Le surfing du phénix

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste

Comme j’ai récemment contribué à un livre intitulé « Comprendre le conservatisme », je me suis intéressé à d’autres contributions que la mienne. C’est ainsi que j’ai été amené à me plonger dans un livre de Roger Scruton, Fools, Frauds and Firebrands. Ouvrage formidable qui retrace les délires des intellectuels proches de mai 68. Formidable parce qu’il m’a fait mesurer dans quel asile d’aliénés j’ai été plongé durant mes études à l’université de Genève, période où, précisément, on parlait de Foucault, Deleuze, Derrida, et autres membres de cette tribu montée sur un bateau qui n’était même pas ivre, sa coque raclant laborieusement des restes de marxisme et de freudisme. Je vois encore un « camarade » m’expliquant, les yeux brillants, à quelles hauteurs sublimes il avait accédé grâce à un livre de Louis Althusser,  Lire le capital  (de Marx). Fasciné je m’étais promis d’accéder aussi à ces hauteurs mais n’y parvins jamais. Ou plutôt, comme Zarathoustra redescendant de la montagne où il avait cru pouvoir contempler Dieu, je découvris qu’il n’y avait rien derrière le discours cryptique, amphibologique, dément, d’Althusser qui devait d’ailleurs étrangler sa femme en 1980.

J’étais très déçu. Je me réjouissais de pouvoir rendre un culte à une pensée mystérieuse et infiniment profonde. L’idée de révérer un grand penseur, immense, comme on dit aujourd’hui, m’avait fasciné. Marx était l’Eternel des armées révolutionnaires et Althusser son prophète.

Plus une société est individualiste et nourrit la déréliction, plus elle nourrit la nostalgie de participer à une grande totalité, comme un phénix joue dans les zéphyrs d’une nouvelle journée.

Cette nostalgie d’une grande totalité peut devenir totalitaire comme j’ai essayé de le montrer dans un livre sur Rousseau qui, lui aussi, aimait se sentir porté par les zéphyrs du lac de Bienne.

Le prophète ou, pour mieux dire, le faux prophète, fait miroiter la perspective de rejoindre une grande totalité sans avoir à passer par la mort. On peut dire que la modernité a été fascinée par cette perspective. Comment ne pas être emporté par la nostalgie de devenir phénix ?

Max Weber a examiné la structure du faux prophétisme et a découvert qu’elle comprend un intermédiaire  (prophète, shaman, medium) entre une totalité cosmique et les simples mortels. Par ses prières et incantations, cet intermédiaire permet à ce mortel de retrouver un sentiment d’inclusion dans un grand tout. Il se sentait exclu, tremblant de froid dans quelque Sibérie et voilà que, grâce à un shaman, il se sent participer à plus grand que lui. Mais il y a participation et participation.

La participation recherchée dans la modernité n’inclut pas la mort et, par-là, elle n’est pas crédible. Même sans croire au Christ, on peut le voir. Si participation il y a, avant la mort, avant la vieillesse, avant les handicaps, tout cela adviendra inéluctablement là après de grands vols « phénixiens ». Le parapente c’est chouette, mais difficile avec l’arthrose et à 80 ans.

Il y a plus. Pour participer aux souffles cosmiques  comme un parapentiste, il faut mesurer la force et la direction des vents. Depuis la révolution scientifique du 17ème siècle cette mesure se fait par la découverte de forces dans l’histoire, dans la psyché et, récemment, par des recherches sur le cerveau qui, à n’en pas douter, vont nous permettre de surfer sur nos neurones. La science, à son corps défendant, a fait miroiter un futur où l’humanité pourrait enfin planer sur les forces économiques, politiques ou psychiques qui la gouvernent. Ce miroitement vient d’un miroir aux alouettes.

Le phénix est un oiseau qui, lorsqu’il sent la mort venir, construit un bûcher d’herbes aromatiques et s’y laisse brûler. Puis il renaît de ses cendres. Même lui, symbole de l’immortalité, savait qu’il faut mourir d’abord. Nous, modernes, ne le savons plus et avons du chemin à parcourir pour retrouver la sagesse du phénix.

Jan Marejko, 4 mai 2016

 

9 commentaires

  1. Posté par marguerite le

    @Renaud, rien d’étonnant à votre vue et à l’explication que vous en faites, elle ne pouvait que découler de mon commentaire et de ma position.
    Je connais ce projet américain tendant vers une volonté de contrôle psychologique appliqué à tous les élèves et j’ai entièrement conscience du grand danger de conformisme qu’il matérialiserait et qui serait anti-nature, non pas seulement envers les enfants mais envers le potentiel individuel de chacun qui se retrouverait en cas de non alignement au modèle imposé, directement stigmatisé, écarté et probablement par la médicalisation réduit au néant.
    Bien au contraire je suis adepte de « la conscience individuelle agissante et évolutive », mais adepte aussi d’affronter ce que chacun d’entre nous peut contenir de sombre, d’obscur et de « perverti » et adepte aussi d’y faire face à chaque instant car ne sachant trop bien que jamais l’on ne se « débarrassera » de notre part de violence ou d’ombre individuelle et collective sans accepter d’y faire face, « pour de vrai ». C’est ce face-à-face qui me permet de prendre position et de considérer que, non, chacun d’entre nous ne doit pas être psychologiquement évalué et testé dès le plus jeune âge, mais que oui, ceux d’entre nous qui représentent un immense danger potentiel et pour un individu, et pour une famille, et pour une organisation, une administration, un pouvoir quelconque, ont grandement besoin d’être « repérés » puis leur maladie mise en mots ce qui je le crois est déjà une façon relativement simple et éprouvée de leur ôter leur pouvoir de destruction.
    Je suis donc en accord avec les travaux du Dr Hare qui nous encourage non pas à dresser un profil psychologique de chaque individu de cette planète, mais bien à se concentrer uniquement sur ceux qui, s’ils sont « malades » de cette absence de conscience et incapables de contenir leurs énergies perverties, agissent comme des prédateurs et détruisent petit à petit l’essence même de notre humanité, le quotidien nous le démontre chaque jour un peu plus.
    Il ne s’agit aucunement donc de « tuer » en chacun de nous le pouvoir et le potentiel infini symbolisés par « le serpent de la genèse » mais bien d’arriver à déterminé si celui-ci peut parfois posséder deux têtes, et si oui laquelle de celle-ci ne sera qu’une tête malade et génératrice de violence, de mal ou de perversion qui font que nous vivons encore aujourd’hui en 2016 un monde de violence totalement archaïque et en état d’auto-destruction.
    « Nous ne saurons pas réellement ce qu’est la nature humaine tant que nous n’aurons pas supprimé l’influence pathocratique et que nous ne serons pas capable de fonder une société vraiment humaine c’est à dire menée et caractérisée par des valeurs en accord à notre nature la plus élevée, notre conscience.  » A.M. Lobaczewski  » la ponérologie politique  »
    nous pouvons à chaque instant travailler à « corriger » l’erreur commise par Adam et Eve et plutôt que de choisir l’arbre du bien et du mal, choisir enfin celui de la connaissance, pour notre salut à tous.

  2. Posté par Renaud le

    @ Marguerite : je reconnais que mon propos demande des explications.
    En tombant dans la psychologisation du problème de civilisation je considère que vous vous faites l’idiot utile du totalitarisme technoscientifique.
    Voir le projet du Congrès américain de profilage psychologique des enfants à l’école.
    La morale est remplacée par la conformité dans une société qui a évacué la nature et la transcendance toutes deux remplacées par la technoscience.

  3. Posté par marguerite le

    @Renaud si adhérer à l’idée que 5 à 6 % de la population souffre d’une pathologie dont le « symptôme » le plus récurrent est une absence totale de conscience, avec toutes les implications et conséquences désastreuses que cela a généré, génère et générera encore, j’y adhère totalement et je m’unis volontiers à la secte des 95% d’individus qui désirent vivre dans un monde sain et beaucoup mieux protégé des prédateurs et des malades.
    A nous de choisir de nous protéger ou pas.
    A nous de mettre en taire ou de mettre en lumière.
    merci dans tous les cas infiniment à toutes les personnes qui participent et travaillent activement à la mise en mots et en lumière.
    https://leb.fbi.gov/2012/july/leb-july-2012
    https://www.harpercollins.com/9780061147890/snakes-in-suits

  4. Posté par Renaud le

    @ Marguerite : je me suis demandé à quoi ressemble le plus votre pensée.
    J’ai d’abord pensé tout simplement à la modernité et sa déliquescence morale mais finalement je trouve que vous allez au delà et préfigurez ce qu’elle va devenir : une secte.

  5. Posté par marguerite le

    @Jan Marejko je n’en doute aucunement ! je passe seulement l’information sur ce livre.

    Sur le problème de la conscience, je pense que les connaissances actuelles démontrent de
    mieux en mieux la problématique d’une catégorie d’individus totalement dénués de conscience humaine, et pour ma part je pense aussi que jamais nous n’aurons une société réellement saine sans tenir compte de cette donnée essentielle et sans être capable de nous « protéger » de ce fléau.
    Des spécialistes comme le Dr Robert Hare au Canada sont aujourd’hui reconnu dans ce domaine et leurs travaux sont salués loin à la ronde.
    Malheureusement il est aussi connu que même pour les spécialistes psychiatres, psychologues et autres ce domaine, celui de la perversité, de la psychopathie, pour notre plus grand malheur est demeuré un sujet tabou, alors qu’il eut peut-être été préférable et plus sain de « briser » et les tabous et de libérer la parole……
    Ce sont des individus qui, même si nous vivons dans un système, influencent, pensent et donnent une orientation à la masse, imaginons donc si ces individus sont des « malades » quel peut-être le résultat ?
    L’un des gros problème du conservatisme provient certainement de cette culture du tabou et de l’interdit, qui on le sait aujourd’hui peut avoir des conséquences désastreuses aussi bien au niveau individuel que collectif ensuite…………

    Bref on a longtemps noyé le poisson, et aujourd’hui on se retrouve avec du poisson pourri ( proverbe grec)

    http://www.fisheadmovie.com/

  6. Posté par C. Donal le

    @ M. Marejko
    Mais certainement 😉

  7. Posté par Jan Marejko le

    @ Marguerite. Mais j’ai une conscience! Enfin, je crois…

  8. Posté par marguerite le

    au sujet du conservatisme :
    « Conservatives without conscience  » de John Dean

    de là viennent beaucoup si ce n’est tous nos problèmes !

  9. Posté par Renaud le

    Mélenchon et Kurtzweil même combat, ils veulent tuer la mort.
    Le conservatisme c’est comprendre que des enfants font l’histoire et que l’unique adulte pouvant limiter leur imbécilité infantile c’est la tradition.

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