Revue de presse. D’estoc et de taille : du 19 au 25 septembre 2016

David l’Epée
Philosophe, journaliste
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Lundi 19 septembre : elle tient tête à YouTube et à la Commission européenne !

Le scandale de ce début de semaine, c’est celui des pressions (directes ou indirectes) exercées par l’UE sur YouTube pour tenter de censurer la jeune blogueuse Laetitia Nadji, choisie préalablement par la multinationale du streaming pour aller interviewer Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne. Rien d’autre jusque là qu’une opération de communication classique, déjà vue aux Etats-Unis, d’intégration de youtubeurs (considérés comme acteurs médiatiques indépendants) dans un événement médiatique officiel, afin de tirer profit de leur audience, généralement jeune, et de donner une image plus alternative dans le cadre d’une stratégie marketing. Les choses se compliquent lorsque Laetitia Nadji, mettant à contribution ses followers (les internautes qui la suivent) dans une démarche interactive typique du web, leur demande de lui communiquer les questions qu’ils voudraient poser à M. Juncker, afin de s’en faire la porte-parole. Le bon vieux principe des cahiers de doléances en quelque sorte. Les internautes, bien sûr, ont sauté sur l’occasion et les questions qu’ils lui ont fait parvenir étaient évidemment bien plus franches et bien moins serviles que celles qu’aurait pu poser un journaliste traditionnel. Et la jeune youtubeuse, fidèle à son engagement, les a relayées et posées, le 15 septembre, lors de sa rencontre avec le président de la Commission européenne, qui ne s’y attendait peut-être pas, plus habitué au cirage de mocassins qu’à de vraies interpellations critiques.

Il a ainsi été question, durant l’entretien filmé, des rapports entre son prédécesseur Manuel Barroso et Goldman Sachs (a-t-il été complaisant avec la banque lors de sa présidence ? a-t-il livré des secrets d’Etat à la banque après avoir quitté ses fonctions politiques ?), de l’influence des lobbys dans la promulgation des lois européennes ou encore de la responsabilité du gouvernement du Luxembourg, dont il a fait partie, dans les cadeaux fiscaux concédés à des multinationales comme Pepsi ou Mc Donald’s (« confier à quelqu’un qui a été ministre des finances pendant 18 ans du plus grand paradis fiscal en Europe la mission de lutter contre l’évasion fiscale, est-ce que ce ne serait pas désigner un braqueur de banque comme chef de la police ? »). En découvrant cette vidéo, j’ai eu tout simplement envie d’envie d’applaudir l’intégrité et le professionnalisme de Laetitia Nadji qui a su, en un quart d’heure, redonner sa juste place à la déontologie qu’on devrait attendre de tout journaliste.

Ce que l’on apprend par la suite, grâce à une vidéo filmée en caméra cachée et publiée par la jeune intervieweuse, c’est qu’elle a subi des pressions de la part de YouTube qui a tenté, vainement, de caviarder les questions les plus gênantes. On entend distinctement, sur cette vidéo, un responsable de la multinationale dire : « Tu ne vas pas te mettre à dos la Commission européenne et YouTube et tous les gens qui croient en toi. Sauf si tu ne comptes pas faire long feu sur YouTube… » Malgré les menaces, elle tient bon, relaie son cahier de doléances conformément à sa promesse et met Juncker au pied du mur face à un public de plus de 300'000 internautes. Un exemple de droiture que je voulais partager avec vous pour bien commencer la semaine !

 

Mardi 20 septembre : Quand le PLR fait mine de jouer la carte Ecopop

Le Temps d’aujourd’hui a recueilli quelques tweets d’acteurs politiques suisses relatifs à l’initiative sur l’économie verte sur laquelle nous voterons dimanche. On retiendra entre autres celui du Centre patronal qui nous explique que l’économie verte, contrairement à la manière dont elle se présente dans l’initiative, « doit s’appuyer sur l’innovation, pas la brider ni l’étatiser ». L’innovation : terme vague mais toujours connoté positivement, un grand classique de l’arsenal lexical du développement prétendument durable. Son principe ? Renoncer au renoncement, continuer à produire et à consommer autant, sinon plus, tout en formulant comme un mantra la promesse d’une future amélioration technologique, toujours repoussée au lendemain, censée nous permettre de maintenir notre niveau de vie boulimique tout en diminuant notre empreinte écologique. De quelle manière ? Nul ne le sait, c’est un pari gratuit sur l’avenir, un postulat de principe. Quant au conseiller national genevois PLR Benoît Genecand, il commente sur Facebook les affiches des partisans de l’initiative (mettant en scène des bébés et appelant à se préoccuper de leur avenir) : « Pour atteindre un équivalent planète d’ici à 2050 en Suisse, la première urgence serait certainement de ne pas trop en faire, des bébés ! » Comme quoi pour faire barrage à une initiative bridant le capitalisme sans entrave, les libéraux sont quasiment prêts à se faire passer pour des malthusiens tendance Ecopop ! Si on suit ce raisonnement sur la manière dont notre démographie affecte notre environnement, doit-on s’attendre à voir le PLR s’exprimer en faveur d’une diminution drastique des flux migratoires ? On peut toujours rêver…

 

Mercredi 21 septembre : Si vous refusez les frontières, vous aurez des murailles !

Verena Attinger, citoyenne de Corcelles (NE), semble avoir trouvé, dans le courrier des lecteurs de L’Express d’aujourd’hui, une formule assez adéquate pour qualifier les détracteurs de l’initiative pour une économie verte : « Pour eux, il est urgent d’attendre. » Cela résume à merveille le fonds de ce discours faussement volontariste et réellement attentiste qu’on entend depuis quelques semaines et qui essaie de dissuader les citoyens de soutenir le changement de cap proposé par les initiants. Dans Le Temps, Matthias Bölke, directeur de Schneider Electric et président de Swisscleantech, appelle quant à lui à soutenir l’initiative. « On pourrait se dire que la réduction de l’empreinte écologique, favorisée par la numérisation, est inéluctable et ainsi voter non à cette initiative, dit-il, mais je pense qu’il faut accélérer le mouvement et fixer un cadre et des objectifs. L’intervention possible du Conseil fédéral n’est pas une nouveauté, puisque la régulation dans les domaines de l’eau, de l’air et des déchets a amélioré la qualité de vie et positionné la Suisse parmi les meilleurs. » Preuve, n’en déplaise aux plus obtus des libéraux, qu’une intervention intelligente de l’Etat peut tout à fait contribuer à la prospérité commune et à conférer à la Suisse un rôle de leadership dans un domaine dont l’importance pour notre avenir à tous est crucial. Preuve également que, face à l’évidence des faits, même un grand patron peut le comprendre, l’admettre et s’en réjouir.

Une dépêche de l’ATS s’intéresse aux nouveaux murs et barricades dressés dans divers lieux d’Europe pour empêcher le passage des vagues de migrants de plus en plus nombreuses et juguler le déferlement humain en cours. Notamment à Calais (pas pour empêcher les gens d’entrer en France – c’est déjà trop tard – mais de passer en Grande-Bretagne…), entre l’Autriche et la Hongrie, et entre la Hongrie et la Serbie. Le résultat inquiétant d’une politique d’ouverture tous azimuts qui, au moment de l’aggravation de la crise, ne pouvait que déboucher sur une réaction de ce type, une réaction dont l’intensité est proportionnelle à l’excès inverse qui l’a produit, celui dont se sont rendus coupables les gouvernements européens. Comme le disait le diplomate et ancien correspondant de guerre Olivier Weber, interviewé dans L’Hebdo du 14 avril dernier : « No Borders est irresponsable et irréaliste : en abolissant les frontières, on crée du populisme, on détruit les cultures existantes. La frontière est définissante, elle permet de respecter l’Autre. Elle sépare mais relie aussi, en créant de l’altérité. » La frontière, en effet, n’est pas une muraille opaque et imperméable, elle est un filtre qui permet à ceux qui le régulent d’exercer un contrôle sur les passages d’un côté à l’autre. Comme l’écrit très justement Régis Debray dans son livre Eloge de la frontière (Gallimard, 2011, p.75-76), « ce sont les dépossédés qui ont intérêt à la démarcation franche et nette. Leur seul actif est leur territoire, et la frontière, leur principale source de revenus. […] Les riches vont là où ils veulent, à tire-d’aile ; les pauvres vont où ils peuvent, en ramant. » Vous avez voulu abolir les frontières, briser les limites, dépasser la mesure, précipiter les nations dans le grand maelstrom mondialiste ? Vous vous retrouvez aujourd’hui avec des murs, des barbelés et des miradors. Conséquence logique et dramatique.

Cette nécessité des frontières, tout le monde semble en avoir saisi l’importance ou être sur le point de le faire, tant l’actualité plaide, non sans douleur, en leur faveur. Il n’y a guère en Suisse que Pablo Cruchon, secrétaire genevois de SolidaritéS, pour continuer à rêver à leur abolition et pour penser que ce serait une bonne chose pour tout le monde. Dans l’éditorial du dernier numéro du journal du parti trotskiste, il écrit : « La destruction du dispositif législatif raciste, qui divise les travailleurs et les offre en pâture à une mise en concurrence sauvage, est un prérequis qui ne peut passer que par l’affirmation d’une liberté totale de circulation et d’établissement. » Pablo, reprends ton souffle, relis ta phrase calmement, fais un effort d’analyse et essaie de comprendre en quoi tu te contredis toi-même dans ces quelques mots. Puisque c’est la concurrence sauvage qui précarise les travailleurs et dont les patrons tirent profit (et là nous sommes bien d’accord), ne vois-tu pas que la suppression des frontières, qui sont des protections pour le travail, renforce encore cette concurrence en lui faisant prendre une dimension mondiale ? La libre circulation des travailleurs n’est rien d’autre qu’une forme de dérégulation de notre marché du travail (en dépit de toutes les pseudo-mesures d’accompagnement dont on connaît le caractère inoffensif), l’entrée en force d’un surplus de travailleurs dans un marché national limité aboutissant nécessairement à un affaiblissement des acquis sociaux et syndicaux ! Et quoi de plus susceptible d’attiser le racisme, à ton avis, que ces concurrences déloyales, que cette lutte pour la survie dans la jungle capitaliste et mondialisée ? Tu ne vois donc aucun rapport entre l’augmentation du nombre d’immigrés, consécutive à la libre circulation, et la montée de la xénophobie ? Tu ne vois pas que les patrons tiennent exactement le même discours que toi, Pablo, conscients du profit qu’ils ont à tirer de la perspective d’un monde sans frontières ? Marx et Engels parlaient d’armée de réserve du capital à propos de l’immigration, et les communistes employaient l’expression d’idiot utile pour parler de ceux qui tenaient des raisonnements sophistiques comme les tiens. Les uns et les autres avaient raison.

 

Jeudi 22 septembre : L’apéro est sexiste, la fertilité féminine aussi !

Le Matin d’aujourd’hui revient sur une polémique dont je vous avais déjà entretenu dans ma revue de presse du 3 septembre : l’invitation faite par Jeremy Corbyn, président du parti travailliste anglais, à ses compatriotes mâles de renoncer à leur habitude d’aller boire un verre au pub en sortant du travail. Revenant sur cette actualité près de trois semaines après la dépêche de Russia Today où j’avais trouvé l’information (merci la réactivité de la presse romande !), le quotidien orange demande son avis sur la question à Maria Bernasconi, ex-conseillère nationale PS, qui prend la défense de Corbyn et déclare : « L’apéro après le travail est sexiste car la société l’est. » Avec un raisonnement aussi globalisant, on se demande alors ce qui n’est pas sexiste dans la société ! Un autre député travailliste anglais, Chris Bryant, n’est pas du même avis que son camarade, au sujet duquel il s’interroge : « D’où diable sort-il cette ânerie antisociale et condescendante ? Est-ce qu’il essaie d’enlever social de socialisme ? » Tanis que Grace Dent, éditorialiste pour The Independent, ironise : « Nous faut-il une loi stipulant que tous les groupes d’après-boulot doivent contenir au moins deux femmes ? Doit-on demander qu’on cesse de servir tout gang de quatre hommes ou plus portant des cravates dénouées et semblant fraterniser d’une manière qui soutient le patriarcat ? » Contre l’asphyxie du politiquement correct, heureusement qu’il nous reste l’humour !

Dans Le Temps, Bernard Wuthrich – qui avait déjà consacré la semaine passée (le 13 septembre) un éditorial à la manière dont le Conseil national avait trahi le verdict populaire du 9 février 2014 en en diluant le contenu (il avait qualifié sa reformulation de « tigre de papier ») – consacre son éditorial d’aujourd’hui au même sujet. « La solution choisie fait le grand écart avec l’article constitutionnel visant à restreindre l’immigration, écrit-il. Jamais une loi d’application ne s’est autant distanciée des exigences de la charte fondamentale. » Et il ajoute : « Dans sa pesée des intérêts, le Conseil national privilégie le maintien de la libre circulation des personnes et des six accords bilatéraux qui lui sont liés plutôt que les contingents et la gestion autonome de l’immigration demandée par l’initiative. » Le verdict est exact mais, en concluant que l’initiative RASA pourrait être la solution pour sortir de cette cacophonie, il se leurre. Concernant cette initiative dont l’objectif évident est de faire invalider le vote du 9 février, il écrit : « Il s’agira de trouver une solution permettant de demander élégamment au peuple, sans lui donner le sentiment qu’il s’est trompé, car il déteste ça, de trancher entre la restriction de l’immigration qu’il a voulue et la sauvegarde des accords bilatéraux. » Dans un cas de figure comme celui-ci, s’adresser « élégamment » au peuple en l’incitant à revenir sur sa décision, ça revient tout bonnement à le rouler dans la farine !

Dans L’Hebdo de cette semaine, la chroniqueuse Anna Lietti revient sur la polémique survenue en Italie suite à la promotion du Fertility Day initié par Beatrice Lorenzin, la ministre de la santé et se proposant de sensibiliser les femmes à l’importance de donner la vie dans des délais raisonnables. « Il y a eu tir de barrage contre la campagne “sexiste”, “insultante” et “paternaliste” conçue à cette occasion, écrit la chroniqueuse. L’ombre de Mussolini et de Hitler réunis a plané sur la ministre quadragénaire, accusée de tenir un discours “digne des années 30” en renvoyant les femmes à la niche de la domesticité maternante. Nous ne sommes pas que des utérus mais des personnes à part entière ! ont tweeté des bataillons d’insurgées. » Diantre ! Mais quel était le contenu de cette campagne horripilante ? « Que dit l’affiche la plus vilipendée ? “La beauté n’a pas d’âge, la fertilité oui.” Franchement, vous trouvez ça nazi ? Il y a aussi cette autre : “La fertilité est un bien commun”. Ceux qui militent pour davantage de crèches ne disent pas autre chose. […] La ministre n’a fait que rappeler une réalité crue : tout se prolonge – l’adolescence, la formation, la jeunesse du corps, l’espérance de vie – sauf la fertilité des femmes qui, à partir de 25 ans, amorce impitoyablement son déclin. Résultat : entre le temps social et le temps biologique, un décalage vertigineux. Insupportable. Scandaleux. Gare à celui qui le rappelle : un enfant si tu veux, quand tu veux ? Ben non, justement, pas exactement quand tu veux. » Que cela plaise ou non, c’est en effet ainsi que la nature est faite. N’en déplaise aux féministes, ce n’est pas la ministre italienne de la santé qui est « réactionnaire », c’est la biologie.

Encore un mot sur l’initiative sur l’économie verte. Dans Le Temps toujours, Luc Recordon, ancien conseiller aux Etats et membre des Verts, défend ainsi la proposition soumise au vote : « Au lieu d’une économie en situation critique, marquée par le court-termisme, sous la pression d’acteurs boursiers avides de résultats trimestriels et fébriles lors de chaque variation, la pensée doit se réformer en direction du long terme. » Il n’y a en effet de véritable écologie que dans la prise en compte du temps long, c’est la raison pour laquelle il faut s’extraire d’un système de production et de consommation conditionné par une vision au jour le jour. « Ce n’est d’ailleurs pas tant le principe qu’il nous appartient de choisir que le moment, poursuit-il. Si nous traînons les savates, le choix nous sautera à la figure et, comme toujours, l’adaptation tardive, notre énième “virage raté” se passera dans la douleur. » J’ajouterais que c’est d’ailleurs l’alternative que pose tout projet décroissant (ce que, soi dit en passant, l’initiative n’est pas) : à moyen terme, le choix qui s’offre à nous est celui de la décroissance choisie (en vertu d’un vote populaire par exemple) ou de la décroissance subie (par la force des choses, la planète se chargeant de se rappeler à nous lorsque les choses seront vraiment allées trop loin). Inutile de préciser que le second choix de l’alternative risque d’être infiniment moins doux et progressif que le premier… M. Recordon termine en pointant les insuffisances de l’argumentaire des opposants à l’initiative, comme nous avons pu le faire nous-mêmes la semaine passée dans cette revue de presse : « Il est navrant de voir à quel degré plusieurs ronds-de-cuir d’organisations économiques s’opposent à cette vision d’avenir avec une argumentation d’une débilité… rare. Face à un texte laissant à un parlement pusillanime une énorme liberté de moyens, on ne nous dépeint rien moins qu’une dictature. » Réaction typique des gardiens du tiroir-caisse lorsqu’on propose de brider un peu la liberté toute puissante du marché…

Un dernier mot sur l’écologie. Dans le même quotidien, on trouve un entretien avec Bruno Tetrais, politologue à la Fondation pour la recherche stratégique. De manière assez déroutante, il nie pour l’avenir tout risque de déstabilisation de nos sociétés dû à la raréfaction des ressources naturelles (comme l’eau par exemple). Prenant le contrepied des mises en garde écologistes, il explique : « Cela fait vingt-cinq ans que j’entends parler de possibles guerres de l’eau et je n’en ai pas vu éclater une seule. Il n’y a pas d’exemple de conflits internationaux dans lesquels l’accès à l’eau ait joué un rôle prépondérant. […] Nous ne sommes plus au Moyen-Âge et nos sociétés ne se font plus la guerre pour accéder à des ressources naturelles manquantes. A supposer même que le réchauffement climatique conduise à une raréfaction de certaines d’entre elles, ce qui n’est pas démontré et a peu de chances de se vérifier un jour au niveau mondial, nous vivons dans un monde où, pour faire simple, il est plus facile d’acheter que de voler. Il n’y a dès lors aucune raison de penser qu’il pourrait devenir avantageux de se saisir de ressources devenues rares par des moyens militaires plutôt que par des moyens financiers. » Puisse-t-il avoir raison ! Mais j’ai tout de même de gros doutes, hélas…

 

Vendredi 23 septembre : La trahison a parfois un goût de chocolat

Le Matin revient sur le long débat (sept heures !) qui s’est tenu la veille au Conseil national pour faire passer le projet – réécrit, aseptisé et vidé de sa substance – de l’initiative du 9 février 2014. Je rappelle, pour ceux qui n’auraient lu ni les journaux de ces dernières semaines ni mes dernières revues de presse, qu’au mépris de la volonté du peuple, il ne sera plus question ni de gestion autonome de l’immigration, ni de quotas, ni de préférence nationale. « Nous avons fait du travail sérieux au service de la démocratie » plastronne Cesla Amarelle, rapporteuse de la Commission des institutions politiques (qui est à l’origine de ce texte). En quoi trahir un vote populaire est-il un service rendu à la démocratie ? Nous sommes, une fois de plus, dans l’inversion orwellienne du sens des mots ! « Dans ces moments difficiles, le Parlement montre une grande solidarité, poursuit Cesla Amarelle. Pendant les débats, nous recevions des petits mots d’encouragement, des félicitations et beaucoup de chocolat. Je n’ai d’ailleurs jamais reçu autant de chocolat ! Derrière ces gestes, il faut lire un engagement des collègues des différents partis pour défendre ensemble le compromis trouvé. » Tout un symbole en effet qui illustre parfaitement à quel point la majorité du Conseil national est aujourd’hui inféodé à l’Union européenne. Une solidarité des parlementaires oui, mais une solidarité contre le peuple suisse, devenu la bête noire à la fois de la gauche et de la droite. Je ne peux dès lors que tomber d’accord avec les récriminations d’Albert Rösti, partisan de l’initiative du 9 février, qui, dans ce même article, qualifie cette décision du Conseil national de « plus grave violation de la Constitution constatée dans cette Chambre » et confie : « J’ai été consterné par la légèreté avec laquelle les autres partis ont refusé d’appliquer le texte. On peut le dire objectivement : il n’y a rien dans cette loi. La Suisse s’est couchée devant les pressions de l’Union européenne. » Affaire à suivre : il est impensable que ça se termine de cette façon !

Dans Le Temps, Marie-Hélène Miauton ironise sur ceux qui voudraient absolument nous faire croire que notre pays sombre dans un écueil « isolationniste », idée fausse semblant reposer uniquement sur notre refus d’adhérer à l’UE. Elle écrit ceci : « Un syndrome de repli aurait frappé la Suisse depuis vingt ans au moins. Sur quoi repose cette assertion ? Sur un repli économique ? Non, car la Suisse compte un très grand nombre d’interlocuteurs commerciaux. Elle achète un peu partout dans le monde mais elle exporte encore plus, sa balance commerciale étant chroniquement positive. L’UE qui absorbait 63% de ses exportations en 2005 est tombée à 43% en 2015 tant les entreprises helvétiques se sont fait des amis ailleurs. Et encore, une fois le Brexit effectif, la prépondérance de l’Union diminuera car, sans la Grande-Bretagme, sa part aurait été de 39% en 2015. » Difficile en effet, dans ses conditions-là, de parler de mise à l’écart ! « A vrai dire, poursuit-elle, notre solitude ressemble plutôt à la place du marché ! Alors, vous l’aurez compris, l’isolement de la Suisse tiendrait à son particularisme politique, plus précisément à sa non-appartenance à l’Union européenne. Pourtant, elle aime l’Europe, continent auquel elle se sent appartenir culturellement et géographiquement, et avec lequel elle partage trois langues nationales. Mais elle n’aime pas la construction européenne, qui ne répond pas aux principes fédéralistes et démocratiques qui lui sont chers. Sous cet angle, et celui-ci seulement, elle revendique et assume sa pseudo-solitude, n’en déplaise aux tenants d’une adhésion à laquelle le peuple rechigne. » Mais il ne faut pas le dire trop fort quand même : si les autres pays européens venaient à réaliser qu’il est possible de coopérer économiquement avec leurs voisins tout en restant en dehors de l’UE, ils risqueraient de nous faire le même coup que les Anglais !...

 

Dimanche 25 septembre : Patience, le vent tourne !

On reparle encore de Cesla Amarelle, cette fois dans Le Matin Dimanche, où on nous explique qu’elle est la favorite pour entrer au Conseil d’Etat vaudois. Parmi les points forts à porter à son crédit, il y aurait son bilan politique. Sur quel point par exemple ? « Cesla Amarelle, rappelle l’article, a géré la crise des 523 sans-papiers, qui ont fini par être régularisés. » Quelque chose m’échappe peut-être dans cette phrase mais en quoi est-ce censé être un argument en faveur de son élection ?...

Dans le même hebdomadaire, François Schaller, rédacteur-en-chef de L’Agefi et pionnier en Suisse romande du combat anti-européiste (il a été dans notre partie du pays une des têtes de lance du combat contre l’EEE en 1992) nous livre une réflexion pleine de bon sens qui nous laisse à penser qu’en dépit des contorsions et des filouteries de nos gouvernants, les choses pourraient bien finir par évoluer en faveur de nos concitoyens. « Il a fallu des années pour que le principe de préférence nationale cesse d’apparaître comme un truc de nazi récupéré par le Front national, écrit-il. C’était le plus facile. Il reste encore à désataniser les contingents (une banalité pratiquée dans le monde entier hors UE), à comprendre enfin pourquoi Bruxelles tient tellement à sa libre circulation des personnes (placées sur le même plan que les capitaux et les marchandises), à démythifier surtout les Bilatérales I, inconsistantes hors libre circulation, comme l’ont fait ressortir deux études académiques récentes qui voulaient démontrer le contraire. Disons plutôt quinze ans que dix. Avant que le temps se mette à travailler pour la Suisse, il travaillait à fond pour l’Union. C’est de guerre lasse, et par gain de paix, que les Suisses – y compris l’auteur de ces lignes – ont validé ces Bilatérales I et leur invraisemblable clause guillotine. » Le vent tourne ! Et quant à la guillotine… Ah ça ira ça ira !

 

David L’Epée, 26.9.2016

5 commentaires

  1. Posté par Louis Gallimard le

    Sans doute la meilleure revue de presse du web en langue française. J’espère que son auteur saura se montrer endurant et durer dans le temps. Longue vie… !

  2. Posté par Pierre-Alain Tissot le

    Excellente et captivante revue de presse ! Merci M. L’Épée.
    Avec de bons arguments pour la cause environnementale, si difficile à prendre en compte dans nos milieux conservateurs.
    Et quelques aspects très déplaisants de Cesla Amarelle, éventuelle candidate au Conseil d’État vaudois ; une punition que les socialistes pourraient infliger au Pays de Vaud, encore pire que le long règne de Mme Lyon… Tout, mais pas ça !

  3. Posté par Bussy le

    Il y a une cruche qui se prend une leçon d’intelligence, j’adore !
    Mais c’est vrai qu’avec des frontières ouvertes et donc encore plus d’immigration, Pablo, tout content, finira par payer son lunch à midi moins de 4 francs et tant pis pour le travailleur qui est à la plonge payé au lance-pierre et l’autre, qui était un peu mieux payé, qu’il avait mis au chômage !

  4. Posté par aline le

    Merci beaucoup pour ce résumé toujours très apprécié!

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