Roger Koeppel analyse la stratégie des Verts, qui feignent de ne pas désirer le pouvoir

Claude Haenggli
rédacteur/traducteur, Berne, Suisse

Roger Koeppel analyse la stratégie des Verts, qui feignent de ne pas désirer le pouvoir

 

Dans son éditorial de la Weltwoche, Roger Koeppel rappelle, par rapport aux minauderies de Verts concernant une candidature au Conseil fédéral, que la ruse suprême n'est pas seulement de cacher sa volonté de pouvoir, mais de tout faire pour que l’on ne soupçonne pas qu’il s’agit d’une ruse. Le jésuite et professeur d’université espagnol Baltasar Gracián (1601-1658) a résumé cela en une maxime limpide : «On ne doit pas te prendre pour un imposteur, même si l’on ne peut pas vivre aujourd’hui sans en être un. Ta ruse suprême doit être de cacher ce qui semble être une ruse.»

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La ruse suprême

Éditorial

Exercice d’abnégation et d’humilité, inédit dans son ampleur. Les Verts suisses n’ont tout simplement pas le cœur à revendiquer clairement un siège au Conseil fédéral après leur triomphal succès électoral. Tantôt oui, tantôt non. Et puis oui. On tergiverse, on minaude, on coquette.

Les Verts allemands tournent aussi autour du pot. Chancelier? Oui ou non? Et si oui, qui? Ils ont du mal à se décider. Les deux co-chefs Robert Habeck et Annalena Baerbock s’évertuent à tant d’abnégation, à tellement porter l’autre aux nues que la force leur manque probablement pour trancher la question d’une candidature au poste de chancelier. Le duo à la tête du parti témoigne de la faiblesse délibérée du leadership.

Mais à droite, les choses ne semblent pas aller beaucoup mieux non plus. L’AfD attaquée de toutes parts est encore plus hostile à l’autorité que les Verts allemands. La droite n’a pas seulement deux chefs, elle en a trois, un «méli-mélo d’individus» qui veulent bien diriger le pays, mais pas eux-mêmes. Faut-il avoir peur d’un parti qui est si peu à la hauteur de sa propre force?

Chose étonnante, les médias trouvent sympathiques les politiciens qui prétendent se soucier de tout sauf du pouvoir. Habeck est une superstar en Allemagne. En Suisse aussi, la plupart des journalistes votent vert. Moritz Leuenberger, ancien conseiller fédéral PS, lisse et sarcastique, en a été le pionnier acclamé en Suisse. Il a prononcé des discours subtils et fait l’éloge de son soi-disant dégoût du pouvoir qu’il n’a ensuite plus voulu quitter.

Même si cela le faisait rire, il a quand même presque fallu à la fin le porter pour le faire sortir de son bureau au Conseil fédéral. Plus un politicien prend manifestement ses distances du pouvoir, plus il y tient. Les candidats les plus acharnés au Conseil fédéral à Berne sont toujours ceux qui démentent haut et fort leur intention de devenir conseiller fédéral. Mettre sur de fausses pistes permet de brouiller la vue des personnes potentiellement dangereuses pour soi-même.

Faire comme si. Ce que nous observons ici n’est pas le spectacle de l’altruisme, ni la naissance d’une nouvelle modestie en politique. C’est la troisième loi du pouvoir que l’auteur à succès Robert Greene a décrite dans son livre «Power»: «Gardez toujours vos intentions secrètes. Laissez les gens dans le flou. Ne révélez jamais la finalité de vos actes. Quand les autres ignorent ce que vous tramez, ils ne peuvent pas se préparer à s’en défendre».

Mais, les politiques qui se dérobent face au pouvoir ne présentent pas d’intérêt pour l’électeur. Soit ils ont vraiment peur, alors ils devraient passer la main à ceux qui veulent assumer les responsabilités, soit ils font semblant de ne pas vouloir et, dans ce cas, leurs motivations sont louches. Les politiques qui refusent le pouvoir uniquement en apparence y aspirent en réalité, mais ne veulent pas que cela se voie. Ce sont des machiavéliques pour qui le pouvoir prime sur tout, des narcissiques du pouvoir qui donnent une fausse image d’eux-mêmes.

L’attitude des Verts se fait l’écho du vieil héritage socialiste. Les socialistes se sont présentés pour dépasser le pouvoir et l’État au paradis terrestre du prolétaire libéré. Le mot d’ordre «Tout le pouvoir au collectif» était censé mettre un terme définitif à tous les rapports de domination. À la fin, tous étaient égaux, certains un peu plus que d’autres, et du désordre sortait le plus terrible despotisme puisqu’il se reniait. Le pouvoir invisible devient un pouvoir total, un pouvoir incontrôlé.

Les politiques qui tournicotent autour du pouvoir, les partis qui renoncent à une direction claire, les présidences multiples et les modèles politiques de partage de postes sont très appréciés des médias. C’est mal comprendre les choses. En démocratie, le manque de clarté des responsabilités devrait être inacceptable. Moins il est clair qui est responsable de quoi, plus il sera difficile pour l’électeur de savoir pour qui voter ou qui blackbouler. Les systèmes ou les modèles de direction où les responsabilités ne sont pas claires ou sont partagées servent les puissants et nuisent à tous les autres. Des responsabilités partagées et peu claires sont source d’une moindre transparence et devraient être évitées, tout particulièrement dans les systèmes démocratiques.

Mais ce n’est pas seulement un problème de la gauche et des Verts. L’AfD allemande est un exemple de la manière dont vont de pair volonté de pouvoir et structures de direction diffuses. Les dirigeants de l’AfD se félicitent de ne pas avoir de direction claire. Ils estiment le parti encore jeune, sans besoin de hiérarchies claires. Ça fait bien. En vérité, le parti n’a pas le courage de définir une ligne claire. Il ne veut pas s’engager. Avec trois dirigeants, on espère s’adresser à plus d’électeurs. Le pouvoir passe en premier. La cause ne devrait-elle pas primer? Dans le même temps, l’AfD prétend avoir un programme clair. Pourquoi a-t-elle alors besoin de trois chefs?

Le mécontentement se manifeste à divers endroits. Le politologue suisse de gauche Michael Hermann est agacé par les minauderies des Verts de gauche. Il considère dans le Tages-Anzeiger qu’un glissement à gauche d’ampleur historique s’est produit lors des dernières élections. Il est d’autant plus incompréhensible que la gauche et les Verts se soient laissés mettre sur une position de «défensive politique».

Est-ce bien le cas? Ou se font-ils simplement prier? La plus grande volonté de pouvoir est-elle celle qui se cache le mieux? Le jésuite et professeur d’université espagnol Baltasar Gracián (1601-1658) a résumé ce qui nous occupe aujourd’hui en une maxime limpide: «On ne doit pas te prendre pour un imposteur, même si l’on ne peut pas vivre aujourd’hui sans en être un. Ta ruse suprême doit être de cacher ce qui semble être une ruse.»

Roger Koeppel

 

Claude Haenggli, 21.11.2019

 

Un commentaire

  1. Posté par Dominique le

    Ces verts pastèques ne sont guère préoccupés par le peuple et la démocratie, ils sont avant tout préoccupés par leur carrière et arrivisme personnels, ce pourquoi ils nous manipulent avec hypocrisie.

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