Marche Turque

Stéphane Montabert
Suisse naturalisé, Conseiller communal UDC, Renens

La campagne du Président Erdogan en Europe révèle les failles et les contradictions du Vieux Continent, en plus de faire tomber les masques du régime aujourd'hui à la tête de la Turquie. Une remise à plat salutaire.

turquie,diplomatie,pays-bas,allemagne,liberté d'expressionContinuation logique de la purge entamée depuis le coup d'état manqué de juillet 2016, Recep Tayyip Erdogan souhaite réformer la Constitution turque pour renforcer encore son pouvoir. Le référendum "vise à faire du président un dictateur légal afin d'adapter la loi à la pratique", résume avec malice Yvan Perrin avant d'enfoncer le clou:

"Erdogan réclame la liberté de parole pour lui chez les autres alors qu'il interdit la liberté de parole chez lui pour les autres."

L'islamiste modéré est donc en campagne, et par les hasards de l'immigration de masse se retrouve à courtiser la gigantesque diaspora turque installée sur le Vieux Continent. Le référendum sera en effet très disputé et toutes les voix comptent. En Europe, les réactions des autorités sont contrastées, comme le rapporte Le Monde.

En Allemagne où résident désormais près de trois millions de Turcs (sans compter les réfugiés et autres migrants aux nationalités approximatives) le ministre de l'intérieur allemand Thomas de Maizière a affirmé qu'une "campagne électorale turque n'a rien à faire ici, en Allemagne." Joignant le geste à la parole,

[Plusieurs] meetings ont été annulés début mars dans plusieurs villes. Le ministre turc de la justice a annulé un déplacement dans le pays et le président s'est emporté jusqu'à évoquer des « pratiques nazies » de la part de Berlin. Angela Merkel a répliqué en expliquant qu'en Allemagne la décision d’autoriser ou non ces meetings ne relevait pas de l'État fédéral, mais des compétences des communes.

Une façon comme une autre de botter en touche avec hypocrisie: je ne veux pas de vous chez moi, mais l'interdiction ne vient pas de moi. Mais en rappelant une fois de plus le péché originel allemand, le président turc ne s'est pas fait que des amis.

Aux Pays-Bas, un avion transportant le ministre turc des affaires étrangères Mevlut Cavusoglu venu pour un meeting de soutien dut faire demi-tour alors qu’il allait se poser à Rotterdam. La ministre de la famille Fatma Betül Sayan Kaya subit le même affront par voie de terre en se voyant reconduire en voiture d'où elle était venue, en Allemagne. Le premier ministre néerlandais, Mark Rutte, invoqua pour l'occasion un risque à l’ordre public et déclara que "ces rassemblements ne doivent pas contribuer à des tensions dans notre société."

Mais le raidissement soudain de M. Rutte pourrait ne pas être totalement sincère. En proie à une campagne électorale délicate dans son propre pays, il risque de voir triompher le parti anti-islam de Geert Wilders pas plus tard que ce mercredi 15 mars. Une crise avec la Turquie était bien la dernière chose à espérer au beau milieu de la dernière ligne droite, mais au pied du mur Mark Rutte choisit finalement de s'aligner sur son concurrent, au risque de perturber les électeurs. Un journal belge le révèle, il y a désormais le bon et le mauvais populisme - comme les chasseurs.

Bien que les Pays-Bas ne comportent "que" 400'000 citoyens turcs enregistrés, l'affront ne pouvait pas rester impuni: pour un dictateur, il n'est de pire crime que celui de lèse-majesté. Les Néerlandais eurent donc eux aussi droit au "heures les plus sombres", M. Erdogan les accusant d'être des "fascistes" influencés par les "vestiges du nazisme"...

Si ces deux pays sont les plus souvent évoqués dans les médias ils ne sont pas les seuls: l'Autriche et la Suède ont aussi annulé des meetings de campagne turcs. La France en a accepté plusieurs, s'attirant les foudres des candidats de droite à la campagne présidentielle (française celle-ci), le gouvernement sortant se justifiant quant à lui par l'absence de troubles à l'ordre public.

Enfin, la Suisse se retrouve l'arrière-train entre deux chaises, ne sachant ni s'il faut interdire la campagne référendaire de la Turquie au nom de troubles de l'ordre public, ni s'il faut la permettre au nom de la liberté d'expression. Mais en réalité la Suisse n'a que faire de l'un comme de l'autre, elle cherche comme d'habitude à ne fâcher personne.

Cafouillage généralisé

Le référendum turc et la campagne qui l'accompagnent sont salutaires, car ils permettent de faire tomber bien des masques.

En Europe, comme d'habitude, la cacophonie et la confusion règnent. La Turquie est membre de l'OTAN et un pays "allié" de l'Europe, envers lequel on fait miroiter depuis des décennies la perspective d'une adhésion tout en sachant très bien qu'elle n'aura jamais lieu. Et comme les Turcs le savent aussi, on les amadoue à coup de milliards de subventions. Celles-ci ont reçu une sérieuse rallonge depuis que les Européens tentent maladroitement de déléguer la gestion des frontières extérieures de l'Union au pays tiers par lequel transitent les principales hordes de migrants, tout en critiquant la dérive autoritaire du président et en l'empêchant de faire campagne. Comment un tel plan pourrait échouer?

Au sein des populations européennes, la campagne du président Erdogan montre la véritable cinquième colonne que représentent les Turcs installés sur le continent depuis plusieurs décennies: ce ne sont que manifestations de force, avalanche de drapeaux turcs, fierté communautariste et pogroms contre les minorités haïes (Kurdes, partisans désignés de l'ennemi Fethullah Gülen...) Et on nous parle encore d'intégration?

En Turquie, le référendum montre la crispation du pouvoir et la fin de course du prétendu islamisme modéré d'un président bien décidé à renverser tout ce qu'il reste de l'héritage laïque de Mustafa Kemal Atatürk, et à massacrer les minorités divergentes. Mais l'ironie de la situation est de voir venir le pouvoir autoritaire turc courtiser sa propre diaspora dans l'espoir de mieux transformer en enfer le pays qu'ils ont quitté (mais auquel ils vouent encore visiblement leur allégeance).

Rarement une campagne électorale référendaire sera mieux tombée, alors que des élections générales se profilent en Allemagne, en France et aux Pays-Bas. Si l'on peut bien remercier M. Erdogan pour une chose, c'est pour son sens du timing.

Stéphane Montabert - Sur le Web et sur Lesobservateurs.ch, le 13 mars 2017

4 commentaires

  1. Posté par TulliaCiceronis le

    @Stéphane Montabert – Merci pour cette intervention consistante. « (…) la Suisse se retrouve l’arrière-train entre deux chaises (…), dites-vous. Voilà qui est curieux. Nos conseillers bruxellois seraient-ils momentanément injoignables ? Aurions-nous, d’une manière ou d’une autre, et bien involontairement cela va de soi, heurté leur sensibilité ? Dans ces conditions, le mieux à faire est d’attendre la fin de la nouba turque pour nous prononcer. Après quoi, nous pourrons toujours prétendre, la main sur le coeur, que nous n’étions au courant de rien, ceci afin de « ne fâcher personne » (une de nos grandes spécialités, en effet, grâce à quoi, de petits, nous sommes devenus gentils)… Plus sérieusement : l’autorisation/l’interdiction des meetings de propagande politique turque (étrangère) sur sol européen intéresse-t-elle vraiment la liberté d’expression ?

  2. Posté par Claire le

    L’UE est un « machin » au sens gaulliste du terme, qui ne fonctionne pas et pour cause: quel agriculteur sensé aurait l’idée d’atteler à la même charrue un cheval de course, un cheval de selle, un cheval de labour, un âne et une chèvre (métaphores à distribuer au gré de chacun)?
    Il en résulte une cacophonie généralisée, quel que soit le sujet abordé. A la fermeté des Pays-Bas, s’oppose la nullité collabo islamo-compatible de la France (je suis française, je sais malheureusement de quoi je parle), avec toutes les nuances entre les deux.
    L’UE est en train d’imploser. Le plus tôt sera le mieux.

  3. Posté par Sentinelle le

    (la Suisse) … elle cherche comme d’habitude à ne fâcher personne. »

    Oui, Didier Burkhalter aurait bien voulu passer entre les gouttes, mais cette fois-ci, il n’a pas pris le bon parapluie : il a oublié qu’on a encore un reste de la presse écrite dans notre pays qui ne voulait pas jouer le jeu : le vilain canard s’appelle cette fois le Blick. Et ils en remettent une couche : dans une interview, un juge fédéral dénonce publiquement – c’est une démarche exceptionnelle – la dérive totalitaire de la Turquie et exprime sa crainte pour les nombreux juges et procureurs qui sont en prison et avec qui on a perdu tout contact…

    http://www.blick.ch/news/politik/bundesrichter-thomas-stadelmann-befuerchtet-fuer-die-tuerkei-das-schlimmste-eine-kleine-gruppe-will-grundwerte-aushebeln-id6364597.html

  4. Posté par Fleeps le

    La suisse……elle sait pas….oui un peu mais pas trop…..en faite non….mais ça dépend….Bruxelles elle dit quoi….enfin non je……tuuuuuuuuuuuuuuuuut plus aucune trace sur l’électrocardiogramme.

Et vous, qu'en pensez vous ?

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