Climathon : le sociologue comme sauveur climatique

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Par le jury du Climathon.

« Ce serait un cauchemar ! » a lancé Le Parisien du 28 octobre, en introduction à un article au titre en effet inquiétant : « Et si le chocolat, à cause du changement climatique, venait à manquer ? ». On ne sait s’il s’agissait d’un clin d’œil au coup du Nutella de Ségolène Royal, ou d’une façon habile de rappeler que penser au climat c’est penser à nos enfants.

Bienvenue, vous êtes dans le Climathon.

Le vainqueur

« Joie, joie, joie, pleurs de joie », dirait Blaise Pascal. Notre liesse est grande, en effet. Le grand champion du climathon 2015, celui qui, avec le Commandeur des Croyants, Jean « Nobel » Jouzel et quelques autres, ont marqué de leur empreinte débile indélébile l’histoire de la compétition, vient de faire son grand retour, s’arrogeant sans contestation possible le titre de vainqueur d’octobre.

L’immense Bruno Latour, qui avait de sa sublime plume rapproché les climatosceptiques des terroristes du Bataclan, est de retour, avec un… comment dire… un ensemble de lettres de l’alphabet rassemblées les unes avec les autres (manie de faire des phrases), disposées sur des feuilles de papier elles-mêmes jointes par une reliure. D’aucuns, pour faire simple, parleraient de « livre », même si le terme est en général réservé aux productions de l’esprit.

Le surgissement de Bruno Latour vient à point nommé, à présent que les ouragans se sont calmés, la banquise reformée, les feux de forêts éteints, et les sécheresses dissipées dans les brumes de l’automne.

Replongeant la question climatique au cœur de l’actualité sociale et politique, notre Grand Champion publie Où atterrir ? (La Découverte, 2017), un livre qui surfe sur toutes les facilités du moment prend son courage à deux mains pour dénoncer courageusement le symbole que représente Donald Trump, et derrière lui le cortège de cette « globalisation », cette funeste période de l’histoire qui a vu le niveau de vie progresser dans la plupart des régions du monde à une échelle inédite le monde s’approcher toujours plus près du gouffre climatique.

On aurait dû s’en douter : le bête sens courant du mot « climat » jadis utilisé pour évoquer la « question climatique » est trop étriqué pour notre Grand Homme, qui, ayant besoin de se donner davantage de latitude pour raconter n’importe quoi de liberté pour développer sans entrave sa pensée visionnaire, a décidé de modifier le sens du mot, pour l’étendre à à peu près tout ce qu’on peut concevoir. Il est en effet précisé dès le début de la deuxième page de son opus :

« Climat » est pris ici au sens très général des rapports des humains à leurs conditions matérielles d’existence.

C’est là un véritable programme de recherche pour une novlangue climatique. Ainsi, on ne dira plus « déménager pour s’installer en banlieue » mais « subir un changement climatique ».

De même, « acheter une voiture » se dira désormais « adopter le scénario RCP8.5 du GIEC ». On pourra seulement s’inquiéter du risque que feront courir certaines homonymies, « perdre son emploi » et « tomber malade » se traduisant dans les deux cas par « être victime d’une disruption climatique ».

Mais ne nous montrons pas mesquins, que diable ! Nul doute que la constitution d’un dictionnaire de conversion français/écoconscience climatique est de nature à bouleverser l’ordre établi (et nul doute que Bruno Latour sera heureux d’être contacté pour recevoir quelques propositions en ce sens).

En grand champion qu’il est, Bruno Latour a énormément animé la compétition ce mois-ci, et la plupart des autres concurrents ont tâché de lui sucer la roue, ne faisant pourtant que lui permettre d’étaler sa supériorité.

Ainsi, l’émission La Grande Table sur France Culture, qui, le 9 octobre, lui donnait carrément l’occasion de reconnaître de lui-même le caractère délirant de sa propre hypothèse de travail :

En gros, l’explosion des inégalités et le déni climatique, c’est le même phénomène. […] Déni dans lequel on est toujours, hein, y a toujours des millions qui sont investis chaque jour, chaque année, des milliards chaque année, à la question du déni de la question climatique y compris en France. […] Je n’ai évidemment pas les moyens de faire une preuve sur une hypothèse aussi abracadabrante et vaste, mais elle a l’avantage de remettre en place cette question essentielle pour la gauche qui est le lien entre la question écologique et la question sociale.

C’est vrai que les climatonégateurs de France ont l’audace d’organiser pour la troisième année une journée de conférences/débat le 7 décembre à Paris : si ça coûte pas des milliards, ça, c’est qu’on nous a menti sur le prix de location d’une salle au Musée social.

Autre tentative de suivre le Champion, et autre mise en valeur du « court essai stimulant » dans Les Inrockuptibles : le plus grand humaniste depuis Alain Lipietz y « lie montée des inégalités, dérégulation et entreprise systématique pour nier l’existence de la mutation climatique », avant d’insister une nouvelle fois sur le caractère bidon délirant fictionnel (ah si, là c’est bon : « fictionnel« ) de ses idées. C’est en roue libre qu’il déclare :

[L’hypothèse que l’explosion des inégalités et le déni de la situation climatique sont un seul et même phénomène] est de la politique fiction parce que je n’ai pas les données pour prouver mon hypothèse ; mais c’est de la politique, parce que cela permet de s’y retrouver en donnant un nom à un malaise commun : quelle est la source de notre indifférence à la question climatique (climat au sens large, disons la mutation écologique) et l’explosion des inégalités. J’y joins la question des migrations. Je ne peux pas prouver que c’est le même phénomène. Je dis seulement : si on suppose que c’est le même en quoi cela change les choses ?

À propos de l’idée de son ouvrage selon laquelle « les élites auraient saisi la réalité des alertes sur le réchauffement et en seraient arrivées à la conclusion qu’il n’y aurait plus assez de place sur terre pour elles et le reste de ses habitants », le plus grand sociologue depuis Fabrice Flipo assume : « Oui, cela peut sentir la théorie du complot, mais vous savez, le problème, c’est que les complots sont parfois exacts. » Cette dernière phrase est bien digne du plus grand philosophe depuis Jean-Jacques Rousseau.

Toujours dans cette partie « suçage de roue », le Jury du Climathon, qui châtie bien parce qu’il aime bien, se réjouit du redressement spirituel amorcé par Mathieu Vidard. Sanctionné d’un blâme le mois dernier pour avoir contesté un point de Doctrine, l’animateur scientifique de France Inter a lui aussi invité Bruno Latour, dans La Tête au Carré le 17 octobre.

La page de présentation de l’émission évoque le « climato scepticisme récurant de certaines élites » (le climatonégationnisme « récure » sûrement avec des « molécules chimiques », peut-être même avec du monoxyde de dihydrogène – on n’en serait pas plus étonné).

L’invité y est décrit comme « philosophe, anthropologue et sociologue des sciences (…) auteur français le plus traduit dans le monde » : prends-toi ça dans ta face, Victor Hugo. Bruno Latour, toujours en pointe sur la question de la bonne moralité climatique, est un penseur tellement brillant que le Jury du Climathon a parfois eu du mal à saisir la quintessence de son génie, arrivant tout de même à repérer (vers 22’) un très nuancé « On a l’équivalent technique d’une déclaration de guerre : «  je vous envahis avec mon céhaudeu «  » à propos de la décision de Donald Trump de sortir du Très Saint Accord de Paris.

Les accessits

La Reine des Neiges, au palmarès particulièrement étoffé (notamment lauréate de la semaine 36 en 2015), est revenue elle aussi pour jouer les premiers rôles. Elle ne bénéficie certes plus de la même couverture médiatique que du temps béni de la COP21, mais en compétitrice aguerrie, elle sait mettre le paquet (climatique) à la moindre fenêtre qui s’ouvre. Et avec son talent, ça paie.

Elle se livre ainsi dans une brève interview sur France Bleu Isère à un festival de catastrophisme climatique, qui l’aurait peut-être emporté sans le rouleau compresseur Bruno Latour. Elle attaque fort en manifestant son émotion pour le problème de la fonte des glaciers à l’origine de l’effondrement des roches, car « la roche est tenue par la glace », ce qui paraît d’une logique toute cartésienne.

Elle enchaîne ensuite par l’un de ces raccourcis dont elle a le secret et qui lui a permis de bâtir son solide palmarès : « cela montre que ceux qui contestent les mécanismes du réchauffement climatique font fausse route ».   Elle déroule alors un argumentaire a priori peu original, mais qu’elle sait agréablement pimenter de quelques envolées lyriques personnelles qui lui permettent d’augmenter sa note artistique.

Outre la déstabilisation des nations, les migrations massives et les sécheresses (grands classiques du millénarisme ambiant), l’auditeur apprend que les conséquences du réchauffement peuvent être ainsi bien plus violentes que celles « de la crise des années 30 ou la crise des subprimes » et que celui-ci « détruit la nature et donc à terme l’humain ».

Le même auditeur, saisi d’effroi, ne peut alors que partager l’indignation de la Reine des Neiges sur l’exclusion inique par le gouvernement du crédit d’impôt de 30% sur les portes et fenêtres, sa grande mesure, qui aurait certainement permis d’inverser la tendance et de triompher de ces périls mortels pour la planète et l’humanité.

Grosse (et légitime) émotion médiatique suite à la parution d’une étude du CNRS relatant l’hécatombe de poussins Manchots en terre Adélie : seuls 2 poussins d’une colonie de 18 000 couples ont survécu cette année !

Pour FranceTVInfo, c’est l’occasion inespérée de ramener un accessit et ainsi d’inaugurer sa vitrine de trophées, qui promet à ce rythme d’être rapidement bien garnie.

En effet, nul besoin d’aller chercher trop loin le coupable, comme le suggère son article au titre évocateur : « Réchauffement climatique : le manchot Adélie victime de la hausse des températures ».

À la lecture, cependant, le lien avec le terrifiant changement climatique ne saute pas aux yeux : une banquise trop étendue qui ne fond plus en été et contraint les manchots à de longues et épuisantes marches pour rejoindre la mer, ce qui laisse le temps à leurs petits de mourir de faim et de froid…

Les manchots ne doivent du coup pas être pressés que les efforts du GIEC aboutissent car FranceTVInfo rappelle que, du fait du gaz satanique, la fonte des glaciers devrait « entraîner une montée du niveau de la mer d’un à 2 m d’ici la fin du siècle ». Bref, les poussins manchots ne sont pas encore prêts de remplacer les ours blancs dans le bestiaire iconographique du sauvetage de la planète.

Enfants portugais

L’ONG Global Legal Action Network (GLAN) a bien failli s’arroger le titre, tant la manipulation des enfants est une stratégie qui plaît au Jury. Repoussant une fois encore les frontières de l’abject (tâche pourtant ardue tant les autres compétiteurs font preuve en ce domaine d’une créativité florissante), elle s’est mise en devoir d’instrumentaliser six enfants de la région de Leira, au Portugal, qui a été le siège d’importants incendies cet été occasionnant plus de 60 morts et des centaines de blessés.

Les enfants ont ainsi été « incités » à lancer une collecte pour porter plainte contre 47 États devant la cour de Justice Européenne. Ces incendies étant, bien sûr, la résultante directe du réchauffement climatique, cette plainte vise à contraindre les États à réduire leurs émissions de gaz satanique et à renoncer à exploiter leurs réserves naturelles d’hydrocarbures.

Sur ce dernier point, la France qui vient d’annoncer l’arrêt de la production d’hydrocarbures d’ici 2040 a déjà cédé, par la voix du Commandeur des Croyants. Exploiter la mort d’une centaine de personnes et des enfants dont le plus jeune n’a que 5 ans (!) pour obtenir plus de notoriété et plus de dons est une remarquable synthèse de ce que la propagande climatique peut produire de meilleur.

Le journal Libération s’est fait une spécialité des Unes laides, putassières ou avec déficit orthographique comme l’illustre cette légendaire première page datant de janvier 2012 :

LibeLePen2012

Afin de célébrer le centenaire de la révolution russe, le phare Joffrinesque de la pensée a produit ceci le 21 octobre :

LibeLenine2017

Cent ans après, Lénine doit être très fier de se voir associé au grave problème du « p’tit-déj ». Au-delà de l’esthétique discutable de cette première page, on note sa grande cohérence : l’adjectif « rouge » symbolique de la Révolution et associé à la couleur dominante du dessin, la viennoiserie comme en parallèle de la moustache et peut-être aussi en allusion à la faucille.

Et cerise sur la pâtisserie, le bandeau supérieur comporte le nom du plus grand climatologue depuis Svante Arrhenius. Car le climat est à l’origine des deux événements, bien sûr, puisqu’il est à l’origine de Tout.

Toujours intéressé par les grands défis de son époque, le Jury du Climathon est allé voir de plus près ce qui pouvait justifier cette « ALERTE ROUGE » sur le repas-le-plus-important-de-la-journée. La lecture de l’article principal fait frémir : « miel au prix du caviar », triplement du coût du beurre depuis avril 2016 (à ce rythme exponentiel, il sera 59 049 fois plus cher dans quinze ans), « promesse affolante d’extinction des abeilles » causée par ces « serial killers » que sont les pesticides et disparition du café et du chocolat causée bien sûr par… le réchauffement climatique !

Ainsi, pour le miel,

le bouleversement climatique fait des siennes. Cette année encore, les butineuses ont dû subir un printemps très précoce suivi de gelées tardives, d’une longue période de sécheresse, mais aussi de vents du Nord et de périodes de canicule qui brûlent les fleurs. Un cocktail mortel.

On ne dira jamais assez que les vents du Nord font partie des conséquences les plus terrifiantes des sinistres activités humaines.

Le jury du Climathon félicite également Libération d’avoir fait fi de la honteuse (mais pardonnée) chronique radiophonique osant contester une étude publiée dans la très-prestigieuse-revue-PNAS prophétisant la disparition du café.

Considérant qu’une bonne mauvaise nouvelle ne saurait être remise en cause par une réfutation scientifique, Libération publie donc un article entier sur le sujet, avec son orthographe bien particulière : « Le risque pesant sur les arbustes du cacao et du café, tout particulièrement sur certaines variétés moins croisées génétiquement, explosent en intensité à mesure que le changement climatique s’impose comme une réalité. » Et la conclusion arrive, implacable :

On ne peut pas parler de changements climatiques sans parler du système qui sert de vecteur à ces changements, explique à Libération Walter Prysthon, responsable du service Amérique latine chez CCDF-Terre solidaire (Comité catholique contre la faim et pour le développement). L’ONG française estime qu’il est possible de contrer les effets du réchauffement climatique en changeant de modèle agricole .

Nous voilà rassurés.

Sur le web

Cet article Climathon : le sociologue comme sauveur climatique est paru initialement sur Contrepoints - Journal libéral d'actualités en ligne

 

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