Les mécomptes de l’antifascisme

Olivier Meuwly
Olivier Meuwly
Historien, écrivain
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« A force de débusquer une menace fasciste derrière toute prise de position libérale, procapitaliste ou simplement conservatrice, ce discours s’est transformé en gigantesque écran de fumée »

« Plus jamais ça ! » : telle fut la prophétie lancée au soir de la Première Guerre mondiale, conclusion crépusculaire de l’hégémonie européenne sur le monde. On sait ce qu’il advint. Moins de trente ans plus tard, les armées, mais cette fois du de toute la planète ou presque, remontaient au front, pour un massacre généralisé et accompagné de l’un des crimes collectifs les plus odieux de l’histoire humaine : l’holocauste. Avant que les crimes du communisme n’apportent leur désastreuse contribution à l’horreur du XXème siècle.

Au lendemain de ce second conflit mondial, on se gardera de répéter pareille incantation. Mais tout fut mis en œuvre pour éviter qu’un désastre de cette ampleur ne se reproduise, avec des succès divers. Parmi les outils élaborés pour protéger le monde d’une nouvelle dérive figure la construction d’un discours antitotalitaire omniprésent. A juste titre. La révolte soixante-huitarde se nourrit abondamment de cette angoisse d’un retour des démons rouges et bruns. Dans le discours politique, ce refus de tout totalitarisme s’est exprimé à travers un combat anticommuniste de tous les instants, auquel s’est ralliée, jusque dans les années 70 en tout cas, une grande partie de la social-démocratie, et une croisade antifasciste endiablée.

Evangile

A gauche, cependant, le discours antifasciste a fini par occuper une telle place qu’il s’est hissé au rang d’évangile moral duquel dépendait l’entier de son analyse de l’évolution du monde. Si ce combat était bien entendu nécessaire, il a hélas rapidement tourné à vide. A force de débusquer une menace fasciste derrière toute prise de position libérale, procapitaliste ou simplement conservatrice, ce discours s’est transformé en gigantesque écran de fumée, noyant toute vision politique de la gauche dans un monothématisme de plus en plus déphasé rapport à une réalité sociale mouvante, de plus en plus complexe, exposée à l’évolution du capitalisme à la fois libéral et libertaire dans les années 80. Las, les partis n’avaient plus les moyens de l’appréhender, faute de s’être donné les instruments d’analyse adéquats.

Preuve d'une permanence

La dureté sociale et économique croissante se marie en effet, et de plus en plus, avec une soif de liberté sans mesure dans un mélange détonant, et qui n’avait plus grand-chose à voir avec les présupposés d’un antifascisme certes indispensable, mais historiquement daté. Surtout, la phobie antifasciste, cette propension à percevoir l’hydre fasciste derrière toute position jugée à droite a non seulement émasculé le discours de droite, lassé d’être fustigé à tout bout de champ, mais a rendu l’opinion publique aveugle face aux changements en profondeur à l’œuvre dans le corps social.

Ainsi le retour à l’idéal patriotique, systématiquement assimilé à une résurgence du nationalisme disqualifié a priori, a été considéré comme la preuve d’une permanence fasciste, alors qu’il ne constituait qu’une réponse aux bouleversements induits par l’évolution de la société moderne. Si le nationalisme peut être malsain, la nation demeure une référence psychologique majeure à la construction d’une identité collective

Manichéisme anesthésiant

Le discours antifasciste a ainsi fini par se dévorer lui-même. Les résultats sont accablants. Ce déni d’une réalité qu’il aurait fallu aborder au-delà des chablons extirpés d’une analyse « définitive » des années 40 a emprisonné le débat public dans un manichéisme anesthésiant : tout ce qui n’est pas de gauche est fasciste, tout ce qui entend penser la nation expurgée de ses germes de dégénérescence possibles est dévalorisé. Résultat : des mouvements porteurs de message d’une droite de plus en plus dure ont pu émerger, sans que l’on puisse réagir.

On croyait l’opinion publique vaccinée contre toute idée de ce type, c’est le peuple qui s’est exprimé, en osant des distinctions que d’aucuns ne s’appropriaient plus. « Opinion  publique » et « peuple » ne sont pas synonymes.

Si la Suisse, grâce à la démocratie directe, est relativement épargnée, si l’Allemagne est protégée par son histoire, on est en droit d’être plus inquiet pour d’autres pays européens. A force de dénoncer le fascisme sans autre explication, les gens ont fini par s’habituer à des formes d’intolérance de droite (celle de gauche est un autre sujet) qui ne ressemblent pas au modèle « fasciste » historique mais qui peuvent causer d’importants dégâts sociétaux.

L’extrême droite ne s’habille plus avec des chemises uniformes et ne réclament plus, globalement, une fidélité absolue à un quelconque « Führer ». Il faut donc manœuvrer différemment contre une philosophie politique que l’on se doit de contester.

Sortir des vieux discours

Beaucoup appellent gauche et droite « raisonnable » à constituer des « fronts républicains » contre tous les mouvements d’extrême droite ou présumés tels. Ce type d’appel, pour « moral » qu’il paraisse, mais brandi à tort et à travers, ne servira qu’à lasser la population, en attisant une mauvaise conscience qui sera de moins en moins comprise, et supportée.

Pour lutter contre l’extrême droite, il faut commencer par sortir d’un discours antifasciste éculé, et attaqué ses thèses pour ce qu’elle recèlent de nauséabond et de pervers, et non en les arrimant à un passé que non seulement ses adhérents, mais aussi ses adversaires, ne saisissent plus.

L’antifascisme des années 60, porteur d’un contenu éthique, s’est progressivement étiolé, discrédité par la simple utilisation politique, et idéologiquement marquée, dont il a été l’objet. Tout discours qui se nourrit de ses propres évidences devient, au bout du comte, inopérant !

2 commentaires

  1. Posté par Dominique Bianchi le

    Pasolini, ce grand artiste polémiste véritablement libre, souvent adulé par une gauche qui ne devait pas l’avoir très bien compris à écrit au sein de ses fameux « Ecrits corsaires » dans les années 70 que:
     » La manipulation de l’opinion passera dorénavant par la création d’un anti.fascisme qui à pour objet un fascisme archaïque qui n’existe plus et qui n’existera plus jamais. »
    50 ans plus tard, nous commençons enfin à réaliser la véracité de cette assertion visionnaire et en tirer les conséquences. Le constat du cinéaste Italien est heureusement en train de se propager dans nos médias et il apparaît progressivement sur les sites et les blogs de la « gauchoisie » européenne par la voix d’innombrables intervenants dont le nombre ne cesse de croître et qui sont exaspérés ou las d’un antifascisme primaire qui, à mon avis, est en train d’entamer son chant du cygne sous les coups de bec de la raison et de l’analyse.
    Le constat et l’analyse très pertinente d’Olivier Meuwly commencent a se révéler aux yeux d’une population qui ne se laisse plus manipuler aussi facilement qu’autrefois. Grâce, en outre, aux informations qui échappent à la doxa des médias officiels et dont ils ont un libre accès par internet.

  2. Posté par Pierre Arnault de Chassispoulet le

    Les medias, agence de presse en tête nous diffuse la bonne nouvelle concernant les gentils anarchiste « plus de 4000! » se réunissent pour une agappe festive et familliale à St. Imier! Les journalistes posent des questions « sympa », cool cool comme si les anarchiste étaient de joyeux lurons, la fleurs à la boutonnière, on croit rêver! Qu’en 100 nationalistent se retrouvent au Grütli, la presse unanimes crient au scandales, le conseil de sécurité de se réunir de l’ONU doit se réunir, toute la gauche y compris l’e PDC montent aux barricades. Parcontre les 4000 anarchistes en Suisse ne touchent personne, pas un mot, silence radio! On croit rêver, il ne manque plus qu’un message de bienvenue du conseil fédéral avec vin d’honneur et hymne national.

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