A la folie des terroristes, une autre folie

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste

Depuis l’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015, j’éprouve une étrange sensation. Celle d’assister à des crises de délire dans la presse, les gouvernants et les élites intellectuelles à chaque fois que se produisent des attaques terroristes. Raymond Aron qualifiait de terroriste « une action violente dont les effets psychologiques sont sans commune mesure avec ses résultats purement physiques ».

Nul besoin de s’adonner à une profonde analyse pour voir, à partir de cette définition, que la première chose à faire, devant une action terroriste, est, pour les responsables, de limiter ses effets psychologiques : la peur, des mesures prises dans la panique, des discours grandioses ou grandiloquents sur un état de guerre. Or c’est le contraire qui se passe : tout est fait pour augmenter l’angoisse des populations, à tel point qu’un éditorialiste de la Tribune de Genève parle des citoyens désespérés de démocraties européennes. Les psychiatres vont avoir du pain sur la planche.

Les soldats dans les rues, les logorrhées médiatiques, les appels à une vigilance permanente pour repérer des terroristes, ne peuvent qu’augmenter les effets psychiques dont parle Raymond Aron. On voudrait plaire aux djihadistes qu’on ne ferait pas mieux. On leur donne en effet un statut de révolutionnaires qui luttent contre le monde entier et un tel statut, en plus d’être glorieux, séduit des jeunes un peu partout. Surtout quand la vie se réduit à la gestion de l’idiotie d’une vie privée et rien que privée, sans dimension politique ou patriotique ! Comme le faisait remarquer un journaliste du Guardian, Jason Burke, après les attentats du 13 novembre 2015, « l’État islamique, c’est plus excitant que de travailler au McDonald’s » ! Pourquoi alors ne pas se faire kamikaze ?

Mais que faire, demandera-t-on ? Eh bien, on pourrait au moins commencer par regarder ce qui se passe dans notre monde avant de prétendre le défendre avec de grandes formules creuses. En amplifiant le vide de ces formules, en allant répétant que l’islamisme est un totalitarisme (ce qu’il n’est pas) pour mieux s’aveugler sur ce qui se passe, nous en sommes arrivés à nourrir la folie terroriste avec une autre folie, celle qui consiste à donner un énorme écho médiatique à des assassins. Il me semble que l’énormité de cet écho est assourdissante, mais rares sont ceux qui entendent. Rares mais pas inexistants : Mathieu Guidère, par exemple, qui, hier soir, sur Arte, expliquait qu’on avait tout faux en s’égosillant sur les attentats de Bruxelles. Un peuple libre ne s’égosille pas. Les Anglais sous les bombardements de la Luftwaffe ne se sont pas égosillés. Quand cesserons-nous de nous égosiller ?

Les gouvernants européens ne gouvernent plus rien parce qu’ils sont pénétrés par une idéologie du vivre-ensemble ou des droits de l’homme qui est destructrice du seul vivre-ensemble qui tienne, une communauté politique. Une telle communauté se reconnaît un ennemi et le désigne. Cette désignation n’est pas une déclaration de guerre. Elle consiste à reconnaître des forces potentiellement dangereuses pour une communauté et à prendre les mesures qui s’imposent. Depuis trente ans, ces mesures n’ont pas été prises et aujourd’hui, dans l’affolement, on déclare une guerre tous azimuts. Normal ! Quand on n’a rien fait pendant des années, on bascule dans l’autre extrême, une agitation hystérique qui n’augure rien de bon.

Les attentats sont terribles pour les proches et les familles. Mais ils sont aussi terribles par ce qu’ils révèlent et annoncent. Ils révèlent une rhétorique hystérique, signe d’impuissance politique – ils annoncent une guerre civile si l’islamisme progresse. « Si Dieu décide de détruire, il commence par rendre fou, » écrivait Euripide au 5ème siècle avant Jésus Christ. Nous en sommes presque là. Des deux côtés !

Jan Marejko, 23 mars 2016

9 commentaires

  1. Posté par Sancenay le

    à Jan Marejko,
    Je ne suis pas vraiment convaincu de la « folie » de tant d’ hommes politiques totalement ,et même totalitairement responsables de ce qui se passe pour avoir notamment muselé et banni ceux qui s’efforçaient de prévenir le danger en temps utile , soit il y a plus de 30 ans. Certains, encore plus cyniques que d’autres, voient dans la panique naissante une excellente occasion d’installer le chaos propice à une « remise en ordre  » selon leurs critères si peu démocratiques. Ils récupèrent là une excellente occasion d’échapper de justesse à la déroute promise par l’état de ruine du pays qu’ils auront conjointement provoquée par leur incurie quand ce n’est pas par leur trahison délibérée.
    Voyez la lois restrictives des libertés qui fleurissent ou sont projetées en abondance : resserrement de la règlementation sur la circulation des armes pour ceux seuls qui s’en servent à titre sportif ou de loisir, limitations du droit de manifester, modification des règles de la campagne à l’élection présidentielle, etc, etc
    Ces gens là voyez-vous affichent souvent ,en guise de « carte de visite » de croire, « au hasard et à la nécessité « . Pour autant dans la réalité , ils laissent fort peu de place à l’un comme à l’autre, ne serait-ce que par crainte que cela puisse, le cas échéant, profiter davantage au bien commun plutôt qu’à leurs noirs dessins.

  2. Posté par G. Vuilliomenet le

    TOTALITARISME:
    Selon le site CNRTL.ch c’est un système politique des régimes totalitaires. [Gide] ajoute aussitôt qu’il voudrait écrire « encore un livre », et ces mots sont prononcés avec une sorte d’élan qui lui ôte quarante ans d’un coup. Il se déclare ensuite las du monde où nous sommes et de la marée montante du totalitarisme qu’il hait (Green, Journal, 1950, p. 67).
    − P. ext. Système politico-économique cherchant à imposer son mode de pensée considéré comme le seul possible. Totalitarisme social. Cette génération (…) n’est plus disposée à accepter comme un moindre mal le totalitarisme doucereux, la terreur suave que font régner les appareils politique, militaire, policier et commercial (Le Nouvel Observateur, 23 nov. 1966, p. 25, col. 4).

    ISLAMISME:
    Désigne, depuis les années 1970, un courant de l’islam faisant de la charia la source unique du droit et du fonctionnement de la société dans l’objectif d’instaurer un État musulman régi par les religieux.

    Alors, est-ce qu’un régime politique se base sur la loi de dieu peut être considéré comme autre chose qu’une forme de totalitarisme?

    La réponse, selon moi est indéniablement claire: c’est OUI quoiqu’on puisse gloser, en tout cas selon nos canon de la démocratie, de la liberté et des droits de l’homme.

    Après, on peut se demander si les musulmans qui acceptent ces lois d’Allah considèrent un régime théocratique comme un totalitarisme et tant pis pour les minorités qui s’y opposent,

  3. Posté par Marejko le

    @ Christian Addy. Les totalitarismes que nous avons connus proposaient d’entrer vivant au paradis. Pour les islamistes, il faut d’abord mourir avant d’entrer au paradis.

  4. Posté par Sandoz Suzette le

    Excellent article. Merci.
    Suzette Sandoz

  5. Posté par Christian Addy le

    D’accord sur les effets du terrorisme mais : « islamisme est un totalitarisme (ce qu’il n’est pas) » ce genre de précision est pour le moins incomplète :(? Peut-être faut-il développer si une idée aussi brutale apparait dans un texte ?

  6. Posté par Jacques Beckie le

    Absolument exact lorsque dans cet article est abordé l’exemple des Anglais sous les bombes nazies qui ne s’égosillaient pas. On peut parler aussi de la dignité immense des Japonnais après le bombardement Américain sur Hiroshima et Nagasaki ou plus récemment après Fukushima… Ces gens sont des exemple de dignité qui devraient nous inspirer, mais non nous préférons montrer à quel point nous sommes faibles physiquement, psychologiquement et moralement. Bien entendu ce ne sont pas nos dirigeants ou la presse qui vont forger un esprit guerrier de cette trempe là, chez les plus faibles d’entre nous. Il faudrait déjà que le mot « honneur » ait encore un sens chez nous.

  7. Posté par Claude Haenggli le

    Les nouveaux « socialistes » (rouges, roses, verts ou de la droite molle) ont réussi, avec leur religion de l’égalité (pas celle des chances, mais celle de la médiocrité) que nous ayons renoncé à une structure verticale de la société. Il n’y a plus de hiérarchie des valeurs et surtout plus de vrais chefs. Tout se vaut, il n’y a qu’à voir ce que font certains artistes contemporains, qui utilisent de plus en plus souvent pour leurs œuvres picturales, plastiques et théâtrales des excréments, de l’urine et du sang. Comment attendre d’une société dans un tel état de dégénérescence de reconnaître un ennemi et de le combattre ?

  8. Posté par Dr Alpha Grace le

    Est-ce que la Suisse est au top face aux clandestins, aux trafiquants de drogues, à la délinquance juvénile et à la criminalité et les attaques terroristes en Suisse ou pas?
    Votre réponse à cette question n’a apparemment pas d’importance parce que les forces de la police sont plongées en plein dedans. Ils sont débordés et ils ne voient pas le bout du tunnel, ils ne peuvent même pas se consoler en se disant que leurs cibles seront fatiguées, parce que tel n’est pas le cas !
    Est-il probable que les cibles qui pourtant semblent intégrées dans la société soient fatiguées parce que les forces de l’ordre arriveront à les en dissuader en les dominant ou en les assimilant ?
    Le système actuel les rend plus fortes, car elles arrivent à s’adapter aux conséquences d’ici. Bien que les services de la police et la sécurité publique aient augmenté l’intensité de leurs opérations ces derniers temps, la situation va en empirant ; les journaux en font mention quotidiennement.
    La situation telle qu’elle se présente aujourd’hui est une préparation à une catastrophe sociale ; elle exige de la part des autorités concernées un constat, s’ils veulent mettre fin à cette situation avant que ne commence la dégradation des valeurs et la sécurité sociale.
    Nous nous trouvons devant une situation désespérante : si vous vivez comme dans le passé, si vous viviez dans le passé, les hommes du futur auront beaucoup de mal à vous trouver ;
    Si vous jetiez votre téléphone portable, si vous éteigniez votre messagerie, si vous transmettiez toutes vos instructions de personne à personne, de main à main, si vous tourniez le dos à la technologie, et que vous rentriez dans la clandestinité, vous aurez fait échouer toutes les sensitivités des hommes du futur. Ce qui est drôle, c’est que les criminels que nous prenons comme primaires ont compris cette vérité basique et un peu primaire, les autorités suisses sont dès lors faciles à tromper.

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