La Turquie recule d’un siècle

Stéphane Montabert
Suisse naturalisé, Conseiller communal UDC, Renens
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Recep Tayyip Erdogan a remporté son pari. Selon les résultats définitifs, 51,4% des Turcs ont approuvé dimanche sa réforme.

Edo_victoire.jpgLa presse évoque une victoire "étriquée". On peut le comprendre: après avoir bourré les urnes et passé les derniers mois à museler, emprisonner et torturer toute forme d'opposition, c'est finalement un piètre résultat. Mais une petite victoire est une victoire tout de même. Fussent-ils acquis avec un mince vernis de légitimité, de nouveaux pouvoirs sont disponibles. Ils vont rapidement être employés.

Le régime instauré par Mustafa Kemal Atatürk touche à sa fin. Après neuf décennies de régime parlementaire, Recep Tayyip Erdogan a transformé le pays en "République présidentielle" en intégrant 18 amendements à la Constitution. Rien ne sert de jouer sur les mots ; nulle République digne de ce nom ne fonctionne selon les règles qui régissent la Turquie désormais. Le poste de Premier Ministre disparaît. Le Président concentre entre ses mains l'essentiel des pouvoirs exécutifs. Il peut dissoudre le Parlement et prendre des décrets quasiment sans limite. Erdogan s'est fait élire dictateur. Il pourra occuper ce poste au moins jusqu'en 2029.

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Aux manipulations électorales près, la carte du résultat du scrutin montre les divisions de la Turquie d'aujourd'hui. À l'ouest, le littoral touristique et les grandes villes ont rejeté la réforme, les yeux tournés vers l'Europe et le développement. Même chose à l'est dans les régions à majorité kurde, qui ne comprennent que trop bien que les prochains coups de fouets seront pour elles. Au centre, la Turquie anatolienne rurale a voté massivement pour - elle pense ne rien avoir à perdre et méprise les autres composantes du pays.

La réforme fait des satisfaits et des malheureux. Parmi les satisfaits, les islamistes, qui célèbrent la victoire d'un des leurs. Erdogan n'a jamais été rien d'autre qu'un agent de l'islam et s'est toujours présenté ainsi, tout comme son parti. Le terme "d'islamo-conservateur" a été inventé par les médias européens pour éviter le mot "islamiste" et calmer l'opinion publique pendant que les élites du continent faisaient la danse du ventre devant le sultan pour s'attirer ses bonnes grâces. Erdogan a toujours été imprégné par le discours religieux et le marie avec talent au politique, dans la grande tradition de l'islam où les deux notions ne se distinguent pas. Faisant fréquemment référence dans ses discours au sultan Mehmet II, qui conquit Constantinople en 1453, il exprime son mépris de l'Europe et déplore la perte des territoires ottomans.

Recep Tayyip Erdogan considère les immigrés turcs en Europe comme l'avant-garde de sa reconquête délirante de l'Empire Ottoman. Les résultats du scrutin auprès de la diaspora semblent lui donner raison. Selon des résultats fournis par l'agence Anadolu, les Turcs d'Europe ont voté à plus de 58% pour renforcer les pouvoirs du maître d'Ankara, soit bien davantage que les Turcs de Turquie. La diaspora suisse fait meilleure figure avec "seulement" 41% de supportes d'Erdogan, mais ce résultat contraste avec les trois millions de Turcs d'Allemagne qui ont voté massivement à 63,2% pour lui, alors que ceux d'Autriche font encore mieux avec 72,7% de soutien.

Rétrospectivement, Erdogan a bien eu raison de venir faire campagne en Europe, car c'est là que se trouvent ses plus ardents supporters.

Après le miroir aux alouettes du printemps arabe, ce scrutin jette une fois de plus le trouble sur l'intégration des immigrés musulmans et leur imprégnation des hautes valeurs que prétend incarner le continent - la séparation des pouvoirs, le refus de l'absolutisme, l'État de droit, la liberté religieuse, la liberté d'expression... Certaines réformes prônées par Erdogan entrent directement en conflit avec l'agenda européen, comme la suppression de la peine de mort interdite dans l'article 2 de la convention européenne des droits de l'homme approuvée par les 47 membres du Conseil de l'Europe. Cela n'empêche pas le Président turc de promettre depuis longtemps son retour "pour bientôt". Il trépigne d'envie d'accorder aux putschistes de l'été 2015 une justice définitive.

On peut bien sûr regretter la décision sortie des urnes en Turquie, mais elle a le mérite de clarifier la situation. Peut-être Européens et Turcs arrêteront-ils de prétendre que la Turquie est vouée à intégrer l'Union Européenne alors qu'elle n'a fait que s'en éloigner depuis vingt ans. Peut-être que l'OTAN finira par jeter un œil critique sur la place de la Turquie au sein de l'alliance.

Le futur de la Turquie et de ses habitants est malheureusement sombre. La longue lutte de Mustafa Kemal Atatürk pour libérer son pays de l'obscurantisme musulman aura finalement échoué, alors que l'islamisation de la société redouble. Mais le plus inquiétant est bien sûr à l'est du pays. Les aventures militaires en Syrie et les répressions anti-Kurdes étaient déjà la marque d'un régime volontariste ; Erdogan va évidemment persévérer dans cette voie avec ses nouveaux pouvoirs avec, à terme, des conséquences incertaines sur la paix civile.

Stéphane Montabert - Sur le Web et sur LesObservateurs.ch, le 18 avril 2017

8 commentaires

  1. Posté par SD le

    Quoique fasse Erdogan, la France l’Allemagne et l’UE ont toujours refusé de mettre fin au processus d’adhésion. Ce sont des hypocrites, mais les médias n’en parlent pas.

  2. Posté par miranda le

    C’est triste pour les 50 % de turcs qui ne sont pas « fascinés » par Mr Erdogan et qui vont devoir le subir peut-être jusqu’en 2029, à force de réélections.

    ON VA AUSSI ETRE TRES VIGILANTS car ce Monsieur a aussi t des visées hégémoniques. Comme il n’est pas arrivé à s’introduire dans l’Union Européenne par la bonne porte d’entrée, il pourrait vouloir y entrer de force.

  3. Posté par Loulou le

    En ce qui me concerne, j’ai du respect pour le vote des Turcs. Exclu que je me pose dans le camp des « ils ont mal voté ». C’est le camp des mondialistes. Les Turcs ont voté nationaliste, en cela je les respecte. Plus que les Allemands, les Suédois, les Français, les Hollandais et les Suisses qui regardent leurs filles se faire violer « mais qui votent bien ».

  4. Posté par S, Dumont le

    Par ces temps très troublés, la Turquie n’a pas été épargnée par de violents attentats et par une immigration de masse et les turcs ont accepté à une courte majorité la nouvelle constitution et donnent, par la même occasion, plus de pouvoirs à Erdogan…. avec probablement des fraudes et il est vrai que la presse et les politiques d’ici et d’ailleurs n’ont pas de leçons à donner en la matière puisqu’ils agissent de même!!
    Membre du Conseil de l’Europe, comme la Suisse d’ailleurs, la Turquie est candidate à l’UE et a déjà signé de très nombreux accords commerciaux avec l’UE.
    Il ne faut non plus pas négliger que l’UE a besoin de la Turquie pour limiter l’immigration vers l’Europe et par, sa situation géographique, la Turquie peut être un rempart contre les djihadistes.
    Il n’est donc pas surprenant d’entendre la commission européenne vouloir un consensus avec la Turquie, ce qui est, en fait, un accommodement avec ce pays. Par contre, si Erdogan rétablit la peine de mort, les relations européennes et internationales seront très compliquées.
    Voici le lien:
    http://fr.euronews.com/2017/04/18/l-ue-souhaite-une-enquete-apres-le-referendum-en-turquie

  5. Posté par Dominique Schwander le

    La Turquie a reculé de bien plus d’un siècle. Rappelons-nous ce qu’avait proclamé lepremier président de Turquie: « Depuis plus de cinq cents ans, »… « les règles et les théories d’un vieux cheikh arabe, et les interprétations abusives de générations de prêtres crasseux et ignares ont fixé, en Turquie, tous les détails de la loi civile et criminelle. Elles ont réglé la forme de la Constitution, les moindres faits et gestes de la vie de chaque citoyen, sa nourriture, ses heures de veille et de sommeil, la coupe de ses vêtements, ce qu’il apprend à l’école, ses coutumes, ses habitudes et jusqu’à ses pensées les plus intimes. L’islam, cette théologie absurde d’un Bédouin immoral, est un cadavre putréfié qui empoisonne nos vies. » 
    Mustafa Kemal Atatürk, fondateur et premier Président de la République turque.
    Cité dans l’ouvrage « Mustapha Kémal ou la mort d’un empire» de Jacques Benoist-Méchin, éd. Albin Michel, 1954, p. 323.

  6. Posté par Le Nouveau Néandertalein le

    Premièrement, il y a eu une fraude certaine. Aussi, une fraude à Genève, où le participation a doublé (=fraude) et le résultat est « Oui », donc opposé aux résultats partout ailleurs en Suisse. La fraude est désormais la norme en Occident. Aussi en Suisse. En Turquie, la fraude est la norme depuis longtemps. Donc, le titre correct: « Le guignol des Globalistes Londoniens, M. Erdogan, continue son débauche et son viol de la Turquie avec un référendum frauduleux ».
    Deuxièmement, les turcs ont aussi bien voté. Comparez leur vote au vote des Allemands, dont seulement 10% votent pour le seul parti anti-immigration AfD, ou au vote des hollandais, qui sont seulement 10% à soutenir Wilders son parti anti-immigration.
    Si demain, il y a un référendum en Allemagne avec la question: « Les pouvoirs dictatoriaux à Mme Merkel pour lutter contre l’islamphobie et le racisme des blancs », la réponse de la stupide populace allemande sera « Oui », et seulement les même 10% s’opposeront. Donc, respect aux turcs.
    Si « le suffrage universel » continue, l’humanité sera génocidée.

  7. Posté par Claire le

    Grâce à son dictateur Erdogan, qui a désormais les pleins pouvoirs, la Turquie est « En marche » vers un nouveau califat pan-islamique ottoman. Un vrai progrès pour l’humanité!
    Quand on pense qu’Erdogan fait du chantage aux migrants auprès de cette imbécile de Merkel, qui s’est fait rouler dans la farine, et toute l’Europe avec elle, puisque c’est elle le nouveau führer de l’UE, il y a de quoi frémir!

  8. Posté par Tommy le

    La plupart des Turcs de Suisse, kebabiers ou assistes sociaux, sont une elite intellectuelle de ce pays. Que dire alors des autres?

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