Interview de Joël Dicker

de Clavière Geoffroy
de Clavière Geoffroy
Secrétaire PLR Genève
post_thumb_default

C’est donc le Grand prix de l’Académie française qui récompense le roman à succès, le best seller de Joël Dicker. Rencontre avec l’ancien assistant parlementaire du groupe : libéraux & indépendants de la Constituante, déroutant de simplicité.

Geoffroy de Clavière : Comment vis-tu l’extraordinaire succès de ton 2ème roman et la surexposition médiatique qui en découle ?

Joël Dicker : Très simplement et très bien. C’est assez extraordinaire dans tous les sens du terme. C’est hors de ce qui doit se passer et donc je le prends simplement. D’autant que ça ne durera peut-être pas. C’est peut être le seul livre que j’écris et je ne me pose pas trop de questions et j’essaye de vivre pleinement ce qui m’arrive.

GdeC : Les médias romands te considèrent comme un porte-drapeau de la Romandie, qu’en penses-tu ?

Joël Dicker : J’en suis fier, c’est un honneur. Moi, je n’ai aucune revendication mais je suis flatté que l’on me considère comme une sorte d’ambassadeur. Je me dis que si j’arrive à construire quelque chose dans les 10 prochaines années, et bien peut être qu’à ce moment-là on pourra me voir dans ce rôle. C’est une mise en lumière soudaine qui permet d’attirer l’attention sur la littérature romande, tant mieux, mais pour moi, tout reste à faire.

GdeC : Ton personnage Markus Goldmann est-il une sorte d’épigone de Joël Dicker ?

Joël Dicker : Non. Absolument pas. Au contraire car je pensais à un écrivain à succès alors qu’à ce moment là, on m’avait déjà refusé plusieurs manuscrits. Et je me suis dit qu’il était préférable d’écrire un livre sur un auteur à succès plutôt que le contraire. Ca avait beaucoup plus de sens. Et je me suis lancé dans ce pari. Il y a peut être une similitude dans l’abnégation, cette envie de travailler dur en y mettant beaucoup de cœur. Le succès du livre de mon personnage et le mien n’est que le fruit du hasard. Le contraire aurait pu se produire et personne n’en aurait parlé. Le hasard et la chance font que le livre marche et soudain cela devient prophétique mais, bien entendu, ça n’est pas le cas. C’est comme une prophétie qui est annoncée après coup.

GdeC : Harry Québert est un personnage assez sombre. Quelle fut ton approche concernant sa construction, sa personnalité ?

Joël Dicker : C’était important de ne pas être trop manichéen. Jean-Louis Kufer m’a livré cette citation : Dans les romans, tous les personnages ont raison. Et c’est vrai ! C’était important que l’on puisse connaître la démarche du personnage et si, à la fin du livre, le lecteur l’accepte tel qu’il est, alors pour moi, c’est réussi.

GdeC : Au fond, que ce soit anodin ou lourd de conséquences, beaucoup de personnages ont des choses à se reprocher. Alors : tous coupables ? L’enfer c’est les autres ?

Joël Dicker : On a tous des choses à se reprocher. Et puis c’est un livre, une histoire. L’exagération est nécessaire. Et les personnages qui gravitent autour de l’affaire portent de lourds secrets et dès le début on est dans l’exagération car le succès incroyable de Markus Goldmann est improbable, tant il y a peu d’auteurs qui vivent de leur plume. Donc on est immédiatement dans un contexte d’amplification qui est indispensable à l’histoire, tout simplement. Sinon ça ne marche pas. Le roman est une exagération. On n’est pas dans le Huis-clos de Sartre mais dans un petit village, une jeune fille disparaît et les codes dramaturgiques sont beaucoup plus classiques. L’objectif étant de créer une intrigue.

GdeC : Le personnage de la mère juive du héros est proche de la caricature, c’est un ressort comique que tu as voulu introduire ?

Joël Dicker : Exactement. Le livre pourrait exister en supprimant tous les passages avec la mère, sans que cela ne change rien. C’est un personnage qui apporte quelque chose au lecteur mais pas à l’intrigue. C’est une respiration, un entracte avec cette mère un peu caricaturale. C’est drôle, c’est tout.

GdeC : On a déjà évoqué ensemble ton processus de construction d’un roman : pas de plan…

Joël Dicker : Pas de plan !

GdeC : Pas de construction approfondie des personnages… 30 versions du roman. En fait, comment procèdes-tu ? Quelle est ta méthode ?

Joël Dicker : Il n’y a pas de recettes, pas de méthode particulière. S’il y en avait… Ca se saurait. Ma méthode consiste néanmoins à se faire confiance et d’avancer. C’est valable pour ce qui est « bien » comme pour ce qui ne l’est pas et que je dois donc supprimer. C’est un travail qui est long, parfois décourageant car il arrive que les 50 pages que j’ai écrites durant la semaine écoulée sont à « jeter ». Mais effacer ces pages ne constitue pas une marche arrière mais au contraire une marche vers l’avant. Et tant que je suis capable d’avancer ainsi et de me remettre en question, capable de juger du bon et du moins bon, je pense aller dans la bonne direction.

GdeC : Claude Chabrol précisait que pour construire un scénario ou un roman criminel il faut avoir un plan mathématique dans la tête.

Joël Dicker : C’est exact. J’ai probablement un plan dans ma tête. Je sais où je vais mais sans suivre un plan. Je ne sais pas exactement où je vais mais je ne suis jamais perdu. C’est toute la nuance. Je ne suis jamais perdu. Je tâtonne et j’avance.

GdeC : Tu parles de 30 versions du roman.

Joël Dicker : Oui, c’est ça. Je pense avoir supprimé 3 ou 400 pages. Le corps du roman a évolué d’une version à l’autre.

GdeC : Peux-tu nous parler de cette région des USA, que tu connais bien pour y avoir séjourné ?

Joël Dicker : Oui je connais bien cette région, celle du Maine, les Etats côtiers de la Nouvelle Angleterre parce que j’y passe environ un mois par an, durant les vacances, depuis 20 ans. J’ai de la famille à Washington DC et ils ont une maison dans le Maine. J’avais envie de raconter cette région. L’histoire aurait pu se dérouler n’importe où, mais une distance géographique me semblait importante.

GdeC : 2 ans d’écriture, comment as-tu procédé ? Tu es allé sur place régulièrement, pris des photos, effectué des repérages ?

Joël Dicker : 2 fois, en fait. Je l’ai notamment traversée, la 2ème fois. Et puis j’ai tous mes souvenirs. J’ai utilisé quelques photos, oui.

GdeC : Comment t’est venue cette excellente idée qui consiste à démarrer chaque chapitre par des conseils (30 en tout) distillés par le personnage Harry Québert ?

Joël Dicker : C’est venu petit à petit dans le processus d’écriture. De façon irrégulière.

GdeC : Peux-tu nous parler de cette fameuse mise en abîme, le roman dans le roman, et les croisements de plusieurs œuvres de fiction à l’intérieur de ton récit ?

Joël Dicker : C’est un mélange car, comme tu le dis, on ne sait plus très bien où est le roman de Dicker, celui de Goldmann et enfin celui de Québert, Les origines du mal… etc. Donc j’utilise le flash-back mais c’est un exercice périlleux, il ne faut pas que le lecteur s’égare.

GdeC : Les origines du mal, un des romans dans le roman… se présente sous une forme assez romantique. C’est un pari osé d’adopter un tel style ?

Joël Dicker : Je me suis demandé si ce côté sirupeux n’était pas une faiblesse, mais ça créait une rupture avec le reste de la narration et, en fin de compte, avec l’éditeur, nous avons décidé de conserver cette forme. Ca permet de créer un autre style. Ca crée une rupture.

GdeC : Comment as-tu allié ton travail d’assistant parlementaire à la Constituante avec ton activité d’auteur ? D’autant qu’il y a des politiciens dans ta famille ?

Joël Dicker : J’ai choisi ce travail à 50% car ça me permettait de dégager le temps restant pour écrire. C’était une grande chance. La politique était une expérience intéressante mais je trouve que le système de milice a ses limites. Avoir une activité professionnelle et être un élu en même temps n’est pas facile, car il faut trouver un équilibre entre son métier et la fonction d’élu du peuple. Mais c’est un ancrage historique du système démocratique suisse. Mon arrière grand-père, Jacques Dicker était Conseiller national socialiste et mon oncle, Michel Halpérin, député au Grand conseil.

www.joeldicker.com

Et vous, qu'en pensez vous ?

Poster un commentaire

Votre commentaire est susceptible d'être modéré, nous vous prions d'être patients.

* Ces champs sont obligatoires

Avertissement! Seuls les commentaires signés par leurs auteurs sont admis, sauf exceptions demandées auprès des Observateurs.ch pour des raisons personnelles ou professionnelles. Les commentaires sont en principe modérés. Toutefois, étant donné le nombre très considérable et en progression fulgurante des commentaires (259'163 commentaires retenus et 79'280 articles publiés, chiffres au 1 décembre 2020), un travail de modération complet et exhaustif est totalement impensable. Notre site invite, par conséquent, les commentateurs à ne pas transgresser les règles élémentaires en vigueur et à se conformer à la loi afin d’éviter tout recours en justice. Le site n’est pas responsable de propos condamnables par la loi et fournira, en cas de demande et dans la mesure du possible, les éléments nécessaires à l’identification des auteurs faisant l’objet d’une procédure judiciaire. Les commentaires n’engagent que leurs auteurs. Le site se réserve, par ailleurs, le droit de supprimer tout commentaire qu’il repérerait comme anonyme et invite plus généralement les commentateurs à s’en tenir à des propos acceptables et non condamnables.

Entrez les deux mots ci-dessous (séparés par un espace). Si vous n'arrivez pas à lire les mots vous pouvez afficher une nouvelle image.