peter Vollmer, André Daguet, Jean Ziegler, tous trois conseillers nationaux ainsi que quelques fonctionnaires fédéraux égarés entretenaient aussi des relations étroites avec des ambassades communistes à Berne. Marcel Buttex, employé de la ville de Lausanne a fourni pendant des années, contre rémunération, des documents d’identité à l’Ambassade soviétique à Berne pour pouvoir infiltrer des agents communistes en Suisse.

Quand Staritz retourna en Allemagne de l’Est, il reçut des mains du chef de la Stasi, le général Erich Mielke, la Médaille des Frères d’Armes en reconnaissance de services rendus à la patrie.

 

L’armée suisse – une serre

Le service de renseignement militaire était réputé pour être la haute école de l’espionnage. Car il s’agissait ici d’évaluer les points forts et les points faibles de l’adversaire le plus exactement possible. Ces tâches étaient en général exercées par les attachés militaires des ambassades de l’Est qui en Suisse étaient édifiées comme des centres d’espionnage (Résidences). Dans le cas du Brigadier Jean-Louis Jeanmaire, traître à la patrie, les contacts passaient également par les attachés militaires. Le «Résident» à l’ambassade était en même temps le chef proprement dit de la représentation, et non l’ambassadeur qui n’exerçait que des fonctions formelles.

Ainsi le colonel Heinz Schäfer (1979-1984) – nom de couverture Harald – résidait à la représentation RDA à la Brunnadernstrasse 53 dans le quartier diplomatique bernois. Mais son chauffeur, Walter Bos alias le « crapaud » ou « Max » avait au moins un rôle aussi important. Il accompagnait le Colonel Schäfer à des rendez-vous secrets avec ses informateurs, il posait en de nombreux endroits des «boîtes aux lettres mortes» où les contacts pouvaient déposer des documents. Bos le chauffeur les recrutait dans les sociétés de sous-officiers, les clubs de tennis, les clubs de tirs ou encore les sociétés de gymnastique. Il avait comme mandat de photographier les aérodromes militaires de Suisse ce qui ne lui posait aucun problème en tant que promeneur débonnaire qui se balade le week-end avec caméra et bloc-notes. Les mandats écrits pour l’espionnage militaire étaient d’une extrême précision selon les paroles d’Erich Mielke: «Nous voulons tout savoir». Ces recherches intensives sur le plan militaire dans la petite Suisse neutre ne pouvaient avoir qu’un objectif: lancer une offensive contre l’Europe de l’Ouest. De tels plans d’agression des États du Pacte de Varsovie existaient, ceci est aujourd’hui prouvé, mais ils utilisaient d’habiles manœuvres tactiques pour faire croire que l’Union soviétique et ses émules n’aspiraient qu’à la paix avec la Suisse.

 

La défense suisse

L’Office de la défense générale, le Conseil fédéral ainsi que des sociétés privées ont pris le taureau par les cornes et se sont attaqués à cette problématique de la Guerre Froide et au danger de l’espionnage des pays de l’Est.

Le «Manuel de la défense civile» du Conseil fédéral publié par le conseiller fédéral Luwig von Moos, PCCS (aujourd’hui PDC), chef du Département de Justice et Police a déclenché une vive agitation politique. La gauche s’est sentie visée dans le deuxième chapitre qui parlait de «guerre psychologique». Le texte parle des dangers possibles de subversion, d’espionnage, de terreur violente, de défaitisme et de pacifisme. Le communiste genevois Jean Vincent lança au parlement «Dans la deuxième partie du livre sur la subversion, tout est faux, exagéré et choquant».

Sur la base de ce que l’on sait aujourd’hui, les scénarii du Manuel de la défense civile étaient fort pertinents en Suisse et mettaient en danger la liberté et l’indépendance de notre pays.

La Police fédérale à Berne et ses collaborateurs dans les cantons, soit quelque 350 fonctionnaires, furent la cible de vives critiques, par exemple avec ladite «affaire des fiches». Bien que la police ait commis des erreurs, vu globalement, elle a fait du bon travail. Ceci a d’ailleurs été attesté par le chef légendaire de l’espionnage RDA à l’étranger, le général Markus Wolf. Mais la plus grande reconnaissance que la Police ait reçue lui est venue du peuple suisse qui a rejeté à 75,4% l’initiative lancée par les milieux gauchistes de supprimer la police fédérale et qui a refusé massivement l’initiative populaire «S.o.S – pour une Suisse sans police fouineuse».

 

La condamnation du communisme

Ces dernières années, plusieurs organisations d’États ont condamné les crimes du communisme; le Conseil européen en 2006 a ainsi adopté la résolution 1481. Dans son mémorandum, le Conseil européen parle de 95 millions de victimes du régime totalitaire communiste.

Bien que la Suisse soit aussi membre du Conseil européen, aucune discussion fondamentale n’a eu lieu jusqu’à ce jour sur les crimes communistes, sur les sympathisants et les informateurs ainsi que sur les terroristes rouges. Il serait temps de rendre hommage à cette multitude de victimes du communisme tout comme on l’a fait pour les victimes du nazisme.

Erwin Bischof

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