Jacques Rueff – Un libéral français, de Gérard Minart

Francis Richard
Resp. Ressources humaines

Il y a autant de libéralismes que de libéraux.

Il est excessif, bien sûr, de parler ainsi, mais il y a du vrai dans cette assertion, car la diversité de la pensée libérale ne peut être que le reflet de la diversité de la pensée humaine quand elle s'exerce librement, sans contrainte autre que la soumission à l'impératif catégorique de la raison.

Un libéralisme, fût-il français, se reconnaît toutefois aux mêmes principes sur lequel ils se fondent tous: liberté individuelle, droits de propriété, sécurité des biens et des personnes, égalité en droit, avec la caractéristique qu'aucun de ces principes ne peut exister sans les autres.

 

Le livre sur Jacques Rueff de Gérard Minart expose la théorie économique d'un libéral français, qui a la particularité d'être un ingénieur (il part des faits pour vérifier et articuler ces principes entre eux de manière cohérente) et de l'avoir mise en pratique avec succès en 1926, en 1938 et en 1958.

Comme cette théorie économique est très vaste et que, de plus, elle s'insère dans une théorie encore plus vaste qui la concilie, par exemple, au social, il convient, pour la goûter, d'en prélever quelques singularités qui en font la richesse et qui la distinguent des autres libéralismes sans présenter pour autant avec eux de solution de continuité.

 

Sa formation scientifique a par exemple permis à Jacques Rueff de valider, grâce à l'outil statistique, l'équilibre auquel aboutit le mécanisme des prix, ce qui n'avait pas été fait avant lui, et qu'il compare à l'équilibre global d'un gaz où les molécules, indépendantes, sont prises dans un mouvement brownien.

Ce merveilleux mécanisme, ce monarque discret, s'applique à tous les domaines, qu'il s'agisse des prix, des salaires, des taux d'intérêt, des changes ou du chômage. Son biographe résume: il présente [...] cette faculté que tout en respectant la liberté, les désirs, les préférences, les penchants des individus, il organise un ordre collectif qui permet à la société de durer. 

 

Selon Jacques Rueff, il faut distinguer le droit de propriété de la chose possédée: le premier réside dans la faculté de disposer de la seconde. Le droit de propriété naît avec la richesse qu'il englobe et meurt quand elle cesse d'exister, par consommation ou destruction. Il n'est pas autre chose qu'un récipient de valeur.

A partir de là Jacques Rueff explique ce qu'est un vrai droit: Un droit dont le volume répond à la valeur que représente son contenu, non aux yeux de quelque théoricien de cabinet, mais sur le marché, à la lumière des offres et des demandes effectivement formulées, et de telle façon que les premières soient absorbées par les secondes.

Et il explique ce qu'est un faux droit: Un faux droit, au contraire, est un droit dont le volume a été fixé a priori sans égard aux conditions qui doivent être satisfaites pour que toutes les quantités effectivement offertes trouvent preneur sur le marché.

 

Jacques Rueff ne définit pas de périmètre de l'Etat (des libéraux sont pour plus ou moins d'Etat, d'autres pour pas d'Etat du tout). Pour lui, l'Etat peut intervenir à fins sociales, morales ou politiques. Mais il faut que ces interventions soient compatibles avec le mécanisme des prix, qu'elles affectent essentiellement le cadre juridique et monétaire, les causes des prix ou les effets des prix.

 

La croyance de Jacques Rueff dans l'or n'a rien de fétichiste, n'est pas de nature religieuse: L'or n'est pas une fin en soi. Comme l'explicite Gérard Minart, dans une économie fonctionnant sous le système de l'étalon-or, c'est la perte d'or que subit le pays débiteur qui, en réduisant sa masse monétaire interne, réduit la demande globale, ce qui a pour effet d'obtenir une baisse des prix intérieurs.

Là encore ce pilotage automatique s'apparente au mécanisme des prix: Les ajustements des balances des paiements s'effectuent par sorties ou entrées d'or, selon que les pays concernés sont débiteurs ou créanciers, et l'avantage de tels ajustements est qu'ils s'effectuent en douceur, sans brusques embardées.

 

Ces singularités qui sont la marque du libéralisme de Jacques Rueff s'inscrivent pourtant dans la filiation directe de:

- Turgot pour son exigence rationnelle,

- Jean-Baptiste Say pour le droit de propriété analysé comme premier facteur de l'expansion économique,

- Frédéric Bastiat pour la liberté des échanges, ainsi que pour le refus du protectionnisme et la dénonciation des attitudes malthusiennes,

- Walras et Colson  pour les aspects bénéfiques du mécanisme des prix libres, sur des marchés libres, dans des sociétés libres. 

 

Le libéralisme français de Jacques Rueff est donc le point d'aboutissement de cette tradition, mais il est aussi le point de départ d'une autre tradition, celle des ingénieurs-économistes, qui entend rajeunir et mettre de l'ordre dans cet héritage par une exigence de rationalité sans tomber dans un excès de mathématisation...

 

Francis Richard

Publication commune Lesobservateurs.ch et Le blog de Francis Richard

Jacques Rueff - Un libéral français, Gérard Minart, 364 pages Odile Jacob

 

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