Tous touchés par le suicide d’un jeune collègue épuisé

Dans la région de Puidoux et Forel, quatre paysans témoignent pour dire leur crainte.

Par Philippe Dubath, 19 mai 2016

 

Il était plein de projets, paysan dans l’âme, sa vie privée allait bien, mais, quand un obstacle de plus, pourtant minuscule comparé à tous ceux qu’il avait franchis avec vaillance, s’est mis en travers de son chemin, il a renoncé et s’est donné la mort. Cet agriculteur de Puidoux n’avait que 37 ans, et dans les conversations dépitées une certitude est vite apparue: Daniel est le quatrième de sa volée à l’Ecole d’agriculture de Granges-Verney à se suicider. C’est vrai. Mais les raisons des décès volontaires de ses trois camarades ne sont pas exactement les mêmes.

Les témoignages s’unissent pourtant pour relever, malgré tout, que, pour chacun de ces paysans si jeunes encore, les difficultés liées à leur métier n’ont rien arrangé. Daniel avait choisi de rebâtir la ferme pour être aux normes, tout était prêt, à quelques centimètres près. Ceux qui ont sans doute eu raison de sa patience. Trop c’est trop, parfois. Le prix du lait qui baisse, les emprunts, les normes à respecter, les contrôles, les contraintes administratives, les obligations et les interdictions: pour certains paysans, tout cela est astreignant mais supportable.

Pour d’autres, l’érosion lente mène à la cassure. Prométerre, l’Association vaudoise des métiers de la terre, s’en soucie: elle va mettre en place des mesures de détection, pour tenter de précéder le malaise.

(…)

Laetitia Roset :

(…) « Ce n’était pas un gars à lâcher prise facilement. Il avait décidé de refaire sa ferme pour être aux normes, pour être dans le coup de la production laitière. Mais tout a été si long, les permis, les autorisations. Toutes les constructions, toutes les mises aux normes coûtent très cher. Les paysans qui se lancent ou qui rénovent contractent des emprunts importants et on leur fait des budgets qui sont malmenés par les prix du marché. » (…)

« J’ai des serres que je voudrais agrandir, mais, parce que je suis en zone agricole, je ne peux pas! Je voudrais rénover une masure, pour vendre à la ferme, mais impossible. Je suis mariée à un homme qui travaille, heureusement! Je consacre septante à septante-cinq heures par semaine à la ferme. J’ai deux enfants encore petits. Je fais le marché de Vevey, mais les revenus y sont en nette baisse. L’euro nous fait mal. Dites aux gens qu’ils mangent local ! » (…)

Marc-André Francey :

« Nous sommes de plus en plus sollicités, nous devons aller de plus en plus vite, avec plus de travail, plus de charges, plus de tâches administratives. Dans notre métier, on pourrait tous s’appeler Daniel. (…)

J’aime ce métier, j’ai repris la ferme, où mes parents travaillent encore, il y a dix-sept ans. À l’époque, je produisais 95 000 kilos de lait par année et il nous était payé plus de 80 centimes. Il a baissé, baissé, à tel point que, pour compenser et assurer un revenu identique, j’ai dû agrandir mon troupeau pour arriver à 180 000 kilos de lait par année, qui nous est payé 48ct. » (…)

Rémy Chevalley :

«Pourquoi Daniel en est-il arrivé là, à ce geste fatal, pourquoi n’a-t-il plus eu d’espoir? Parce que l’argent est devenu dominant et décisif dans un monde qui a changé. On ouvre les frontières à des produits venus d’ailleurs, fabriqués ou préparés dans des conditions qui n’ont rien à voir avec les normes suisses, qui sont les plus sévères du monde et rendent donc très chères nos matières premières. Le paysan suisse ne peut pas produire quoi que ce soit qui soit concurrentiel avec ce qu’on importe. Les normes, les obligations, les contraintes de toutes sortes nous coûtent cher à la production. Regardez, tout arrive de tous les côtés de la planète, en polluant. Nous n’avons pas le droit de gaver un canard, mais nous importons du foie gras, nous découvrons dans les grandes surfaces des tomates récoltées par des esclaves qui dorment sous des plastiques, nous faisons venir des fruits et légumes traités avec des produits nocifs qui sont interdits depuis vingt ans chez nous. » (…)

 

Suite : 24heures

 

 

9 commentaires

  1. Posté par Caughnawaga le

    Ici aussi au Canada les agriculteurs se suicident, épuisés par le travail, le même problème les normes sont plus élevées qu’au États-Unis, ce n’est pas illégal les hormones de croissance, au Canada oui, et ils nous inondent de leur lait à cause du libre-échange.

  2. Posté par pierre frankenhauser le

    Il faut soutenir les marchés bio, à la ferme ou en ville, et boycotter un peu plus les négriers que sont les deux géants oranges. Ces deux requins n’hésitent pas à mettre des exploitations sur la paille, avant de les racheter à bon prix. Ils commencent par acheter une part de plus en plus grande de la production d’un agriculteur, et une fois devenu un client indispensable, ils exigent une forte baisse de prix, étranglant ainsi le producteur. En plus, ces pourris nous empoisonne en nous vendant des produits importés bourrés de pesticides.

    Par ailleurs, la nouvelle LAT nous saoûle avec ses surfaces d’assolement intouchables, bloquant de nombreux projets immobiliers ou d’infrastructeure. Alors la Confédération devrait aller jusqu’au bout, en soutenant sérieusement les exploitations agricoles et en protégeant le marché suisse.
    Soutenons les marchés locaux et bio, même si tout n’est pas parfaitement bio.

  3. Posté par G. Vuilliomenet le

    Le pire est que certains de nos compatriotes trouvent que ces paysans se plaignent trop. Il se peut que certains tirent leur épingle du jeu, mais il doit s’agir d’une minorité.

    Ce problème n’est pas uniquement propre à la Suisse. Nous avons déjà entendu parler de suicides chez les paysans français.

  4. Posté par Peyhem Veys le

    Il faudrait, pour rétablir un chouia l’équilibre dans leur normes innombrables et débiles, en sus bien souvent importée du Nirvana européen, mettre ces abrutis de fonctionnaires pondeurs au boulot une semaine ou deux avec un paysan. Ils pourraient se rendre compte, de leur bureau climatisé, que les pâtes, les œufs, la viande et les fruits et légumes n’arrivent pas par miracle dans leur frigidaire. ça leur ferait les pieds….

  5. Posté par DS le

    L’histoire qui devrait être un livre d’expérience visant à éviter les mêmes erreurs que par le passé n’est plus prise en considération. L’agriculture de chaque pays et garante de notre survie et indépendance.
    Actuellement dans tous les pays, les exploitations agricoles disparaissent pour laisser place au profit des grandes surfaces. En cas de crise économique majeures, les scandales sanitaires vont être légion. La population va retrouver les valeurs du terroirs. Problèmes, il n’y en aura pas assez pour tout le monde. Toujours sur fond de crise économiques des réfugiés, cette fois européens (nos voisins directs qui sont 68 millions) arriveront en masse en Suisse réputé comme pays florissant économiquement donc où il y a à manger. Problème, il n’y en aura pas du tout pour eux. Petit rappel, depuis 5 ans, des technocrates inconscients ont dissous le grenier national, assurant la nourriture et le carburant pour 5 ans, aussi bien pour les civils que pour l’armée. Aujourd’hui la réserve est de 4 mois assurés par la Coop et la Migros. Résultat, on se massacrera pour un oeuf.

  6. Posté par RealrecognizeReal le

    Notre bureaucratie est schizophrène et sadique : elle met des bâtons dans les roues aux gens qui travaillent et qui créent des richesses via leur impôts, en imposant des normes contraignantes. Et de l’autre côté, elle déroule le tapis rouge au migrants économiques en leur payant le logement, nourriture, wifi, divers cours et bientôt l’avocat! C’est le nivellement de la société par le bas, notre gouvernent récompense indirectement la paresse et non le travail.

  7. Posté par MichelSwiss le

    Esclavagisme ? Pas si sûr…
    Petit rappel: « Le Parlement a prévu d’accorder un soutien de 13,830 milliards de francs à l’agriculture pour la période 2014 à 2017, soit 160 millions de plus que demandé par le Conseil fédéral. »

  8. Posté par Tommy le

    Étonnement, on ne voit jamais de gauchistes, no borders et autres Nuit Debout ( = journée à dormir) manifester pour la survie du monde agricole, dont je ne fais pourtant pas partie.
    Il est révoltant que le prix du lait soit payé à des tarifs si misérables! Pour 3 litres de lait, vous avez 1 litre de Coca! Et personne ne semble s’en plaindre!
    C’est comme ces jeunes à casquette de travers et à barbe soignée, aux cils teints et au torse épilé, BMW noire et vitres teintées ( ça fait Albanais ou migrant, c’est bien..) , qui paient 2,50 CHF pour un Red Bull, ( qu’ils appellent Red Bol) , s’ils savaient le travail auquel les éleveurs sont astreints pour produire 5 litres de lait!
    Je n’ai pas spécialement d’affinités avec le monde paysan, mais là, c’est de l’exploitation pure et simple, de l’esclavagisme.

  9. Posté par Cécile le

    J’achète bio ou natura depuis 20 ans. J’ai 60 ans et je ne prends aucun médicament. Je fais du sola depuis 25 ans, je bois du vin je fume dès fois pour le plaisir et je me trouve encore sexy.

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