Les vaches et les terroristes

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste

 

Quand je vois des vaches enfermées dans une « ferme à mille vaches », j’aimerais qu’elles puissent organiser un attentat terroriste contre cette horreur, symbole de la mécanisation de la vie. Hélas les animaux, contrairement à l’homme,  ne peuvent pas dire non à leurs conditions d’existence.

Mes contemporains ne cessent de me surprendre. Ils semblent être incapables de comprendre ce qui nous distingue des animaux, à savoir la faculté de dire non à l’ordre du monde. Certes, les animaux peuvent s’enfuir lorsque leur environnement leur est devenu hostile. Mais s’enfuir, ce n’est pas dire non au monde. Lorsque les juifs ou les chrétiens disaient non à l’empire romain, ils ne s’enfuyaient pas. Les premiers lui résistèrent militairement avant la diaspora – les seconds allèrent au martyre jusqu’à Constantin. Avec le djihad aujourd’hui, nous avons affaire à quelque chose de semblable comme le montre Gilles Kepel dans son dernier livre, Terreur dans l’Hexagone. Daech appelle parfois ses ennemis des Romains.

Les djihadistes disent non à l’ordre occidental du monde et ils sont loin d’être les premiers à le faire. Le Manifeste du parti communiste était un formidable « non » à l’ordre capitaliste, un « non » qui inspira des milliers de terroristes avant de conduire à la « Révolution » de 1917, laquelle mit en place un État exterminateur. Aujourd’hui, Daech est une divine surprise pour certains marxistes qui découvrent dans l’Etat islamique le relais d’un mouvement révolutionnaire qui s’est essoufflé. Gilles Kepel écrit que la bannière verte de Mahomet a pris le relais du drapeau rouge (communiste). Cette bannière verte peut aussi séduire  ceux qui veulent purifier le monde avec des Panama Papers ou des « Kalachs ». Rien de nouveau sous le soleil. Les Gnostiques des premiers siècles,  les Cathares du 13ème siècle le voulaient aussi. Le refus de l’ordre du monde glisse facilement dans la haine du monde.

Devant la menace terroriste, il ne sert à rien de pousser des couinements d’effroi, tout simplement parce que cette menace n’est pas nouvelle et qu’il faut d’abord comprendre sa nature avant de lui répondre. Rien ne montre mieux la déculturation de l’Occident que ces couinements. Nous ne savons plus ce qu’est un homme. Nous ne savons plus que sa dignité réside non pas dans une jolie intégration dans le monde, mais en une ascension au-dessus de ce monde. Le terrorisme consiste en un refus de l’ordre du monde, non point par ascension mais par descente dans le sang des massacres. Mais refus il y a et ce refus est le propre de l’homme.

Sans un « non » au monde, il n’y aurait pas une humanité mais des vaches, peut-être malheureuses dans leurs fermes, mais des vaches. C’est parce qu’ils rejettent l’ordre des choses que les hommes renversent des empires, se lancent dans des conquêtes, résistent à un occupant. Peut-on inscrire les djihadistes dans cette logique ? Bien sûr ! Il suffit pour s’en convaincre de lire le livre de Kepel. Ceux qui partent pour la Syrie ou l’Irak ont le sentiment de vivre dans un « pays de malheur » (la France). Pourrons-nous, grâce à nos analyses sociologiques, renverser cette logique et intégrer les jeunes perdus des banlieues ?

Évidemment non ! Surtout en un âge qui prétend expliquer les comportements humains par l’économie,  la sociologie ou des circuits de neurones. J’entendais samedi dernier, dans l’émission « Répliques », Pascal Bruckner déclarer que toute crise économique est une crise spirituelle. Comme j’aimerais qu’on l’entende ! On ne l’entendra pas parce que nous vivons dans un climat culturel qui a éliminé la spiritualité. Quand on a fait cette élimination, on ne peut plus comprendre une révolte, quelle qu’elle soit. Le djihad est une révolte. Qu’elle puisse conduire à une catastrophe, d’accord, mais c’est une révolte.

Il y a des révoltes qui veulent l’apocalypse, une extermination de tout et de tous comme les sectes anabaptistes ou adamites du Moyen-Âge. Il y en a d’autres qui n’excluent pas la possibilité d’un monde nouveau. Mais lorsqu’il y a des révoltés, on ne peut pas les considérer comme une bande de fous. Ou alors, si on le fait, il faut s’attendre à des déboires. Le régime tsariste a considéré que les terroristes étaient une bande de fous. Il est tombé, laissant la place à un régime pire encore. Est-ce ce qui nous attend avec Daech ? Personne n’en sait rien, mais ce qui est sûr, c’est que ce ne sont pas des experts qui vont nous éclairer, parce qu’ils partent de l’ordre des choses. De quoi donc faut-il partir ?

Du délitement spirituel de l’Occident. Certes, le sacré, ou le religieux, ou le spirituel, on le tolère avec ce sourire suprêmement hypocrite qui invite chacun à être et faire ce qu’il veut au nom des droits humains. Révérez votre Dieu dans la salle à manger avant d’avaler votre hamburger, mais pas question de faire votre révérence dans l’espace public et laïque. Ce n’est pas à partir de là qu’on peut commencer à comprendre un peu le terrorisme. Alors, à partir de quoi ?

Le rêve d’une nouvelle communauté a toujours hanté l’humanité. Qui n’en rêve pas ? Enfin une vraie patrie avec des ancêtres respectés et des mères qui ne sont pas des mères porteuses ! Ce rêve peut faire basculer dans la violence lorsqu’on sent qu’on s’en éloigne trop. Aussi bien des révolutionnaires que des réactionnaires ont connu ce basculement, soit parce qu’ils voulaient, respectivement, revenir en arrière ou aller de l’avant. Les communistes voulaient aller de l’avant vers une société sans classe, nouvelle communauté qu’ils entendaient promouvoir sur la terre entière avec meurtres et attaques terroristes, tout comme les musulmans, aujourd’hui, rêvent d’établir l’oumma sur toute la planète. Les réactionnaires ont généralement eu des buts plus limités, mais ont eux aussi eu recours à la violence, comme Pinochet. Je veux bien qu’on dénonce ce général, mais ses crimes pâlissent comparés à ceux de Mao.

Il convient, pour prendre la mesure de ce qui se passe, de voir le lien entre les révoltes de mai 68, l’humanitaire et le djihadisme, comme nous y invite d’ailleurs Kepel qui rapporte une anecdote incroyable. Un vieux trotskiste, issu de la mouvance soixante-huitarde, Didier François, inventeur du slogan fétiche « Touche pas à mon pote » est fait prisonnier puis otage par un groupe islamiste. Et là, il est maltraité par ses geôliers dont l’un, Mehdi Nemmouche, auteur de l’attentat contre le musée juif de Bruxelles, était à l’origine un de ces potes. Le gentil était devenu un méchant. De mai 68 à l’humanitaire puis au djihadisme, le chemin est beaucoup plus court qu’on l’imagine. A force de sourire à tout le monde, on peut finir par vouloir tuer tout le monde.

Les vaches, comme tous les animaux, m’émeuvent profondément, mais les hommes m’émeuvent encore plus, surtout lorsqu’ils se révoltent. Lorsque, dans la critique du terrorisme, je ne sens pas cette émotion, je décroche. Qu’est-ce qu’un homme incapable de dire non ? Comme moi, Albert Camus se le demandait et comme moi, il ne trouvait pas de réponse.

Jan Marejko,2 juin 2016

5 commentaires

  1. Posté par Renaud le

    @ Spartan : Les musulmans ont relativement toléré l’impérialisme culturel occidental tant que l’Occident avait encore une relative supériorité morale. Ce n’est plus le cas et les musulmans se sentent à présent légitimes à conquérir le monde, pour le bien de l’humanité de leur point de vue.

  2. Posté par spartan le

    Cette analyse est complètement fausse car elle suppose que l’islam n’est en guerre que contre « l’occident », disons l’UE.
    Or ils sont aussi en affrontement avec l’hindouisme, le bouddhisme, le judaïsme, le shintoïsme, l’animisme africain, les bahaï, les druzes, les alaouites, les orthodoxes, excusez du peu.
    Toutes ces cultures sont très différentes et ne partagent pourtant pas les supposées tares de l’occident qui seraient à l’origine de la révolte des islamistes.
    Il y a une raison principale à cette révolte, elle est simple, elle est inscrite dans le coran: un bon musulman se doit de faire le djihad, propager l’islam dans le monde entier, par la violence si nécessaire. Et cela dure depuis 1400 ans.
    J’en ai assez que l’on cherche dans notre société l’origine d’une calamité dont la source est essentiellement l’islam.

  3. Posté par Renaud le

    Islamisme et lobby LGBT sont les deux démons auparavant en sommeil que la dégénérescence de l’Occident a réveillés.
    Ils sont à la fois menaces et facteurs de salut par le choc.
    Le choc terroriste est bien sûr plus évident mais je crois que les peuples commencent aussi à prendre conscience de l’ignominie où les LGBT nous entrainent.
    Quand l’immoralisme et l’avidité ne sont plus seulement de fait mais deviennent les principes d’une civilisation alors la limite est atteinte et l’effondrement est proche.
    Pour ne pas finir islamisés ou dans un chaos absolu il faudra retrouver le sens de notre civilisation par la révolution, pacifique si possible mais radicale.

  4. Posté par Sancenay le

    Ceci étant dit, il se trouve aussi dans nos « meilleurs de mondes » respectifs des situations concentrationnaires, je pèse mes mots, où l’homme ne peut pas dire non : je pense tout particulièrement aux 180 000 et plus embryons qui sont stockés en France dans de glaciales cuves d’inox d’azote liquide à – 180° , en attendant-ou en redoutant ?- que l’on s’intéresse davantage à leur sort .
    Mais apparemment ce n’est pas un sujet , éminemment politique pourtant, qui inspire les réunions politiques en vogue – dans les média du moins-, fussent-elles présentées comme « rebelles » !…

  5. Posté par Sancenay le

    Au risque d’être mal perçu, si ce n’est assimilé à une terrorisme qui peut convenir, somme toute à bien des « élites » en perdition, il faut en effet se poser la question des causes endogènes de la haine vouée à nos « démocraties vieillissantes » versées dans le nihilo-mondialisme. Tant qu’il y aura des philosophes , authentiques !

Et vous, qu'en pensez vous ?

Poster un commentaire

Votre commentaire est susceptible d'être modéré, nous vous prions d'être patients.

* Ces champs sont obligatoires

Avertissement! Seuls les commentaires signés par leurs auteurs sont admis, sauf exceptions demandées auprès des Observateurs.ch pour des raisons personnelles ou professionnelles. Les commentaires sont en principe modérés. Toutefois, étant donné le nombre très considérable et en progression fulgurante des commentaires (259'163 commentaires retenus et 79'280 articles publiés, chiffres au 1 décembre 2020), un travail de modération complet et exhaustif est totalement impensable. Notre site invite, par conséquent, les commentateurs à ne pas transgresser les règles élémentaires en vigueur et à se conformer à la loi afin d’éviter tout recours en justice. Le site n’est pas responsable de propos condamnables par la loi et fournira, en cas de demande et dans la mesure du possible, les éléments nécessaires à l’identification des auteurs faisant l’objet d’une procédure judiciaire. Les commentaires n’engagent que leurs auteurs. Le site se réserve, par ailleurs, le droit de supprimer tout commentaire qu’il repérerait comme anonyme et invite plus généralement les commentateurs à s’en tenir à des propos acceptables et non condamnables.

Entrez les deux mots ci-dessous (séparés par un espace). Si vous n'arrivez pas à lire les mots vous pouvez afficher une nouvelle image.