Le complexe d’Orphée

Jean Romain
Jean Romain
Ecrivain, philosophe, député PLR GC Genève

Les yeux braqués vers un futur nécessairement meilleur que le présent et a fortiori que le passé, l’homme du progrès, de gauche comme de droite, est condamné à inventer son avenir inévitablement radieux. On se souvient qu’Orphée, dans le mythe, ne pouvait pas regarder derrière lui …

Alors que la France vient d’élire un président socialiste dont le slogan de campagne était « Le changement, c’est maintenant », Jean-Claude Michéa fait, lui l’homme de gauche, une critique du progrès dans un essai décapant : « Le complexe d’Orphée ». Par progrès, l’auteur entend cette idéologie qui affirme que la société progresse, et que cette évolution est inéluctable et irréversible. Parler de décroissance, de démondialisation ou de retour à des valeurs traditionnelles, n’a aucun sens dans cette vision. Les yeux braqués vers un futur nécessairement meilleur que le présent et a fortiori que le passé, l’homme du progrès, de gauche comme de droite, est condamné à inventer son avenir inévitablement radieux. On se souvient qu’Orphée, dans le mythe, ne pouvait pas regarder derrière lui sous peine de perdre à jamais la femme qu’il était allé rechercher aux Enfers.

Progressisme et libéralisme sont liés au cœur de la modernité. En effet, le libéralisme a délégué au marché la tâche de la main invisible pour guider les choses vers un avenir meilleur, et de ce fait a soustrait à la politique, à la religion, à la morale ou à la philosophie le rôle de trouver une solution aux grandes difficultés que rencontre l’humanité. Dans la vision actuelle, c’est le développement de l’économie qui est devenu la clé de l’énigme de l’histoire, et donc le principe central de l’évolution des sociétés.

Depuis trois siècles, la modernité s’est inscrite dans cette religion du progrès, et l’optimisme progressiste ne fait guère de place au scepticisme. Qui n’avance pas recule ! Un homme de gauche éprouve une vraie terreur à l’idée que quelque chose ait pu aller mieux avant (l’école par exemple). Celui qui regarde derrière lui est soupçonné de réaction ; c’est un beauf, un attardé. L’implicite moderne est l’évidence du progrès et, poussé à l’extrême, cela dénature la notion de limite ou de frontière. On peut toujours aller plus loin, plus vite, mieux, tant et si bien que l’idée même de frein est apparue comme insupportable. Ainsi pour n’importe quel problème de société, devant tout ce qui fait débat parce qu’il existe des arguments pour et contre (le mariage gay, les enfants dans les couples homosexuels, le suicide assisté, etc.) le libéral de gauche n’a qu’une seule réplique : « je ne comprends pas qu’en 2012 on puisse encore penser cela », comme si le simple mouvement de l’histoire résolvait tout problème philosophique. Le libéral progressiste n’est ainsi jamais confronté à des idées justes ou fausses, décentes ou indécentes, à propos ou mal à propos, mais seulement à des idées qui relèvent de telle ou telle date.

Michéa met le doigt sur la moins contestée des idéologies de notre temps : la croyance au progrès. Cette croyance est composée d’un enchevêtrement de préjugés qui forment un complexe, une véritable descente aux enfers.

 

Un commentaire

  1. Posté par Emanuel Müller le

    Le sujet du progrès a de multiples embranchements. Dans la psychologie de l’être humain, il y a un lien entre créativité et volonté de se dépasser, qui l’amène à chercher à optimiser ce qui fonctionne déjà, et à trouver des solutions aux problèmes non-résolus. L’expression « reculer pour mieux avancer », capture une autre dimension, voisine du « progrès », et qui évoque le processus de retour au passé, pour éclaircir les difficultés présentes. Un piège est la notion d' »acquis » auquels on s’accroche parfois, en oubliant que nous sommes dans des processus d’essais et d’erreurs, sur le plan individuel et collectif, et qu’il ne faut pas hésiter à reculer/régresser, pour mieux avancer/progresser. Cela est analogue à une promenade en forêt (sans GPS), où il est raisonnable de revenir sur ses pas, plutôt que de s’entêter sur un chemin qui semble ne pas correspondre à nos attentes, à notre but. On peut résumer cela par la phrase « Le futur est une régression progressiste. », où l’on est obligé de constamment adapter les nouvelles idées ou les nouveaux faits, à ce qui a fait ses preuves dans le passé.

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