Entretien avec Yeonmi Park, rescapée de la Corée du Nord

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Il y a des rencontres qu’on n’oublie pas. Celle-ci en fera probablement partie. À l’occasion de son passage éclair à Paris, j’ai eu l’occasion de rencontrer Yeonmi Park. Un nom qui ne vous dira peut-être rien, mais qui rime avec liberté et Corée du Nord.

Cette jeune femme de 22 ans à peine est l’une des rares à avoir pu s’échapper de l’enfer nord coréen et à le dénoncer publiquement. Depuis 2014, c’est l’une des voix les plus virulentes contre le régime sanguinaire nord coréen, dernière dictature stalinienne encore en place et qui affame et opprime 25 millions d’habitants.

Grâce à un ami commun installé à New York où elle vit désormais, j’ai rencontré Yeonmi Park le 19 mars avec deux autres amis. Dans le cadre, étrangement absurde, d’un salon de thé luxueux du centre de Paris. Étrangement absurde car bien peu de son (rare) témoignage sur la Corée du Nord vue de l’intérieur donne envie de sourire ou de manger…

Yeonmi Park, une enfance nord-coréenne

Née en 1993 à Hyesan à l’extrême nord de la Corée du Nord, elle y grandit, avec un père fonctionnaire du Parti des Travailleurs et une mère infirmière. Elle vit la jeunesse de tout enfant nord-coréen :

Enfant, nous ne fabriquions pas des poupées. On nous faisait faire des tanks pour tuer ces « connards d’Américains ». Quand on nous faisait faire des bonhommes de neige, c’était pour ensuite leur tirer dessus avec des cailloux aux cris de « meurs sale Américain ». Les problèmes de mathématiques sont « il y a quatre salauds impérialistes, j’en tue deux, combien en reste-t-il ? »

Elle expérimente tôt l’injustice du régime quand, pour avoir fait le commerce de métaux récupérés, son père ainsi que sa famille sont mis au ban de la société. La défiance généralisée entre chaque individu se renforce, même au sein d’une famille. Le régime nourrit un climat de peur perpétuelle du « danger impérialiste américain » pour empêcher toute émergence d’une opposition. Au point que la mère de Yeonmi Park l’élève en lui enseignant à se méfier même de la nature :

Même les oiseaux et les souris peuvent t’entendre chuchoter…

Une méfiance justifiée : à 9 ans, elle doit assister à l’exécution de la mère de sa meilleure amie, « coupable » d’avoir regardé des DVD de films sud-coréens.

Elle vit ces scène ahurissantes, belles (de l’extérieur) et effrayantes à la fois, des démonstrations de masse où les enfants rejouent des tableaux géants de l’histoire officielle. Des tableaux joués par plusieurs milliers d’enfants parfaitement synchronisés, mais « où celui que se trompe meurt. » Et la jeune femme de parler d’un « camarade mort parce qu’il n’a pas pu dire à ses professeurs qu’il était malade et ne pouvait pas participer ».

L’exil

La situation familiale empire alors que la politique économique absurde du régime plonge le pays dans des famines à répétition. Le printemps est la saison de la mort car c’est la fin des réserves de nourriture :

Ma sœur et moi entendions souvent des adultes marmonner en hochant la tête devant des cadavres dans la rue : « dommage qu’ils n’aient pas tenu jusqu’à l’été »

La situation familiale devient si précaire que, peu après la libération de son père des camps de travaux forcés, tenter de s’enfuir, dans l’illégalité la plus complète, devient la seule option :

Je ne suis pas partie pour la liberté, je suis partie parce que sinon j’allais mourir. J’ai essayé de manger tout, tous les insectes et toutes les plantes possibles. Nous mâchions parfois des racines, sans les manger, juste pour avoir quelque chose en bouche.

C’est la faim et la volonté de survivre qui les fait fuir, pas l’envie de retrouver un monde extérieur que personne ne peut connaître de l’intérieur du « royaume-ermite », qui bloque toute communication avec le reste du monde. Seul contact avec l’extérieur, quelques téléphones chinois arrivent à traverser la frontière et permettent de capter légèrement le réseau chinois avec de gros risques.

Avec sa mère, elle parvient à passer clandestinement cette frontière en 2007, au prix de lourds sacrifices :

Elle a alors 13 ans et le contrebandier qui les fait passer exige de coucher avec elle pour ne pas les dénoncer aux autorités. C’est sa mère qui s’est offerte à sa place.

La découverte de la civilisation en Chine est une redécouverte de tout :

Avoir de la lumière dans l’appartement le soir était magique, mais mon plus gros choc a été la présence de poubelles dans l’appartement : ils ont des poubelles, donc ils ont des choses à jeter ! Je n’avais jamais rien eu à jeter !

La vie après l’exil

Mais la Chine est aussi un allié proche de la Corée du Nord, et être repéré par les autorités en Chine, c’est être renvoyé en Corée du Nord de façon quasi-certaine, pour y être emprisonné, interné ou exécuté.

Le désert de Gobi (Crédits Junming, licence CC-BY-SA 3.0)
Le désert de Gobi (Crédits Junming, licence CC-BY-SA 3.0)

En 2009, elle fuit donc la Chine avec sa mère, en passant par la Mongolie et le désert de Gobi grâce à des missionnaires chrétiens et des militants des droits de l’homme.

Les deux femmes arrivent enfin en Corée du Sud en avril 2009, où elles vivent de petits boulots de serveuse ou de vendeuse, pendant que Yeonmi Park étudie en même temps à l’université de Séoul.

En 2014 à Séoul elle retrouve sa sœur, qui avait tenté de fuir en même temps que les deux femmes et peu avant son père. La défection d’une femme étant jugée moins importante que celle d’un homme, celui-ci avait pu organiser sa fuite après elles.

La lecture de La Ferme des animaux de George Orwell la pousse à agir et dénoncer le régime qu’elle a fui, ce qu’elle fait dans des conférences comme le One Young World à Dublin en 2014, vu sur YouTube 2 millions de fois :

Une dénonciation publique des exactions du régime, qui lui a valu des menaces de la Corée du Nord, comme des pressions sur les membres de sa famille restés sur place et exhibés par le régime sur YouTube comme instrument de pression.

Quelle voie pour la Corée du Nord ?

Malgré tout ce qu’elle a vécu, elle garde une volonté et une foi communicative en un avenir meilleur, au fondement de son engagement pour les droits de l’homme.

Installée à New York désormais, elle étudie à Columbia grâce à une bourse. Que veut-elle faire ensuite ? Continuer à aider à faire tomber le régime, mais ne pas en faire son métier ou créer une organisation, mais avoir une carrière, vivre tout simplement, comme le titre de son livre : « je voulais juste vivre ».

Pour elles les occidentaux qui veulent aller en Corée du Nord font une grave erreur morale et servent la communication du régime tout en l’aidant financièrement à survivre. Comme les « idiots utiles » de l’URSS, ils ne voient que ce que le régime veut leur montrer. Agir pour le pays peut se faire selon elle en aidant les Nord-Coréens à s’échapper, ainsi qu’en donnant aux habitants restés là bas des moyens de connaître la réalité d’un monde qu’on leur cache.

Voilà qui restera surtout pour moi un témoignage saisissant, difficile à restituer complètement par écrit, mais que son livre, traduit en français, permet de découvrir et qui rappelle aussi ce pourquoi, comme libéraux, nous nous battons au quotidien.

À lire aussi sur Contrepoints :

Cet entretien a été publié une première fois en 2016.

Cet article Entretien avec Yeonmi Park, rescapée de la Corée du Nord est paru initialement sur Contrepoints - Journal libéral d'actualités en ligne

 

Extrait de: Source et auteur

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5 commentaires

  1. Posté par pierre frankenhauser le

    Quand on voit que l’autre tête de hareng a carrément fait dévorer l’un ses oncles par des chiens affamés, sous prétexte que celui-ci ne l’avait pas applaudi assez fort, ça fait froid dans le dos. L’EI a dû être impressionné. Ceci dit, si les impérialistes américains cessaient leurs provocations et éloignaient leur armée des côtes asiatiques, peut-être que le gros poupon débile aurait moins de grain à moudre. Le régime nord-coréen aurait moins de raisons d’exister.

    Les USA cherchent surtout à s’incruster à la frontière terrestre chinoise, ce que Pékin veut éviter. Si un jour la Chine devenait suffisamment puissante pour chasser les Yankees de la région, peut-être qu’elle pourrait organiser une réunification des deux Corée, en imposant des conditions strictes (pas de dictature, pas de militaires US, échanges commerciaux privilégiés entre la Corée et la Chine au détriment des cowboys du Far West, etc.). En outre, cela permettrait notamment de faire la nique au Japon (invasion de la Manchourie et génocide de Canton non reconnus par le Japon, etc.) allié des Américains (jusqu’à quand ?) et de renforcer encore un peu plus l’économie cino-asiatique vis-à-vis des USA, avec toujours la Chine comme leader.

  2. Posté par miranda le

    @ VINCENT
    merci pour ces infos sur « les crises ».

    Sans dédiaboliser la Corée du Nord, il est important de connaître les souffrances du peuple nord-coréen durant la dernière guerre et l’intervention des Etats Unis
    .
    L’oncle SAM ne fait jamais dans la dentelle. Cela explique en partie, la haine viscérale qu’éprouve le pouvoir coréen à l’égard des américains.

    La Corée du Nord, son peuple n’est toujours pas sorti de la souffrance..
    Il y a des peuples vraiment sacrifiés sur cette planète. C’est inacceptable et nous sommes impuissants.

  3. Posté par miranda le

    CALIGULA à côté de ce vampire Coréen du Nord, ça devait avoir le goût de la crème au chocolat?
    j’exagère, je sais. Mais tout doit avoir plus de saveur quand on quitte un régime de fou.

    Comment empêcher la naissance des dictatures?

    Certains hommes politiques veulent créer des institutions au service de la prévention des guerres et pourquoi pas la prévention des dictatures?

  4. Posté par SD-Vintage le

    Tous les koréens ne vivent pas en régime communiste

  5. Posté par Vincent le

    Elle est née 40 ans après le massacre de la guerre de Corée. Quand on en lit des récits, on peut comprendre la haine anti-américaine. Chez nous on a longtemps parlé des boches, et puis ça s’est tassé. Justement on en parle dans http://www.les-crises.fr/voila-pourquoi-la-coree-du-nord-deteste-autant-les-etats-unis/ . Lisez aussi sur les bombardements de Hambourg et Dresde, sur le Cambodge et le Laos, le Vietnam, etc… Si un jour les USA sont rasés, ce ne sera rien d’autre que ce qu’ils ont eux-meme fait à bien d’autres. Triste humanité dans ces sujets.

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