Certains laïcards rêvent d’en finir avec le christianisme

Michel Garroté
Politologue, blogueur
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Michel Garroté  --  Après la polémique engendrée par la décision du Conseil d'État de retirer la croix de Plöermel, au nom de la laïcité, le philosophe français Rémi Brague revient sur cette notion de laïcité, régulièrement employée mais trop souvent méconnue. Cet entretien [paru sur Figarovox le 5 novembre] avec Alexandre Devecchio est émaillé d' analyses pertinentes et de nombreuses questions et informations pertinentes (extraits adaptés ; voir lien vers source en bas de page).
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Alexandre Devecchio - La décision du Conseil d'État enjoignant au maire de la commune de Ploërmel de retirer la croix qui surplombe la statue du pape Jean-Paul II a suscité la colère de milliers d'internautes. Comment expliquez-vous l'ampleur de ces réactions spontanées ?
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Rémi Brague - Pour répondre à votre question, j'y devine deux raisons : d'une part, la lassitude devant ce qu'il y a de répétitif dans ces mesures contre les croix, les crèches, etc. ; d'autre part l'agacement devant la mesquinerie dont elles témoignent. En Bretagne, vous ne pouvez pas jeter une brique sans qu'elle tombe sur un calvaire ou un enclos paroissial. Et où une croix est-elle plus à sa place qu'au-dessus de la statue d'un pape ?
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Alexandre Devecchio - La décision du Conseil d'État est-elle conforme au principe philosophique de la laïcité ?
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Rémi Brague - Je n'ai pas pris connaissance des attendus du Conseil d'État. Je fais à ses membres l'honneur de penser qu'ils sont solidement argumentés. En tout cas, la laïcité n'a en rien la dignité d'un principe philosophique, mais elle constitue une notion spécifiquement française. Le mot est d'ailleurs intraduisible. C'est une cote mal taillée, résultat d'une longue série de conflits et de compromis. D'où une grande latitude dans l'interprétation.
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Alexandre Devecchio - Mais comment faire appliquer la loi sur le voile à l'école et la burqa dans la rue si la loi n'est pas appliquée de manière stricte pour toutes les religions ?
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Rémi Brague - Quel rapport entre un monument public et une pièce de vêtement, qui relève du privé ? Le vrai parallèle à l'érection d'un tel monument serait la construction d'une mosquée. Qui l'interdit ? Bien des municipalités la favorisent plutôt. De toute façon, on a souvent l'impression que le fait qu'une loi soit appliquée est en France plutôt une option. Combien de lois sont restées sans décrets d'application ? Verbalise-t-on les femmes qui portent un costume qui masque leur visage ? Le fait-on dans « les quartiers » ?
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Alexandre Devecchio - Est-ce illusoire de vouloir appliquer la laïcité de la même manière pour toutes les religions dans un pays de culture chrétienne ?
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Rémi Brague - « Toutes les religions », cela ne veut pas dire grand-chose. Ce qui est vrai, c'est que la « laïcité » à la française - expression qui est d'ailleurs tautologique - a été taillée à la mesure du christianisme, par des gens qui le connaissaient très bien. N'oublions pas que le petit père Émile Combes avait passé ses thèses de lettres, l'une sur saint Thomas d'Aquin et l'autre sur saint Bernard. J'ai eu l'occasion d'expliquer ailleurs qu'il n'y a jamais eu de séparation de l'Église et de l'État, car le mot supposerait qu'il y aurait eu une unité que l'on aurait ensuite déchirée. Ce qu'il y a eu, c'est la fin d'une coopération entre deux instances qui avaient toujours été distinguées.
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Rémi Brague - La prétendue « séparation » n'a fait que découper suivant un pointillé vieux de près de deux millénaires. Et les historiens vous expliqueront que ceux qui ont le plus soigneusement évité les contaminations ont été plutôt les papes que les empereurs ou les rois. Le problème avec l'islam n'est pas, comme on le dit trop souvent, qu'il ne connaîtrait pas la séparation entre religion et politique (d'où l'expression imbécile d'« islam politique »). Il est bien plutôt que ce que nous appelons « religion » y comporte un ensemble de règles de vie quotidienne (nourriture, vêtement, mariage, héritage, etc.), supposées d'origine divine, et qui doivent donc primer par rapport aux législations humaines.
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Alexandre Devecchio - La laïcité peut-elle être utilisée comme une arme face à l'islamisme ? Celle-ci n'est-elle pas à double tranchant ?
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Rémi Brague - La laïcité n'est pas et ne peut pas être une arme. Et, en principe du moins, encore moins être dirigée contre une religion déterminée. Je dis cela parce qu'elle a été forgée, justement, contre une religion bien précise, à savoir le christianisme catholique, auquel la grande majorité de la population adhérait plus ou moins consciemment, avec plus ou moins de ferveur, à l'époque de la séparation. La laïcité signifie la neutralité de l'État en matière de religion. L'État n'a à en favoriser aucune, ni en combattre aucune.
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Rémi Brague - L'État doit être laïc précisément parce que la société ne l'est pas. Certains « laïcards » rêvent d'en finir avec le christianisme, en lui donnant le coup de grâce tant attendu depuis le XVIIIe siècle. Ils exploitent la trouille que bien des gens ont de l'islam pour essayer de chasser de l'espace public toute trace de la religion chrétienne, laquelle est justement, ce qui peut amuser, celle contre laquelle l'islam, depuis le début, a défini ses dogmes.
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Alexandre Devecchio - Face au problème de l'islamisme, certains observateurs n'hésitent pas à condamner en bloc toutes les religions. S'il existe des intégrismes partout, la menace est-elle de la même nature ? Existe-t-il aujourd'hui une menace spécifique liée à l'islam ?
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Rémi Brague - Ce qu'il faut voir avant tout, c'est que la notion de « religion » est creuse et que, quand on parle de « toutes les religions », on multiplie encore cette vacuité. On entend dire : « l'islam est une religion comme les autres » ou, à l'inverse : « l'islam n'est pas une religion comme les autres ». Mais aucune religion n'est une religion comme les autres. Chacune a sa spécificité.
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Rémi Brague - Vouloir mettre dans le même panier, et en l'occurrence dans la même poubelle, christianisme, bouddhisme, islam, hindouisme, judaïsme, et pourquoi pas les religions de l'Amérique précolombienne ou de la Grèce antique, c'est faire preuve, pour rester poli, d'une singulière paresse intellectuelle.
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Rémi Brague - Quant à appliquer la notion catholique d'« intégrisme » ou protestante de « fondamentalisme » à des phénomènes qui n'ont rien à voir avec ces deux confessions, cela relève du fumigène plus que d'autre chose. Les plus grands massacres du XXe siècle ont été le fait de régimes non seulement athées, mais désireux d'extirper la religion, conclut Rémi Brague (fin des extraits adaptés ; voir lien vers source en bas de page).
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Adaptation de Michel Garroté pour LesObservateurs.ch
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http://lafautearousseau.hautetfort.com/archive/2017/11/08/remi-brague-certains-laicards-exploitent-la-peur-de-l-islam-5997249.html
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Rémi Brague est un philosophe français, spécialiste de la philosophie médiévale arabe et juive. Membre de l'Institut de France, il est professeur émérite de l'Université Panthéon-Sorbonne. Auteur de nombreux ouvrages, notamment Europe, la voie romaine (éd. Criterion, 1992, rééd. NRF, 1999), il a également publié Le Règne de l'homme: Genèse et échec du projet moderne (éd. Gallimard, 2015) et Où va l'histoire ? Entretiens avec Giulio Brotti (éd. Salvator, 2016).
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Alexandre Devecchio est journaliste au Figaro, en charge du FigaroVox. Il vient de publier "Les Nouveaux enfants du siècle, enquête sur une génération fracturée" (éd. du Cerf, 2016) et est coauteur de "Bienvenue dans le pire des mondes" (éd. Plon, 2016).
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4 commentaires

  1. Posté par Aude le

    C’est tout de même incroyable.
    Ces athées tolèrent les prières de rue des mahométans, le voile et même la burqa mais encore les minarets et + de mosquées. Neanmoins ils ne supportent plus les crèches de Noël, les croix, la St Nicolas et j’en passe.
    Par contre, certains aiment La Croix à l’envers et le culte de baphomet ( à en ériger des statues dans une certaine ville américaine) sans parler de leur messe sacrificielle.
    Mais encore, dans l’industrie de la musique et Holly-hell c’est tout l’attirail diabolique de clips
    de symboles de merde qu’ils vendent à nos jeunes têtes férues de consommation imbécile.
    Bandes de cretins, vous qui n’aimez pas la Noël, allez passer vos vacances chez les saoudiens ou continuez à bosser pour mieux consommer et quoi,
    Foutez-nous la PAIX.

  2. Posté par Alex le

    Pauvres idiots: Vous avez aimé le christianisme? Vous allez adorer l’islamisme et même en crever!

  3. Posté par G. Guichard le

    De toute façon, tant que la laïcité en France a été de type modéré, tout le monde a pu s’en accommoder mais dès lors qu’elle est devenue laïcité activiste en 1968, et qu’elle a phagocyté l’Eglise -jusque et y compris des papes ayant plus que des amies, démissionnaires, vivant à l’hôtel, seuls ceux qui y avaient un intérêt on pu s’intéresser à cette évolution. Parce que sinon, les catholiques -y compris les catholiques sociologiques- ont nettement vu la différence 🙂

  4. Posté par Le Taz le

    Et ces défenseurs de la laïcité, de quelle confession sont-ils? Parfois on passe à côté de questions toutes simples et pourtant révélatrices!

Et vous, qu'en pensez vous ?

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