Ne brûlons pas les étapes énergétiques!

Bruno Pellaud
Bruno Pellaud
Physicien
post_thumb_default

Le peuple saura juger sur pièce. Ce qu’on nous propose n’est pas un développement rationnel s’inscrivant dans le cadre d’une solide économie libérale (qui en Suisse continue de prévaloir officiellement, non ?) ; c’est encore moins un « Plan quinquennal prolongé » que les communistes d’antan savaient …

 

L'approvisionnement en électricité fiable et bon marché pratiqué jusqu'à maintenant – un facteur vital de la prospérité suisse – est trop important pour le laisser à l'inculture du Nouveau Centre…

 

Première étape: L'initiative des Verts veut limiter à quarante-cinq ans par voie politique la durée d'exploitation des centrales nucléaires, au lieu des soixante ans et plus qu'autorisent les considérations techniques de sécurité, seules pertinentes. Cette initiative sera rejetée. Quarante années d'histoire référendaire nucléaire l'annoncent. Bonne prémisse pour la suite…

 

Deuxième étape: Les décisions du Parlement concernant l'énergie [Stratégie énergétique 2050 du Conseil fédéral] devront néanmoins s'inscrire dans un contexte législatif compatible avec la Constitution. Le centre gauche va tenter de passer en force avec des propositions draconiennes en matière d'économie d'énergie et de sortie du nucléaire, mais en évitant de provoquer une modification de la Constitution, ce qui exigerait la double majorité du peuple et des cantons. On peut même s'attendre à la préparation de plusieurs lois – la tactique du salami – pour prévenir un échec programmé devant le peuple d'un texte complet et unique, un texte couvrant un amalgame très coûteux d'économies forcées d'énergies fossiles, de taxes écologiques, de bureaucratie, de mise à l'écart des cantons, de subventions multicouches à n'en plus finir et de sortie du nucléaire. Référendum, il y aura.

 

Car, le peuple saura juger sur pièce. Ce qu'on nous propose n'est pas un développement rationnel s’inscrivant dans le cadre d'une solide économie libérale (qui en Suisse continue de prévaloir officiellement, non ?) ; c'est encore moins un « Plan quinquennal prolongé » que les communistes d'antan savaient quelquefois mener à terme avec vigueur (une approche dont rêvent nos intellectuels de gauche aux mains immaculées) ; non, ce n'est qu'un plan de pacotille, ou, pour citer le rédacteur en chef de la Basler Zeitung Markus Somm : «Ce que nous a présenté le Conseil fédéral, c'est une sorte de vaudou : au lieu de faits vérifiables et mesurables prévaut la magie verte. Nous avons besoin de moins d'électricité, car nous avons besoin de moins d'électricité. Nous vivons de soleil et d'air pur, parce que nous le voulons. Pourris par la prospérité, nous sommes dans l'ère des rêveurs et des guérisseurs. Mais à la fin viendra le dégrisement»

 

Après le dégrisement suivra la gueule de bois. Il faut par conséquent laisser la porte ouverte à l'option nucléaire pour éviter le pire, comme l'a pertinemment énoncé la Neue Zürcher Zeitung: « … pourquoi interdire dans la loi de nouvelles centrales nucléaires,  puisque selon Doris  Leuthard  une nouvelle centrale ne trouverait de toute manière pas grâce devant le peuple. Conserver l'option nucléaire permettrait d'aborder l'avenir avec plus de flexibilité – d'une part pour observer l'évolution des technologies nucléaires – et d'autre part pour corriger  un échec possible des mesures maintenant proposées. Cette option resterait bien évidemment soumise aux décisions du Conseil fédéral, du Parlement et au droit référendaire,  auquel  on pourrait  ajouter  une meilleure couverture des risques (vérité des coûts). Pour l'instant, la voie suivie reflète plus une politique d'autruche de refus et de renvoi à plus tard de décisions politiquement douloureuses. L'approvisionnement en électricité fiable et bon marché pratiqué jusqu'à maintenant – un facteur vital de la prospérité suisse – est trop important pour le laisser à l'inculture du Nouveau Centre… ». Bien dit.

 

Troisième étape: Un autre référendum sera soumis au vote populaire ces prochaines années, au sujet du choix d'implantation du dépôt souterrain de déchets radioactifs. C'est l'administration fédérale qui est en charge du dossier politique relatif au choix final de ou des sites d'implantation, c'est-à-dire de la ou des communes concernées. Par le biais du Plan sectoriel, le processus avance lentement mais sûrement. On peut s'attendre à une décision du Conseil fédéral vers 2017, à une confirmation du Parlement sous forme de loi vers 2019 et à un vote référendaire vers 2020. Malgré l'opposition du canton d'implantation, le choix officiel sera sans doute approuvé par les votants en Suisse alémanique et en Suisse romande; même Genève n'aura probablement pas d'objection à ce que les déchets radioactifs de son hôpital universitaire soient enfouis dans le sous-sol suisse alémanique !

 

Ne pas brûler les étapes et ne pas rater le virage. Lors d'une conférence à Martigny le 3 octobre 2012, le professeur de gestion des systèmes énergétiques, Hans Björn Püttgen, de l'École polytechnique fédérale de Lausanne se demandait si le virage énergétique devait obligatoirement impliquer une sortie du nucléaire, rejoignant ainsi la Neue Zürcher Zeitung. Il conclut ses propos par une prudente observation de l’ histoire de l'énergie: « Les virages énergétiques ne peuvent se faire que lentement ». À méditer.

 

 

[Nucléaires : relançons le débat - Il y a de l’avenir, malgré Fukushima - Bruno Pellaud – Paru le 7 novembre 2012 – Éditions Favre - 15 x 23,5 cm –  216 pages. Le journal économique AGEFI voit dans ce livre "… un argumentaire circonstancié et nuancé préfacé par l'ancien ministre suédois des Affaires étrangères Hans Blix..". "Ce livre … fait surtout penser que le débat politique sur l'abandon du nucléaire en Suisse (et peut-être en Allemagne) n'est pas derrière, mais devant."]

 

 

 

Et vous, qu'en pensez vous ?

Poster un commentaire

Votre commentaire est susceptible d'être modéré, nous vous prions d'être patients.

* Ces champs sont obligatoires

Avertissement! Seuls les commentaires signés par leurs auteurs sont admis, sauf exceptions demandées auprès des Observateurs.ch pour des raisons personnelles ou professionnelles. Les commentaires sont en principe modérés. Toutefois, étant donné le nombre très considérable et en progression fulgurante des commentaires (259'163 commentaires retenus et 79'280 articles publiés, chiffres au 1 décembre 2020), un travail de modération complet et exhaustif est totalement impensable. Notre site invite, par conséquent, les commentateurs à ne pas transgresser les règles élémentaires en vigueur et à se conformer à la loi afin d’éviter tout recours en justice. Le site n’est pas responsable de propos condamnables par la loi et fournira, en cas de demande et dans la mesure du possible, les éléments nécessaires à l’identification des auteurs faisant l’objet d’une procédure judiciaire. Les commentaires n’engagent que leurs auteurs. Le site se réserve, par ailleurs, le droit de supprimer tout commentaire qu’il repérerait comme anonyme et invite plus généralement les commentateurs à s’en tenir à des propos acceptables et non condamnables.

Entrez les deux mots ci-dessous (séparés par un espace). Si vous n'arrivez pas à lire les mots vous pouvez afficher une nouvelle image.