Brexit : l’Europe se trompe à vouloir punir le Royaume-Uni

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Par Vincent Bénard.

J’ai dans un article précédent évoqué la nécessité d’un divorce intelligent entre le Royaume Uni et les 27 membres restants de l’union. Malheureusement, une analyse des intérêts en présence, corroborée par les premières déclarations post-Brexit de nombreux dirigeants européens, laisse craindre que ce divorce intelligent ne soit qu’une vue de l’esprit.

Que l’on apprécie ou pas le vote des Britanniques, celui-ci a bel et bien eu lieu, et nous devons maintenant gérer l’après-Brexit au mieux de nos intérêts. Or, pour de nombreux politiciens ou observateurs médiatiques, “notre intérêt” serait de nous montrer durs avec les Anglais, notamment en leur refusant un accès large au marché unique des 27 pays restants. Entre autres, le gouvernement allemand aurait préparé une feuille de route de la négociation post-Brexit, selon laquelle, je cite Le Figaro,

“Le Royaume-Uni ne serait pas dans l’Espace économique européen, comme la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein, mais aurait un statut plus particulier, entre celui de la Suisse et de l’Ukraine qui devra être défini plus précisément. L’avantage de ce statut serait de permettre un accès au marché unique européen limité. « Il ne faut pas offrir d’automatisme dans l’accès au marché unique », indique la note. Autrement dit, les relations seront libres là où les deux parties trouveront un intérêt partagé et Londres ne pourra pas « choisir » son accès. Le but de ce choix est d’éviter l’effet « d’imitation » qu’une sortie facilitée créerait, selon le document. « La mesure et l’ampleur de l’effet d’imitation seront proportionnels au traitement du Royaume-Uni », indique le texte qui explicite les pays menacés, selon le ministère allemand par l’envie de quitter l’UE : la France, l’Autriche, la Finlande, les Pays-Bas et la Hongrie.”

Si cette information du Figaro est confirmée, c’est doublement consternant. D’une part parce que plus deux entités (individus, entreprises, bassins d’emplois, nations) échangent entre elles, plus elles s’enrichissent, comme la science économique l’a abondamment prouvé théoriquement et par expérience depuis les travaux de Smith et de Ricardo. D’autre part, parce que cela montrerait que l’élite européenne compte sur la peur et la dissuasion, plutôt que sur le réenchantement du rêve européen et l’envie d’Europe, pour subsister. Ce second constat est lourd d’implications. Rappelons d’abord brièvement pourquoi un commerce libre entre les deux parties est bénéficiaire pour les deux parties.

Bénéfices de l’échange : les leçons de l’histoire

Deux parties entreprennent un échange uniquement lorsqu’elles estiment que la valeur qu’elles reçoivent est supérieure à celle qu’elles donnent, sans quoi l’échange ne serait pas conclu, en absence de contrainte légale du moins. Aussi plus vous multipliez le nombre de personnes avec lesquelles vous pouvez interagir sans contrainte, plus vous augmentez les opportunités de bons échanges, et donc de création de valeur.

Le Britannique (eh oui)  David Ricardo fut le premier à théoriser ce que l’humanité avait déjà bien compris empiriquement : quand deux entités sont libres d’échanger, même la plus faible des deux (la moins productive) profite de l’échange, chacune pouvant se spécialiser sur le créneau qu’elle fait le mieux, ou le moins mal. Et l’entité la plus productive n’a pas intérêt à vouloir tout faire, elle a intérêt à acheter à l’entité moins productive les biens où son surcroît d’efficacité est le plus faible, et ainsi concentrer ses forces là où elle est la meilleure.

Cette théorie est largement confirmée par l’histoire, positivement ou négativement. Ainsi, la France et le Royaume Uni connurent une période de forte expansion commune lorsque les ministres Cobden et Chevallier conclurent un traité de libre échange en 1860, 14 ans après que le Royaume Uni ait vu sa compétitivité industrielle augmentée grâce à la baisse des prix agricoles permise par l’abolition de lois céréalières protectionnistes, en 1846.

A contrario, en 1930, le vote d’une terrible loi protectionniste, par les USA, la loi Smoot Hawley, entraîna le vote de nombreuses lois de représailles commerciales par les autres nations, ce qui provoqua un écroulement du commerce mondial, et des faillites massives chez tous ceux qui vivaient de ce commerce, transformant la crise de 1929 en désastre mondial. Enfin, l’histoire récente montre que lorsque l’on compare des pays sortis également pauvres du second conflit mondial, ceux qui se sont insérés dans l’ouverture du  commerce mondial ont  connu un bien meilleur développement économique et un bien plus fort recul de la pauvreté que ceux qui ont choisi des voies plus autarciques, voire anti capitalistes.

En clair, si l’UE réduite à 27 conserve un commerce libre avec l’Angleterre, alors les deux parties seront bénéficiaires, alors qu’elles seront perdantes si de consternantes considérations politiciennes conduisent à réduire l’ouverture commerciale entre les deux blocs.

Le bien-être des peuples est-il la priorité des élites politiques continentales ?

Ces considérations, guère contestables par quiconque est de bonne foi, devraient conduire les politiciens européens à faire avec le vote britannique et à maintenir coûte que coûte la fluidité commerciale entre les deux parties.

Seulement voilà : ces élites ont peur que dans un tel cas de figure, les peuples ne s’aperçoivent que finalement, l’adhésion à l’Europe ou une simple association économique ne font guère de différence, et pourraient être tentés de s’affranchir du mauvais côté de l’Europe, l’ultra normalisme Bruxellois, pour n’en garder que le seul vraiment utile, l’accès à un grand marché ouvert, à défaut d’être unifié.

Du coup, les eurocrates sont paniqués à l’idée que leur inutilité ne soit exposée au grand jour. Or, même si la fonction publique européenne est comparativement assez peu nombreuse, sa situation financière est exceptionnelle : salaires, temps de travail, système de retraite, fiscalité internationale… L’eurocratie est un paradis du fonctionnariat. Il est donc probable qu’entre un choix (Le durcissement du commerce avec l’Angleterre) qui pénalise les populations mais, à leurs yeux, favorise la cohésion européenne, et un autre qui maximise la prospérité globale mais qui ouvre la voie d’une débureaucratisation européenne, leur choix ira vers la première.

Les élites politiques des nations continentales ne sont pas en reste : Bruxelles fournit aux politiciens barrés dans leur pays des plans de carrière de rattrapage en or massif, ce ne sont pas Pierre Moscovici, Martin Schultz ou Jean-Claude Juncker qui pourront prétendre le contraire. Ajoutons que les exécutifs des grands pays y voient parfois le moyen de contourner la volonté de leurs parlementaires locaux, en poussant une directive européenne allant dans leur sens.

Si Bruxelles choisissait de gérer l’après-Brexit en engageant un bras de fer commercial, ce ne serait pas par “erreur” économique, mais par une volonté délibérée de jouer la survie d’un système qui les fait vivre grassement contre les intérêts économiques de leurs populations. Et je ne vois pas quelles incitations politiques pourraient pousser les élites europhiles à accepter la voix de la raison en conservant un commerce avec la Grande Bretagne aussi libre que possible.

Erreur de calcul

Si je ne me trompe pas (et j’espère me tromper), ce calcul serait mauvais. Les élites européennes, du moins dans leurs discours publics, ne semblent pas faire le bon diagnostic des causes du désamour d’une part croissante de la population.

Le projet européen, à ce jour, est parti d’une base assez libérale (création d’un espace de libre échange, liberté d’établissement et de circulation, justice européenne pro-droits de l’homme), mais a vu depuis le début cette base grignotée par un dirigisme social-dirigiste croissant, de la PAC aux fonds structurels, en passant par la taxation du CO2 et surtout une épidémie normative hors de tout contrôle. Faute d’un choix clair, il mécontente à la fois les milieux économiques “de base”, ceux qui ne profitent pas du capitalisme de connivence dessiné sur mesure pour les grands groupes, qui trouvent l’Europe trop socialiste, et les milieux dirigistes ou identitaires, qui accusent l’Europe d’être un espace trop ouvert et trop “ultra-libéral”, je cite ici aussi bien Marine Le Pen que Jean-Luc Mélenchon, et, plus récemment, un bien décevant Emmanuel Macron.

Ajoutons que l’Europe a, dans un passé récent, clairement bafoué le vote populaire lors des scrutins référendaires de la décennie 2000, et que les graves dysfonctionnements de son parlement, qui ne maîtrise pas son agenda et se trouve donc de fait transformé en chambre d’enregistrement d’une commission non élue et ne rendant compte à personne, sont de moins en moins ignorés.

Enfin, l’Europe souffre à son niveau d’un problème affectant nombre de nations au niveau inférieur : faute d’une vraie conscience européenne au sein des peuples (l’Allemand ne se sent guère solidaire du Grec, ou le Français du Lituanien), les populations ont du mal à accepter les transferts financiers massifs des pays riches vers les plus pauvres. Le même mal touche la Belgique (la riche Flandre vs la Wallonie socialiste en faillite permanente), l’Italie (le Nord vs le Sud), l’Espagne (vs la Catalogne ou le Pays Basque), et évidemment… La Grande Bretagne, qui pourrait voir l’Écosse ou l’Ulster demander à rejoindre le tiroir caisse européen… Ajoutons que les risques solidaires pris pour protéger la monnaie unique font peser une hypothèque assez lourde sur l’ensemble des économies européennes en cas d’une crise touchant un pays ayant insuffisamment assaini ses comptes publics, suivez mon regard… Et comme tout ceci ne débouche pas sur une prospérité insolente, les mécontentements s’expriment d’autant plus facilement.

Agiter la peur de restrictions commerciales ne fonctionnera pas

De tout cela, il résulte que les motivations poussant des électeurs à vouloir un “Eurexit” sont multiples, et ne peuvent être réduites à l’émergence d’un néo-populisme, comme le répètent en boucle nos médias et nos politiciens. Le populisme identitaire n’est qu’un des ressorts de l’Eurexit. La peur d’une Europe économiquement ouverte en est une autre, et la crainte inverse de voir l’Europe se transformer en “URSS light” en est une troisième. Ces trois sources d’Euroscepticisme touchent de larges parts de la population, et les politiciens qui voudront jouer sur ces leviers pour en tirer un bénéfice de politique intérieure ne manqueront pas, dans aucun pays. Croire, comme le font les Eurolâtres, qu’il suffira de pénaliser commercialement l’Angleterre, pour faire peur aux peuples qui doutent de cette Europe, est à mon sens une tragique erreur de calcul.

Les leaders européens doivent vite réaliser l’impossibilité de la réussite d’une Europe politiquement intégrée, de plus en plus dirigiste, élitiste, socialisante, et laisser chacune des nations de l’Union trouver avec ses citoyens sa propre voie économique et sociale au sein d’un espace de commerce totalement libre, et concurrentiel. S’ils choisissaient, au contraire, d’aller vers plus d’intégration intérieure mais moins de commerce avec l’extérieur, en commençant par le Royaume Uni, ils prouveraient qu’ils privilégient leurs propres aspirations sur l’intérêt économique de leurs populations.

Sur le web

Cet article Brexit : l’Europe se trompe à vouloir punir le Royaume-Uni est paru initialement sur Contrepoints - Journal libéral d'actualités en ligne

 

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Un commentaire

  1. Posté par A. Vonlanthen le

    L’UE crée des inimitiés. Les inimitiés provoquent quelque fois des guerres.

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