Trop de droits sans boussole

Jacques-Simon Eggly
Jacques-Simon Eggly
Ancien Président des Suisses de l'étranger, ancien CN, journaliste
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« Eh bien, même si c’est presque devenu politiquement incorrect ayons ici l’audace de dire que c’est le règne de la confusion non seulement des genres mais aussi des repères et que c’est un ferment de déstabilisation à long terme. »

La société évolue, donc les repères, les critères, les normes aussi. Faut-il pour autant conclure que toute demande nouvelle, toute revendication doivent être saluées du qualificatif de progrès et qu’il faille les consacrer officiellement ? Le fait que beaucoup l’attendent est-il un argument suffisant pour le faire ? Et si même la pression devient trop forte pour y résister purement et simplement, le frein tiré par les conservateurs n’est-il pas un garde fou salutaire ? Voilà des questions légitimes. Prenons deux exemples illustratifs.

On a l’impression qu’il deviendrait inconvenant, discriminatoire de ne pas marier des couples homosexuels au même titre, de manière équivalente à ce qui prévaut pour les couples hétérosexuels traditionnels. Même amour, même engagement, mêmes effets donc ; on choisit sa forme de couple. On peut s’étonner que des homosexuels tiennent tant à cette reconnaissance officielle alors que tant de couples traditionnels renoncent au mariage, tant civil que religieux. Mais admettons que cette reconnaissance, gage de non discrimination morale et mentale à leurs yeux, soit importante pour eux. Il y avait une solution que le Parlement suisse avait choisie : le PACS. Or, naïfs ont été ceux qui pensaient, - dont le signataire de ces lignes - que cette solution serait suffisante pour longtemps : acte officiel mais non pas équivalent à tous égards. La différence se référait à une distinction pourtant logique. Le mariage entre un homme et une femme est potentiellement et le plus souvent porteur d’une famille. Autrement dit, des enfants avec un père et une mère identifiables, un repère masculin et un repère féminin constitutif d’une personnalité. Alors on vient nous dire que tant de familles sont recomposées et que souvent des enfants sont abandonnés ou maltraités par leurs géniteurs. Le seul critère important serait le désir d’enfant et la volonté de s’en occuper. Comme si le droit à l’enfant devait primer sur tout et si toutes les formes de parentalité s’équivalaient pour autant qu’il y ait de l’amour. Dans cette logique, d’où la naïveté évoquée plus haut, la revendication s’affirme. Deux hommes ensemble, deux femmes ensemble auraient le droit , non pas de faire ensemble, chose impossible, mais d’obtenir des enfants. Adoption, insémination d’une des femmes en couple, et pourquoi pas recours à une mère porteuse bien rétribuée… Après tout, pourquoi s’arrêter à une limite. Puisque les couples traditionnels se marient avec la possibilité de faire des enfants, il serait discriminatoire que les couples autrement ne puissent en avoir, autrement.

Eh bien, même si c’est presque devenu politiquement incorrect ayons ici l’audace de dire que c’est le règne de la confusion non seulement des genres mais aussi des repères et que c’est un ferment de déstabilisation à long terme. Il y a confusion entre la liberté des gens à vivre comme ils l’entendent, sans la moindre réprobation morale et la reconnaissance officielle de ces manières de vivre avec toutes leurs conséquences. Non, tout n’est pas équivalent à tout et refuser la confusion n’est pas faire œuvre de discrimination.

Autre illustration plus subtile : l’euthanasie. En Suisse, on permet l’assistance au suicide. Celle-ci est exclue dans certains hôpitaux et aucun médecin n’a l’obligation de cette assistance. Pour les médecins, cette affaire est d’ailleurs très délicate. Heureusement, il y a un grand développement des soins palliatifs, contre les douleurs prodigués aux malades incurables. L’euthanasie elle-même, c'est-à-dire le fait de donner la mort, est illégale en Suisse. Toutefois, si la demande vient d’un malade lucide mais incapable de se la donner à lui-même, même avec assistance, et si le donneur de mort à ce moment là n’est mû que par la compassion et des sentiments altruistes et désintéressés, il pourra ne pas être puni. Avouons que la ligne rouge est ténue et que les repères ne sont pas faciles à établir. Pour un Gouvernement et un Parlement, c’est une tâche bien délicate. Il faut accepter l’idée d’une zone un peu floue qui appartient au secret d’une relation entre un patient, son médecin voire l’entourage familial. La professeur de philosophie Jeanne Hersch parlait du risque d’escamoter la fin de vie et ce passage de la vie à la mort qu’elle estimait être essentiel pour l’homme. Cela mérite réflexion. En tout cas, ne faut-il pas résister à une pente qui conduirait à rendre facile, presque banale l’euthanasie ? Ce serait nous éloigner encore davantage de nos racines spirituelles, que l’on soit croyant ou non.

Finalement, on voit la nécessité d’une exigence dans l’approche des grandes questions qui surmonte l’obsession de la non discrimination excluant toute distinction et la facilité de faire jaillir des droits et des libertés sans repères : droit à l’enfant, banalisation des étapes les plus subtiles et mystérieuses de la vie, jusqu'à la mort.

Première publication sur jseggly.blog.tdg.ch/

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