Roumanie, Hongrie : brouillage idéologique, réalités nationales

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Par Modeste Schwartz.

Roumanie – Mes articles récents sur la situation politique en Roumanie, publiés ici, ont déclenché une vaste contre-offensive de désinformation, visant à la fois ma personne et le mouvement d’opinion qui s’oppose à la tentative de putsch en cours à Bucarest.

Au service de l’un et l’autre de ces objectifs, une même stratégie : tirer un dernier bénéfice temporaire de la dichotomie droite/gauche en plein naufrage, et instrumentaliser, sous l’étiquette « d’anticommunisme », les traumas hérités du passé dictatorial de l’avant-90.

Tandis que des prises de position plus anciennes, à l’encontre du Blitz médiatique occidental déchaîné en 2010-2012 contre la Hongrie de V. Orbán, m’avaient attiré les épithètes monotones dont la gauche occidentale affuble tout ce qu’elle n’aime ou ne comprend pas (« fasciste », « nostalgique » etc.), les écrits susmentionnés m’ont donc valu une nouvelle promotion, cette fois-ci au rang de « communiste », voire – sur les forums les plus inspirés (comme l’obscur site roumain PressOne), celui, un tantinet suranné mais toujours si seyant, de « judéo-bolchévique ». Dans les deux cas, il est bien sûr fortement suggéré (quoique jamais affirmé avec suffisamment de clarté pour permettre des poursuites judiciaires) que le responsable direct de mon existence, et de mon extrême richesse, est le célèbre hacker russe V. Poutine.

Tenacement amené, l’amalgame ne résiste cependant pas même à un examen sommaire. En effet :

  • Même à supposer que les étiquettes conventionnelles de la politique européenne (comme « socialiste », « libéral » etc.) aient un sens en Roumanie (ce qui n’a jamais été le cas), l’affrontement actuel oppose une coalition « droite-gauche » au pouvoir (Parti Social-Démocrate + parti libéral ALDE) à une autre coalition (informelle) « droite-gauche » qui, depuis l’opposition (mais avec la complicité de la présidence de l’État, et en dépit des devoirs de neutralité de cette dernière), soutient le maïdan, composée d’un autre parti nominalement « libéral » (le PNL de Klaus Johannis) et d’un parti prétendument apolitique, mais en réalité parfaitement aligné sur la gauche sociétale occidentale (l’USR). Au sein de la coalition au pouvoir, l’option souverainiste que je défends est d’ailleurs beaucoup mieux représentée par C. P. Tăriceanu, président d’ALDE, que par les dirigeants du Parti Social-Démocrate, qui semblent caresser l’espoir illusoire d’un armistice avec les putschistes et leurs sponsors occidentaux.
  • La politique économique étant, comme dans tout le reste de l’UE (et peut-être plus encore en Roumanie qu’ailleurs) devenue une chasse-gardée « d’experts » travaillant sous tutelle internationale, l’examen des politiques socio-culturelles des gouvernements des dernières décennies est le mieux à même de nous permettre d’identifier une « droite des valeurs » et une « gauche des valeurs » dans le paysage politique roumain. Résultat : la réalité des politiques contredit frontalement le sens des étiquettes idéologiques. La grande majorité des réformes libérales-libertaires mises en œuvre (agenda LGBT, lutte contre la religion etc.) appartient au bilan des gouvernements dits « de droite » des présidences Băsescu et Johannis. Johannis a traité de « fanatiques religieux » ceux qui s’opposent à la légalisation du « mariage gay », tandis que son premier-ministre favori, Cioloș, a fait preuve d’un zèle hors du commun pour exécuter les consignes d’accueil maximal émises par Berlin (pardon : « Bruxelles ») pendant la crise des migrants. Globalement apolitique/affairiste, vaguement socio-démocrate en économie (mais sans réelle remise en cause du capitalisme), le PSD actuellement au pouvoir, sur le plan sociétal, pourrait sans exagération être décrit comme une alternative de droite aux gouvernements libéraux de la dernière décennie.
  • Par « droite », on peut aussi entendre « nationaliste ». De ce point de vue, les partis de la coalition pro-maïdan ne sont nationalistes que par leur méfiance et leur hostilité vis-à-vis de la Hongrie actuelle et de la minorité hongroise de Roumanie. A Cluj/Kolozsvár, ville où, dans les années 70, le hongrois restait bien davantage parlé en centre-ville que le roumain, et qui sert actuellement de base tactique au camp putschiste, le maire E. Boc, du camp putschiste, prolonge depuis des années la politique de son prédécesseur ultra-nationaliste Funar, consistant à refuser au mépris de la législation nationale un affichage plurilingue incluant le hongrois. Parallèlement, l’USR, parti au cœur de la mouvance putschiste, totalement inféodé aux services secrets roumains, tente discrètement d’arracher sa frange libérale de gauche au parti de la minorité hongroise (UDMR/RMDSZ), lequel s’abstient fort prudemment de prendre parti. Par ailleurs, le maïdan associe un vague folklore chauvin (une mer de drapeaux roumains, des hymnes…) à un discours clairement antinational : slogans en anglais, symbiose avec les multinationales, habitude de prendre à témoin les ambassades occidentales et d’applaudir toutes leurs intolérables ingérences dans la vie politique nationale, etc..
  • Enfin et surtout, presque tous les « héros » de plus de 40 ans de la mouvance putschiste, si prompte à s’emparer des symboles révolutionnaires du changement de régime de 1989, ont hélas un « passé dissident » des plus contestables : pendant que les Saxons de son ethnie, poussés au départ par Ceaușescu, migraient en masse vers l’Allemagne en laissant tout derrière eux, K. Johannis faisait de bonnes études (sous un régime qui restreignait l’accès aux études supérieures pour les « ennemis de classe »), avant de se constituer dans la Roumanie exsangue des années 1990 un patrimoine immobilier dont peu de professeurs de lycée oseraient rêver… en Allemagne. Le procureur M. Macovei, militante LGBT à ses heures perdues, mais surtout icône vivante de la « croisade anti-corruption », ne manque pas d’expérience dans son domaine, puisqu’elle était … déjà procureur sous Ceaușescu.

En réalité, l’histoire de l’Europe centrale se répète jusque dans les détails. Tout comme l’effondrement de l’Europe nazie avait en 1945 livré la Hongrie et la Roumanie pieds et poings liés à l’Union Soviétique, l’effondrement du Bloc socialiste les a, en 1990, livrées pieds et poings liés à l’Empire occidental (faucons de l’OTAN et vautours du FMI volant en tandem). Dans les deux cas, il a fallu aux deux pays une génération (un peu moins à la Hongrie, un peu plus à la Roumanie) pour se redresser et procéder à une réappropriation patriotique du régime imposé. Dans les deux cas, la Hongrie a payé sa précocité révolutionnaire au prix du sang : hécatombe de 1956, qui allait finalement accoucher du régime Kádár, et émeutes sanglantes de 2006, qui ont contribué à l’arrivée au pouvoir en 2010 du FIDESZ avec son nouveau programme de « renouveau hongrois ».

Dans les deux cas, la Roumanie a plutôt choisi la voie du compromis : au cours des années 1960, l’ascension progressive de N. Ceaușescu débouche sur une sorte de « titisme à la roumaine », aussi impuissant que le régime Kádár à corriger les tares constitutives de la dictature communiste, mais permettant un réel essor économique et une relative indépendance. Au début des années 2010, des gouvernements du PSD (parti qui au cours des années 1990 et au début des années 2000 avait participé à la casse sociale et au pillage du patrimoine industriel) prennent peu à peu la voie de la défense du peuple, adoptant des mesures très semblables à celles que promeut au même moment le gouvernement Orbán en Hongrie (hausses de salaire, politiques sociales).

Décrites avec mépris, en Hongrie comme en Roumanie, comme des « aumônes » par une extrême-gauche maximaliste en situation d’alliance objective avec l’occupation économique allemande, ces hausses de salaires, modestes mais répétées, sont en réalité la pièce essentielle d’un dispositif de redressement national, dans la mesure où elles contribuent à modifier l’équation de base de la vie sociale est-européenne des vingt dernières années : « rester ou émigrer ? ». De l’aptitude des gouvernements Orbán et Grindeanu à stopper l’hémorragie humaine qui vident ces pays de leur substance vive au profit du brain drain occidental dépend l’avenir démographique, économique et culturel de l’Europe centrale.

Contrairement à l’idée, véhiculée par divers analystes amateurs ou de mauvaise foi, répétant les refrains qui circulent dans down-town Bucarest, selon laquelle la victoire PSD de décembre 2016 aurait été « mal méritée » et due principalement à l’absence d’un adversaire tenant la route, les résultats sectoriels (géographiques et sociologiques) montrent, aux côtés de l’électorat PSD traditionnel (plutôt moldave, plutôt paysan, plutôt âgé), l’émergence d’un nouvel électorat (plus transylvain, plus diplômé, plus jeune), qui a certes exprimé un vote de refus, mais d’un refus allant bien au-delà de Johannis, de Cioloș ou de telle ou telle autre personnalité compromise du PNL, ou plus généralement de la « droite » roumaine.

Depuis 2010, l’exemple hongrois de V. Orbán est observé de près par la presse roumaine, et intensivement commenté sur les réseaux sociaux, dans les cercles d’inspiration patriotique. Outre certaines inquiétudes (savamment entretenues par les « nationalistes » des services secrets) liées à la réapparition de la Hongrie sur la scène géopolitique européenne, le ton de ces commentaires est le plus souvent un ton de louange et d’envie. Le projet d’un Orbán roumain n’est pas neuf, il couve dans bien des esprits, et, si Dragnea, leader naturel de la nouvelle majorité, tarde à l’incarner, il se pourrait bien que C. P. Tăriceanu le prenne de vitesse sur ce terrain, notamment à l’occasion des prochaines présidentielles (prévues dans deux ans, mais … qui pourraient intervenir plus tôt).

Qu’importe, donc, la crédulité de tant et tant de jeunes idéalistes attirés par les slogans de « lutte contre le fascisme » (à Budapest) et de « lutte contre la corruption » (à Bucarest) vers l’aventure des maïdans. Les organisateurs de maïdan, qui, eux, savent très bien ce qu’ils font, n’ont cure du « fascisme » et de la « corruption », et mènent avec perfidie et sang-froid leur propre lutte : contre le peuple, contre la nation.

 

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