Les religions dans le monde : entre guerre et paix

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Par François de Laboulaye.
Un article de Trop Libre

L’ouvrage Géopolitique des religions (Ed. PUF, Paris, 2016) de Didier Giorgini ambitionne de mettre à jour le rôle des religions dans les grandes dynamiques mondiales en lien, entre autres, avec l’espace, le temps, le politique, et en évitant toute approche systématique. L’auteur dégage, ainsi, de nouveaux lieux d’affrontements.

Pour étudier la géopolitique des religions il faut changer d’échelle par rapport à la géopolitique classique, car les religions remontent à la nuit des temps et s’étendent à des espaces vastes.

Les religions évoluent dans un espace-temps qui dépasse le cadre de la géopolitique classique.

Géopolitique des religions Didier GiorginiToutes les religions font références à des mythes et à des légendes dont certaines remontent de plusieurs siècles à plusieurs millénaires. Ainsi, la religion hindoue existe depuis 4000 ans. Les adeptes de la religion shinto quant à eux, croient que le Japon a été fondé il y a plusieurs milliers d’années quand le fils de la déesse Amaterasu est monté sur le trône. De même, la tombe des patriarches à Hébron daterait de 1800 ans avant Jésus Christ.

Chaque religion se caractérise par une topologie propre. Pour les Chrétiens le Saint Sépulcre à Jérusalem est le lieu supposé de la mort et de la résurrection du Christ. La Mecque est la ville sainte des musulmans. Les Hindous et les bouddhistes ont plusieurs villes saintes. Les religions chinoise et japonaise ont des sanctuaires et des mausolées de sages. Par ailleurs, le passage au monothéisme ne conduit pas forcément à la diminution des lieux saints à l’instar du catholicisme et ses sanctuaires mariaux. Ce sont plutôt les lectures littéralistes de ces religions monothéistes qui tendent à les réduire. Les protestants se désintéressent des pèlerinages, et le clergé wahhabite a détruit les tombes des compagnons du prophète au nom de la lutte contre l’idolâtrie.

Cadre et en même temps dépassant les pouvoirs temporels, les religions alternent entre contestation et collaboration avec le pouvoir (ou du moins sont-elles récupérées, tout dépend de quel point de vue on se place) auxquelles elles ne se sentent pas liées.

Entre contestation et récupération : le lien ambigu de la religion et du pouvoir

L’Occident est marqué par le « désétablissement religieux ». Depuis les traités de Westphalie en 1648 fixant le principe « cujus regio, cujus religio », les États Européens n’ont cessé de se démarquer du religieux avec des nuances entre les tenants d’une laïcité stricte comme en France et les tenants d’une laïcité « ouverte » comme aux États-Unis. Le libre choix et la logique « hypothético-déductive » l’emporte sur la norme religieuse imposée. Le religieux se situe dans la sphère privée et la liberté individuelle dans la sphère publique.

Pour l’Orient, et le Sud, c’est l’inverse. La religion traditionnelle s’impose par une législation propre et des normes sociales visant à éviter la confrontation à l’altérité. En ce sens, la criminalisation de l’apostasie est un « marqueur géopolitique » essentiel pour l’auteur. Dans leur majorité, ces sociétés n’ont pas connu le processus « économique » de sécularisation dépossédant les structures religieuses au profit d’un groupe social. Ainsi, l’Église orthodoxe grecque est exemptée d’impôts fonciers. En Arabie-Saoudite, le clergé wahhabite dispose de l’argent du pétrole.

Mais cette opposition Nord/Sud, Occident/Orient doit être nuancée. Les pays bouddhistes qui ont souffert de régimes oppresseurs peuvent voir leurs religieux investir le champ de la lutte pour les droits individuels. Ainsi, les moines bouddhistes birmans manifestèrent contre la junte militaire en 2008. La « théologie de la libération » a fondé la lutte pour les libertés individuelles dans le Sud catholique.

Mais la nature « glocale » c’est-à-dire universelle et particulière des religions explique en partie qu’elles soient porteuses de conflits dont les lieux d’affrontement sont, entre autres, l’économie, les migrations et surtout l’individu.

« Surdéterminants » puissants, les religions provoquent des affrontements là où elles se déplacent.  

Dans le domaine économique, selon Max Weber, le protestantisme aurait gagné la guerre étant à l’origine de L’esprit du capitalisme (1910). Calvin a légitimité le crédit et l’Église évangélique aux États-Unis, rompue aux techniques d’une économie libérale, dispose de fonds considérables. Cependant, Gilles Kepel dans L’extension du domaine du halal (1991) attire l’attention sur les progrès de l’Islam dans ce domaine et ces entrepreneurs souvent musulmans qui exploitent le «surdéterminant » religieux pour s’annexer une clientèle captive dans une logique « d’impérialisme » économique qui a pour cadre la Oumma. Moins triomphaliste, les catholiques s’appuient sur la Doctrine Sociale de l’Église qui vise à proposer un usage juste de la richesse. Les Chrétiens-Démocrates Italiens ont élaboré en ce sens « l’ordo-libéralisme ».

Les lieux d’affrontements varient aussi en fonction des migrations. La Chine a fait du « bouddhisme chinois » un véritable article d’exportation propre à maintenir le lien avec sa diaspora et à diffuser sa culture. L’Iran veut créer un « croissant chiite » pour étendre son influence régionale et finance une politique culturelle exigeante.
En ce qui concerne la migration musulmane en Europe occidentale, elle nourrit aussi des crispations. Dans l’hexagone, le sentiment de déracinement a pu décider les Musulmans les plus fragiles à se tourner vers le salafisme qui prône une religion sans déterminant national et territorial.

Pourtant, le lieu d’affrontement le plus certain, dans un avenir proche est l’individu surtout quand, privé de toute tradition, il a l’illusion de pouvoir choisir son appartenance religieuse1. À sa hauteur, les religions qui attirent le plus sont celles qui savent articuler individualisme et vie en communauté. Dans cette logique les lieux de confrontations se déplacent au niveau infra-étatiques, sécessionniste ou insurrectionnel, et se développent  dans ces « zones grises » des banlieues ou ce no-man’s land que constitue l’empire dématérialisé de la toile.

Didier Giorgini surmonte avec élégance la difficulté d’analyser la géopolitique à travers les religions. Comme outils d’analyse du « glocal » qui lient l’universel au particulier, elles restent difficiles à manier. Plus que jamais, l’individu semble peu de choses face à ces institutions taillées pour des Géants. Mais, contrairement aux Titans qui ont été réduits, les religions, ponts entre le passé profond et la fin des temps, ont encore de longs jours devant elles.

Sur le web

  1. Olivier Roy, La Sainte Ignorance, Ed.Seuil, Paris, 2008.

 

Extrait de: Source et auteur

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