ETAT DE STRESS POST-TRAUMATIQUE COLLECTIF (POUR QUI ?)

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Ci-dessus: "Ange ou Démon". Représentation manichéenne de Donald J. Trump en archange Michel face à Mme Hillary Clinton assimilée aux forces diaboliques. Le genre d'image qu'on ne risquait pas de voir analysée à la conférence du professeur W. J. T. Mitchell, que les mauvaises langues diraient frappé d'hémiplégie idéologique.

Texte de Jacques-Antoine de Coyetaux :

Ce mercredi 18 janvier 2017 nous avons eu le plaisir d'assister à une conférence donnée dans le cadre du colloque Que font les images dans l’espace public? Le thème était Donald Trump et la culture visuelle américaine. Le professeur W. J. T. Mitchell a abordé ce thème sous l'angle de la folie.

En annonce sur le site de l'université, on a pu lire que: "Le choc causé par l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis a laissé de nombreux américains et citoyens du monde dans un état de stress post-traumatique collectif ".

C'est, en effet, un constat que nous faisons aussi, non sans une dose de Schadenfreude. Etant plutôt de ceux que la victoire de Trump a réjouis, son investiture participe bénéfiquement à notre bien-être psychique. On a envie de laisser échapper un franc "tant pis pour vous".

Ci-dessus: la bannière officielle de la conférence du prof. Mitchell à l'auditoire Jean Piaget.

L'affiche de la conférence apparente d'emblée cette venue au registre comique, tendant subtilement vers le sarcasme.  On y voit un aigle blanc américain incarnant les USA avec une crinière blonde évoquant la chevelure du 45ème  président. Le regard de l'oiseau porté sur cet artifice exprime une certaine consternation, voire de l'inquiétude. Quelque chose d'anormal s'est produit. Sous-entendu l'Amérique n'est plus normale. Mais selon quelle "norme"? Selon celle du postmodernisme anti-Trump pour donner une réponse provisoire et très approximative.

Ci-dessus: Une des images choisies par le professeur Mitchell. Obama = Espoir, Trump, Non! L'esthétique d'inspiration soviétique a été relevée par le conférencier. L'original était avec Lénine. Mitchell savait-il qu’on était à 100m du Landolt, hang out du fondateur du premier régime totalitaire ? Aurait-on pu si innocemment recycler une esthétique nazie? Difficilement. Il y a deux poids, deux mesures, et les intellectuels progressistes ne se gênent pas. La proximité esthétique conduirait-elle à la proximité idéologique? A débattre.

Ci-dessus: autre image projetée durant la conférence. Double transgression; viol et lèse-majesté. Ce genre d'image peut-avoir un effet politique négatif. La Liberté, et la République, seraient livrées à la libido machiste. Ce dessin fait référence à la vidéo dans laquelle Trump dit que, quand on est célèbre, il n'y a "qu'à choper les femmes par la c*****". Aucune image laudative ou apologétique de Trump n’a été diffusée durant la soirée.

Le message est donc clair. Le parti pris déclaré. La victoire de Trump est présentée comme un cauchemar, fruit ou déclencheur d'une psychose. Mais si c'était le contraire? Que le triomphe de Trump soit celui de la rationalité (ou du moins celui d'une rationalisation)  et peut-être même de la santé? Finalement si le rejet de Trump est pathologique, son contraire ne pourrait-il pas être sensé? Nous n'avons pas entendu le professeur Mitchell envisager ces pistes lors de sa présentation. On peut imaginer que le libellé "le cauchemar de l'histoire" fasse indirectement référence à la fin de l'histoire de Fukuyama. Faut-il comprendre que dans le meilleur des mondes de la démocratie postmoderne aboutie tout imprévu serait considéré comme une irruption de l'histoire (donc du passé, de ce qui ne saurait exister)? En tout cas, sous cet angle il y a effectivement de quoi trouver le succès de Trump cauchemardesque. On pourrait alors imaginer que non seulement cet homme bouleverse l'ordre, mais plus grave, il bouscule le paradigme dominant. Péril suprême, il s'en prend à la domination idéologique elle-même. Et affliction finale, il est un communiquant éminent doublé d'un génie du marketing, y compris politique. Comment le déboulonner? A l'auditoire Piaget, nous avons assisté à 90 minutes de stigmatisation discursive et iconographique du Donald, assigné à un rôle burlesque au cirque Barnum. Il serait difficile de dire s'il s'est agi d'une démarche militante ou académique. Peut-être une sorte de réunion tribale où la figure taboue serait sacrifiée par une foule en transe. Une fois l'ignoble Trump immolé, les auditeurs pourraient jouir de la catharsis dispensée en l’alma mater. En plus paranoïde, genre 1984, on y verrait une séance orwellienne de haine publique. Le gourou désignant le "grand méchant" qu'il convient de haïr. La foule canalisant ses pulsions agressives contre le "supra-traître". Ici tout est affaire de perception.

 

Ci-dessus: Donald Trump en uniforme de général russe de l'époque napoléonienne. Il s'en dégage une impression de crédibilité politique par la mise en scène du poids, du sérieux, de la solitude et de la splendeur du pouvoir. Dommage qu'elle n'ait pas été sélectionnée pour la conférence.

NIETZSCHE vs NIETZSCHE

Toutefois, la conférence n'a pas été placée sous l'égide d'Orwell, mais celle de Nietzsche. Le professeur W. J. T. Mitchell a commencé par projeter (en anglais) cette citation emblématique:

«Chez l’individu, la folie est quelque chose de rare, mais dans les groupes, les partis, les peuples, les époques, c’est la règle.» - Nietzsche

Le message sous-jacent serait-il que la folie s'est emparée de millions d'électeurs de Trump? On se sent visés. Par bonheur, le professeur rassure les éventuels supporters du candidat Républicain. Ils ne sont pas plus fous que leurs détracteurs. "Pas plus fous que moi", a dit le professeur  ne manquant pas  d'auto-dérision lors de son intervention. Pourquoi ne pas pousser ce recul critique au point de rappeler que Nietzsche a aussi mis en garde: “Qui trop combat le dragon devient dragon lui-même.” Or on ne peut s'empêcher de penser que certains moralistes anti-trump dénoncent sa prétendue démagogie par des méthodes qui pourraient elles-mêmes être estampillées "démagogiques".

La conviction que Trump est essentiellement mauvais, comme toute conviction du genre ne fait-elle pas l'objet d'une autre mise en garde du philosophe allemand quand il écrit: “En vérité, les convictions sont plus dangereuses que les mensonges.”?

La volonté de punir Trump, ne serait-ce qu'en tentant de le discréditer systématiquement,  ne ferait-elle pas écho à l'avertissement de Zarathoustra: “Méfiez-vous de tous ceux en qui l'instinct de punir est puissant.” Que cache toute cette haine? Pourquoi tant de haine? Le ressentiment envers ce que Trump représente et ceux qui pensent qu'il est le bon choix gagnerait à être questionné plus avant.

Mais pourtant, les invectiveurs de Trump diront qu'il en appelle aux bas instincts. Il s'adresse à des incultes, des "déplorables" selon Mme Clinton. Convenons en toute ironie que les avant-gardes éduquées savent mieux ce qu'il faut décider. Et bien là aussi on peut rétorquer par une citation de Nietzsche: “Parmi toutes les variétés de l'intelligence découvertes jusqu'à présent, l'instinct est, de toutes, la plus intelligente.”.  Peut-être que l'instinct de survie n'est pas si méprisable que cela, il a quand même rendu des services à la vie… si Nietzsche le dit alors…

Ci-dessus: Symbolique du conquérant, représentation de Trump en Napoléon Bonaparte franchissant le col du St Gothard. Une image sur laquelle W. J. T. Mitchell a décidé de faire l’impasse.

DENEGATION?

Bref, au jeu de l'arroseur arrosé on peut trouver des citations de Nietzsche sur Google et retourner un argumentaire comme celui du professeur W. J. T. Mitchell contre sa propre narration. C'est ce qu'a fait le premier auditeur à poser une question à la fin du cours. Se référant à la pensée de Nietzsche, il a demandé au professeur Mitchell si celui-ci n'avait pas l'impression que sa hargne à l'encontre de M. Trump était provoquée par le fait que ce dernier fracassait  l'idéologie du  chercheur américain?  Dans la langue de Shakespeare et en termes nietzschéens: “Sometimes people don't want to hear the truth because they don't want their illusions destroyed.” (Traduction de l'auteur: "Parfois les gens ne veulent pas entendre la vérité car ils ne veulent pas que leurs illusions soient détruites"). Le professeur a considéré que c'était une question intéressante.    Peut-être serait-ce une éventuelle source de la psychose évoquée? La sensation déplaisante découlant de narrations unilatérales et péremptoires ne serait-elle pas envisageable comme une origine possible d'un mal-être? Le grand immoraliste n'écrivait-il pas: “Ce n'est pas le doute, c'est la certitude qui rend fou.”?

THEORIE DE L’IMAGE OU AGIT-PROP ?

Mitchell a d’abord insisté sur la différence entre psyché individuelle et collective en se référant à Solon et Schiller avant de passer à Freud et Reich. Le reste a été essentiellement politique. Nous avons vainement attendu de la méthodologie, des cadres analytiques ou quoi que ce soit d’utilisable. Hormis quelques citations de classiques, on a de la peine à saisir ce que ce genre de cours peut apporter à un étudiant. Peut-être l’apprenant  saura-t-il pour qui il doit ou ne doit pas voter mais pas encore pourquoi. Quel savoir-faire peut-on espérer maîtriser après un tel cursus sinon celui du copinage idéologique ?

Le clou de la soirée a été une vidéo de Fox news (une des rares chaînes à avoir soutenu Trump) qui annonçait la mort d’Obama Ben Laden, truculent lapsus révélateur (ou volontaire ?) de Fox News sur le premier président noir des USA. On peut en voir toute une série sur Youtube, même en présence du principal intéressé sur ABC News : https://www.youtube.com/watch?v=6o87eKK-OHo

Grosso modo l’exposé a ensuite été le suivant : Reagan aurait inauguré une ère dans laquelle il suffisait de dire du mal du gouvernement pour se faire élire. Les Clinton auraient dérégulé les banques. Bien que son élection de 2008 ait suscité « des espoirs irréalistes » et qu’il ait eu recours à un certain « populisme »,  Obama a été qualifié par le professeur Mitchell de « président le plus rationnel de l’histoire ». Difficile de savoir s’il faut y voir une simple envolée panégyrique ou une projection téléologique. Le Brexit a été présenté comme une erreur. La démocratie américaine en faillite. Le système des grands électeurs « une survivance de l’esclavagisme ». Que faire ? Comment guérir cette psychose ? Les Démocrates doivent être sur la défensive. La presse libre et vigilante (« vigilant free press ») devant faire sa part.  On peut leur faire confiance…

Le professeur de l’université de Chicago confié qu’il a quand même réussi à regarder UN discours de Trump jusqu’au bout, insinuant que cela lui a été difficile. Selon Mitchell, les apparitions télévisuelles de Trump suggèrent que ce dernier n’a pas d’inconscient, comme un « classic psychotic ». Ben voyons, nous savons tous que le « supra-traître » Goldstein est fou. Accrochons-nous au pinceau… ils retirent l’échelle.

ET LA SUISSE DANS TOUT CA ?

Nous avons pu apprendre que la Suisse est « la plus ancienne démocratie d’Europe, remontant à 1291 ». Devenue au fil du temps « Gated Community »,  une communauté fermée, avec une « économie néo-libérale », pas évident pour Mitchell de déterminer si c’est un Etat modèle ou un Etat voyou (Rogue State). Supposons que l’alternative dépende de considérations diplomatiques. En tout cas, c’est un pays dans lequel « la démocratie formelle peut se perpétuer » (« formal democray can go on »).

Jacques-Antoine de Coyetaux

Ci-dessus: "The Donald Rises Fanart". Action, virilité, puissance, armement, efficacité, patriotisme et une pluie de dollars. Une énumération de symboles et des valeurs qui au-delà du fantasme pourraient peut-être déboucher sur une analyse constructive de l'interaction entre le complexe militaro-industriel et le nouveau président en lieu et place du Trump bashing primaire.

 

 

 

 

 

 

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