Cinq réflexions en marge de la tragédie de Nice

Par Jacques Tarnero, essayiste

Quatre vingt quatre morts, assassinés à Nice, qui avaient eu le tort de regarder le feu d'artifice un soir du quatorze juillet. Quatre morts à Tel Aviv qui avaient le tort d'être israéliens et Juifs, assassinés à la terrasse d'un restaurant spécialisé dans le chocolat. Cinquante mitraillés à Orlando qui avaient le tort d'aller dans une boite gay. Un commissaire de police et sa femme qui avait le tort d'être policiers, poignardés en région parisienne. Autant de crimes commis au nom d'un islam pensé par l'Etat islamique.

Tous, qui avaient le tort d'être au mauvais endroit au mauvais moment. Du pire s'ajoute au pire dans cette accumulation incomplète. Si elle n'est mise en perspective, si elle n'est pas réfléchie, aucune stratégie de lutte ne pourra être efficace. Après le 11 janvier, après les attentats contre Charlie et l'Hyper casher il fut question de repenser nos schémas d'analyse, d'effectuer des retours en arrière sur les tous pré-pensés idéologiques. Si on veut faire l'économie d'une guerre civile, de conflits interethniques, alors il faut faire cet effort de réajustement intellectuel. L'islamisme meurtrier va encore faire couler le sang si nous refusons de regarder en face les erreurs passées. Il y a de l'obscénité dans les commentaires politiciens proférés dès l'attentat commis le 14 juillet. Cet examen douloureux met en cause des certitudes idéologiques, des bonnes consciences à peu de frais, des aveuglements. Distinguer les faux amis des vrais ennemis est une urgence absolue. Cet examen est d'ordre géopolitique, idéologique et langagier.

1 - L'après guerre d'Algérie a figé le regard idéologique sur le monde arabe et l'espace musulman. Lu dans les catégories de la "juste cause" parce que colonisée, l'imaginaire arabe a entretenu ce statut pour expliquer son histoire actuelle comme une revanche contre "l'humiliation arabe" subie pendant les années de colonisation. L'argument d'un racisme structurel dont seraient victimes les descendants des populations issues des ex colonies présentes dans le pays ex colonisateur constitue la matrice idéologique de ceux qui se proclament Indigènes de la République. Nourris d'un ressentiment haineux contre la France ceux-ci développent leur schizophrénie identitaire autour de modèles inspirés par Lewis Farakhan. La récente "marche pour la dignité" n'a fait que confirmer leur racisme anti "blanc", désormais totalement assumé.

2 - Symétriquement, la classe politique, à gauche en particulier, n'a pas voulu voir cette évolution, tant sa posture "anti-raciste" contre l'extrême droite lui servait de vertébration majeure. Friande de commémorations symboliques la voilà friande de repentirs sans exiger de l'autre part qu'elle reconnaisse aussi ses fautes et ses crimes commis au nom de sa libération. Il ne peut y avoir de bonne santé mémorielle que si les efforts de vérité sont partagés, réciproques et simultanés. Cinquante ans après les indépendances, la colonisation reste l'explication magique de tous les maux dont souffriraient les ex colonisés. La loi Taubira considérant l'esclavage comme une pratique exclusivement européenne, a conforté cette mise en accusation.

Ces attitudes conditionnent cette culture du ressentiment entretenu contre la France. Elles sont à la source comportementale de ces "territoires perdus de la République" dont la schizophrénie est la règle première pour tous ces jeunes incapables de s'intégrer dans le pays où ils sont nés. L'invocation du racisme sert trop souvent ici d'alibi à leur auto-exclusion. Les islamistes y ont trouvé un vivier providentiel.

Voilà donc la gauche au grand cœur, piégée par sa propre stratégie, répugnant à nommer l'ennemi pour ne pas paraître « islamophobe ». Depuis la première affaire des foulards de Creil en 1989, la gauche a abjuré dans les faits, tous ses principes tout en brandissant de manière incantatoire une laïcité à l'abandon. La bonne conscience antiraciste par son déni s'est faite le chantre d'un monstre qui va d'abord la dévorer. Il suffit de lire la dénonciation du « nationalisme culturaliste chauvin » du slogan « je suis en terrasse », dans la revue du Crieur (n°3) issue de Médiapart, pour comprendre que le la bêtise gauchiste a toujours de l'avenir. Elle a désormais du sang sur ses blanches mains.

Sortir du déni idéologique d'une réalité qu'on a refusé de penser, parce que idéologiquement non conforme à ses espoirs est d'une urgence absolue. Continuer à psychiatriser les tueurs islamistes ne sert qu'à cultiver l'évitement et à perpétuer ce déni de la part proprement culturelle de ces crimes. Ce déni est d'abord d'ordre politique.

3 - Il n'y a pas que la gauche : toute la classe politique française porte cette responsabilité et on doit à Sarkozy l'adoubement par la République du parti des Frères musulmans, l'UOIF, qui vient régulièrement au Bourget, avec les frères Ramadan comme invités vedettes, proclamer sa haine des Juifs et d'Israël. En matière d'aveuglement à l'égard du terrorisme arabe ou de l'islamisme tueur quand celui-ci frappe Israël, la droite n'a vraiment pas de leçons à donner. La France n'est pas bien payée en retour pour sa "politique arabe" chère à tous les Quai d'Orsay. Faut-il rappeler les critiques acerbes du Président Chirac contre Lionel Jospin quand celui ci se fit caillasser à Ramallah pour avoir osé qualifier de "terroriste" le Hezbollah... Faut il rappeler l'hommage rendu en grandes pompes à un Arafat, ou bien la présence de Chirac aux funérailles de Hafez el Assad pourtant complice de l'assassinat en 1981, de l'ambassadeur de France, Louis Delamarre, au Liban et de cinquante huit soldats français à Beyrouth en 1983... Nos amis du Qatar, ceux d'Arabie saoudite ont paraît il, une responsabilité dans la fabrication idéologique des jihadistes. Les amis de nos ennemis peuvent-ils rester nos amis ?

4 - Le regard porté sur le conflit israélo arabe, puis israélo palestinien, puis judéo-islamique, surdéterminé par ce qui précède, a favorisé ici une importation des haines. La présence en France d'une très forte population d'origine maghrébine et d'une importante communauté juive, fait de l'hexagone un théâtre de substitution où se joue par procuration le conflit israélo-arabe. Les violentes émeutes antijuives de l'été 2014, au moment de la guerre menée par Israël contre le Hamas à Gaza ont mis en pleine lumière cette mécanique d'identification. Ici aussi, au nom d'une vision borgne (celle de la "juste cause" d'un peuple opprimé) personne n'a voulu prendre en compte le projet génocidaire du Hamas, pourtant explicitement énoncé dans sa charte. Les forces dites "progressistes" ont fait du rejet d'Israël l'un des axes majeurs de leur pensée. L'antisionisme participe d'abord des catégories politiques d'une gauche figée dans le déni de la réalité antijuive de ce concept.

Incapable de comprendre que c'est d'abord, via la haine d'Israël, que s'est construite la machine de guerre islamiste, la gauche s'obstine à ne pas comprendre que ce qui menace Israël menace la France, menace l'Europe, menace l'Occident. Les dernières positions anti israéliennes de la France à l'UNESCO, les lapsus antisémites du Labour anglais, loin de protéger l'Europe, affaiblissent ce qui constitue le premier rempart contre l'offensive islamique planétaire. Pour l'Europe cet aveuglement est suicidaire : en trouvant du charme progressiste aux ennemis d'Israël, l'Europe conforte ses propres ennemis.

5 - En France les éléments précédents se croisent et se superposent. "Dignité et fierté ! Bravo au deux Palestiniens qui ont mené l'opération de résistance à Tel-Aviv". Ce tweet signé d'une militante du PIR (Parti des Indigènes de la République), n'a rien de surprenant. La haine et le ressentiment, sont les deux moteurs de ces faux Indigènes. Dans le livre "les Juifs, les Blancs et nous", sa porte parole, Houria Bouteldja, racialise sa vision du monde en faisant des "souchiens" racistes les ennemis d'un genre humain réduit au monde non-blanc.

"Dignité et fierté" voilà bien deux qualités qui font singulièrement défaut dans notre actualité où "l'esprit de la République" est supposé régner, tout nimbé des "valeurs républicaines". La paix civile n'est pas un acquis de toute éternité.

Le Bataclan semble loin, tout comme les terrasses du 13 novembre, Charlie hebdo, l'Hyper casher et bientôt la promenade des Anglais redeviendra un lieu de promenade. Se souvenir ? Comment se souvenir ? Avec un rappeur clamant sa haine des kouffars pour commémorer la bataille de Verdun? L'analphabétisme symbolique est tel que l'hymne national joué par la Garde Républicaine est mêlé à la vulgarité d'un show débile avec le DJ Guetta aux manettes comme prélude aux bagarres de supporters alcoolisés pour l'Euro 2016.

Agir ? Sur quel socle intellectuel ? Avec quels principes moteurs ? Avec quels mots ? Avec quelles attitudes ?

C'est de cet affaissement autant que de cet aveuglement que prospèrent les désirants de guerre civile.

Il n'est pas trop tard pour se ressaisir.

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