De Gaulle et le Grand Remplacement de la France (au cinéma)

post_thumb_default

 

 

Un des films qui montre le mieux, sous le gaullisme, le Grand Remplacement de la France sur le terrain, est le classique de Demy Les Parapluies de Cherbourg. Il prouve nûment la fin du romantisme sur fond de grand remplacement urbain. Le garage organique au centre-ville, le petit magasin de parapluies ; puis la solitude amère et le « bonheur glacé des multinationales » avec cette station Esso perdue dans la neige, dans la banlieue de Cherbourg transformée en mégapole de poche. On est dans ce que j’avais nommé dans mon récit onirique les Territoires protocolaires. Howard Kunstler a évoqué la géographie du nowhere, du nulle part, territoire bon pour les deux clodos qui attendent Godot.

Les cinéastes de la Nouvelle Vague rêvaient avec Hawks et Hitchcock (qui disparurent aussi dans les années soixante), et ils ont montré ce remplacement. C’est le type seul dans un bar qui clope tout le temps, l’homme-enfant Jean-Pierre Léaud, citant Marx, draguant une consommatrice, toute la journée coincé par le périphérique. En 1957, Chevalier publie l’assassinat de Paris. La grande cité est éventrée et à la ville-lumière filmée par Minnelli dans un Américain à Paris ou à Stanley Donen (Funny face) succède le pachydermique parking désolé recouvert de voitures laides, mais fabriquées ici par des ouvriers arabes, hélas ! traités comme des Arabes.

Guy Debord dans La Société du Spectacle (§174) : « Le moment présent est déjà celui de l’autodestruction du milieu urbain. L’éclatement des villes sur les campagnes recouvertes de “masses informes de résidus urbains” (Lewis Mumford) est, d’une façon immédiate, présidé par les impératifs de la consommation. La dictature de l’automobile, produit-pilote de la première phase de l’abondance marchande, s’est inscrite dans le terrain avec la domination de l’autoroute, qui disloque les centres anciens et commande une dispersion toujours plus poussée. »

C’est ce que Kunstler nomme le Sprawling.

Le film de Godard sur l’automobile est Week-end. C’est une tuerie. Je suis arrivé en France en septembre 1972, réveillé du mirage tunisien, et le soir même, à la télé, on me montrait 16 610 morts allongés, toute la population de Mazamet. C’étaient les victimes de la guerre des automobiles. 300 000 morts en vingt ans de voiture, du vrai Verdun.

Godard montre une soirée luxe à Paris dans Pierrot le fou (son héros se nomme Ferdinand). Une soirée bourgeoise branchée ouvre le film. Les bourgeoises les seins à l’air fument des américaines ou récitent scolairement la pub des cosmétiques (ah, l’Oréal ! ah, Mitterrand !) pendant que leurs mecs récitent la pub des moteurs et des huiles moteurs.

Céline, trente ans avant : « Pauvre sagouin tout saccagé d’expulsions de gaz, tympanique partout, tambour brimé de convenances, surpasse un moteur en péteries, d’où l’innommable promenade, de sites en bosquets du dimanche, des affolés du transit, à toutes allures d’échappements, de Lieux-dits en Châteaux d’Histoire. Ça va mal ! »

Pierrot le fou aussi montrera cette prévarication automobile qui allait paralyser et polluer le monde, le centre-ville et faire de la terre un parking-poubelle, un cimetière de voitures pour reprendre la pièce d’Arrabal. À l’époque, cela choquait, aujourd’hui tout le monde s’en moque et se fait enfermer dans son smartphone.

Sur le gaullisme immobilier, Godard se déchaîna dans Deux ou trois choses qui montrent l’éventrement de Paris. Mais on avait déjà connu ça avec Haussmann et Baudelaire. On devrait comprendre que le Grand Remplacement, y compris ethnique, a déjà eu lieu à la fin du XIXe siècle, aussi bien aux USA qu’en France. Lisez Madison Grant, Edward Alsworth Ross, redécouvrez Barrès.

Baudelaire vers 1860 :

« Le vieux Paris n’est plus

(la forme d’une ville

Change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel) ;

Je ne vois qu’en esprit tout ce camp de baraques,

Ces tas de chapiteaux ébauchés et de fûts,

Les herbes, les gros blocs verdis par l’eau des flaques,

Et, brillant aux carreaux, le bric-à-brac confus. »

J’ai déjà cité Les Tontons flingueurs. La France d’Audiard n’est pas ma tasse de thé avec ses mères maquerelles, ses anarchistes factices et ses anciens combattus de la vie. Mais dans le film, la fête au village de la génération yéyé vaut son pesant de cacahuètes. La génération gaulliste assurait plus que la génération Mitterrand. À la même époque, en plus tragique et plus janséniste, mon maître Robert Bresson filmait l’anéantissement (de Farrebique à Biquefarre) de la campagne et de son âme, incarnée par un âne, remplacé par le vélomoteur (on y trouve le mot voleur). C’est Au hasard Balthazar.

Je ne vais pas insister : un mauvais sociologue taperait sur le gendarme de Saint-Tropez pour dénoncer l’adjuvant néo-français qui maintenant prie pour que les marchés lui garantissent sa retraite. Et un célibataire se rappellera le Pialat de Nous ne vieillirons pas ensemble qui annonçait le destin du couple postmoderne.

Certains appellent cela les Trente Glorieuses. Ce fut en vérité le passage de la vieille ville à l’Alpha-ville.

Vous avez aimé cet article ?

EuroLibertés n’est pas qu’un simple blog qui pourra se contenter ad vitam aeternam de bonnes volontés aussi dévouées soient elles… Sa promotion, son développement, sa gestion, les contacts avec les auteurs nécessitent une équipe de collaborateurs compétents et disponibles et donc des ressources financières, même si EuroLibertés n’a pas de vocation commerciale… C’est pourquoi, je lance un appel à nos lecteurs : NOUS AVONS BESOIN DE VOUS DÈS MAINTENANT car je doute que George Soros, David Rockefeller, la Carnegie Corporation, la Fondation Ford et autres Goldman-Sachs ne soient prêts à nous aider ; il faut dire qu’ils sont très sollicités par les medias institutionnels… et, comment dire, j’ai comme l’impression qu’EuroLibertés et eux, c’est assez incompatible !… En revanche, avec vous, chers lecteurs, je prends le pari contraire ! Trois solutions pour nous soutenir : cliquez ici.

Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.

Cet article De Gaulle et le Grand Remplacement de la France (au cinéma) est apparu en premier sur Eurolibertés.

 

Extrait de: Source et auteur

Suisse shared items on The Old Reader (RSS)

Un commentaire

  1. Posté par miranda le

    CE QUI A ETONNE LES GENERATIONS COMME LA MIENNE, C’EST DE VOIR LES VILLES A VISAGE HUMAIN ET POETIQUES DEVENIR PLETHORIQUES SANS COMPTER LE GIGANTISME DES MEGAPOLES.
    OU SONT LES RESPONSABILITES ? Est-ce que la démographie des autochtones n’a pas eu un impact dans ce grand changement? Est-ce que l’immigration incessante n’a pas eu son effet?
    Est-ce que la volonté des DECIDEURS POLITIQUES ET INDUSTRIELS oeuvrant la construction d’une société « heureuse » de production et de consommation n’est pas impliquée ?
    Bien sûr, si nous voulons retourner à des sociétés plus humaines où la communication avec l’autre était une évidence, comme boire ou manger, nous serons bien obligés de faire notre « procés à tous ». Afin d’imaginer quel chemin prendre pour restaurer « le bonheur simple ».
    Mais réintroduire DE LA NATURE dans la ville, s’imposera plus que jamais. L’être humain vient d’elle, doit vivre avec elle, mourir en elle parce qu’il en tout simplement l’un des éléments.

Et vous, qu'en pensez vous ?

Poster un commentaire

Votre commentaire est susceptible d'être modéré, nous vous prions d'être patients.

* Ces champs sont obligatoires

Avertissement! Seuls les commentaires signés par leurs auteurs sont admis, sauf exceptions demandées auprès des Observateurs.ch pour des raisons personnelles ou professionnelles. Les commentaires sont en principe modérés. Toutefois, étant donné le nombre très considérable et en progression fulgurante des commentaires (259'163 commentaires retenus et 79'280 articles publiés, chiffres au 1 décembre 2020), un travail de modération complet et exhaustif est totalement impensable. Notre site invite, par conséquent, les commentateurs à ne pas transgresser les règles élémentaires en vigueur et à se conformer à la loi afin d’éviter tout recours en justice. Le site n’est pas responsable de propos condamnables par la loi et fournira, en cas de demande et dans la mesure du possible, les éléments nécessaires à l’identification des auteurs faisant l’objet d’une procédure judiciaire. Les commentaires n’engagent que leurs auteurs. Le site se réserve, par ailleurs, le droit de supprimer tout commentaire qu’il repérerait comme anonyme et invite plus généralement les commentateurs à s’en tenir à des propos acceptables et non condamnables.

Entrez les deux mots ci-dessous (séparés par un espace). Si vous n'arrivez pas à lire les mots vous pouvez afficher une nouvelle image.