Expulsions des criminels étrangers . « Sévérité extrême » : Editorial de R.Koeppel, Die Weltwoche,2.3.2016

Éditorial

«Sévérité extrême»

Humeur enjouée dans la Berne fédérale. Promesses de «sévérité extrême».

De Roger Köppel,  Die Weltwochw, 2 mars 2016

Roger Köppel

Le résultat le plus étonnant de la votation du week-end dernier réside dans le nouveau consensus national concernant l'urgence d'expulser automatiquement des étrangers condamnés pour crimes graves. En matière de criminalité des étrangers, je n'arrive pas à me souvenir d'une telle entente allant de la ministre de la Justice PS jusqu'à la «tapageuse UDC» comme il ressort des débats houleux de la campagne qui a précédé la votation. Même la gauche de la gauche semble tout d'un coup brûler d'envie de bouter les étrangers auteurs de crimes graves hors du pays. Tous promettent une application «extrêmement sévère» du nouvel article qu'une majorité a confirmé avec une forte participation sous les applaudissements internationaux.

Un tel unanimisme est du jamais vu. Tous s'entendent sur les objectifs, seules les mesures pour parvenir au but ne font pas consensus. C'est nouveau. Il y a encore cinq à dix ans, l'Union démocratique était seule à exiger une lutte plus résolue contre la criminalité croissante des étrangers. Cette fois-ci, tout le monde a prétendu avoir reconnu le problème et vouloir le résoudre. On s'est querellé à propos de questions juridiques pointues. Non sans surprise, les adversaires extrêmement bien mobilisés de l'UDC ont vaincu l'UDC avec un thème de l'UDC dans le style de l'UDC, parfois même encore plus dur. S'il est vrai que le plagiat est la plus haute forme de reconnaissance, la question se pose de savoir qui a vraiment gagné le week-end dernier. Tous sont un peu UDC.

Encore un autre grand moment de la démocratie directe! Les sceptiques qui estiment le peuple incapable de prendre des décisions sur des questions complexes se trompent. La Suisse reste le seul pays dans lequel le peuple pratique si ouvertement la controverse avant de décider. La conseillère fédérale Sommaruga a salué la «maturité» de l'électeur parce qu'une fois n'est pas coutume le résultat lui a plu. Laissons-lui savourer son plaisir. Notre système permet aux perdants d'hier de se projeter dans les gagnants de demain, c'est aussi le bon côté de sa vertu conciliatrice. Cela rend heureux et évite les révolutions. Or, il n'y aura pas non plus de quoi douter de la maturité et de la sagesse du peuple à voir des conseillers fédéraux de nouveau agacés par le résultat.

La hargne passagère de la confrontation contrastait singulièrement avec l'ample coïncidence des intentions, à savoir la volonté d'expulser «automatiquement» des étrangers criminels. Se pourrait-il que les adversaires de l'UDC aient surtout usé des armes massives de la polémique parce qu'ils subodoraient à quel point ils épousaient désormais ses vues? La psychologie parle du «narcissisme de la petite différence» lorsque des différences mineures génèrent des conflits particulièrement envenimés. Contrairement à ce que veulent voir les vainqueurs emportés par l'ivresse de leur succès, ce dimanche n'a pas apporté de confrontation polémique sur la ligne politique comme avec l'EEE. À l’époque, deux positions inconciliables s'affrontaient. Cette fois-ci, il s'agissait, comme déjà dit, de divergences d'opinions sur la disposition d'une loi sur la base d'un article constitutionnel que les deux camps n'ont eu cesse de s'assurer mutuellement vouloir respecter.

Ce fut un combat de David contre Goliath. Goliath l'a emporté. L'UDC a fait face à une grande coalition de libéraux, de syndicats, du centre, de la gauche et des médias. Le front national des adversaires de l'UDC a financé selon la NZZ une puissante alliance opportune entre le syndicat Travail Suisse et les associations industrielles Interpharma et Swissmem. On peut aussi voir comme un progrès que les ennemis de classe d'antan fricotent aujourd'hui sans plus de façons. Cette formation de combat suprapartisane a rassemblé près de 70% des voix au Parlement et presque 60% dans les urnes. Par comparaison, les 41% du parti des 30% qu'est l'UDC n'ont vraiment pas de quoi rougir. Les vainqueurs sentent déjà la pression pour honorer leurs promesses de «sévérité extrême». La conseillère fédérale Sommaruga a déclaré devant témoins à la télévision que la sinistre «clause de protection des criminels» en cas de délits graves tels que l'assassinat ou le viol ne serait «jamais» appliquée. Vue sous l'angle de la séparation des pouvoirs, cette injonction d'une ministre de la Justice faite aux juges est particulièrement drastique. Finalement, il ne subsiste qu'une seule question: les gagnants de la votation parviendront-ils à faire passer, comme annoncé, avec leur loi et la clause de rigueur, les 500 expulsions annuelles d'aujourd'hui à 4000? L'UDC a déjà sorti ses calculettes. Si rien ne change, l'Union démocratique progressera probablement aux prochaines élections.

Notons que la bonne humeur règne actuellement dans la Berne fédérale. La démocratie directe peut réserver des déceptions amères, mais aussi un juste retour des choses. Pas question de troubler cette belle humeur, mais quelques sujets d'inquiétude persistent. Il n'est pas bon que le Parlement en faisant les lois supprime tout simplement des éléments essentiels d'un article constitutionnel pour provoquer une nouvelle votation populaire à laquelle on fait ensuite, à grand fracas, prendre la dimension d'une question de confiance en l'État de droit.

L'État de droit signifie en Suisse que les citoyens décident ce qui s'applique, et tant qu'à faire du premier coup. Or, l'évidence ne semble plus aller de soi. Le succès rend présomptueux. Pourquoi ne pas mettre tout de suite en pièces l'initiative contre l'immigration de masse?

Ils s'appliquent à saper les piliers de la démocratie directe. En novembre dernier, le Tribunal fédéral a décidé de la primauté de la libre circulation des personnes avec l'UE sur la décision populaire contre l'immigration galopante. Le peuple décide, mais les juges commandent. La Suisse devra affronter d'autres luttes de pouvoir.

R. Koeppel, 2.3.2016

8 commentaires

  1. Posté par Jean-Louis P. le

    L’éditorial de Roger Köppel est d’une remarquable et pertinente justesse.

  2. Posté par Marcassin le

     » La conseillère fédérale Sommaruga a déclaré devant témoins à la télévision que la sinistre «clause de protection des criminels» en cas de délits graves tels que l’assassinat ou le viol ne serait «jamais» appliquée. »
    Tiens, je croyais que cette dame défendait corps et âme la séparation des pouvoirs.
    De toutes façons, maintenant, ce sont les juges dont certains si ce ne sont beaucoup sont du même tonneau que ceux du mur des cons.

  3. Posté par Jean Ducas le

    Tartanpion, le peuple n’est pas un des 4 piliers, il est les fondations de l’édifice. La justice n’a en aucun cas le droit d’avalider une décision votée par le peuple. Sinon c’est accepter que 39 juges et 41 juges suppléants ont autant – si ce n’est plus – de pouvoir que le peuple.

  4. Posté par claude le

    Les sceptiques qui estiment le peuple incapable de prendre des décisions sur des questions complexes se trompent => des décisions oui mais l’application se fait toujours attendre même avec deux UDC au Conseil Fédéral. Les politiques ne veulent pas s’opposer ou ne peuvent plus s’opposer à l’immigration. Tous les jours je constate l’arrogance de certains étrangers face à nos moeurs ou à nos valeurs. Il n’y a qu’à se promener au centre ville de Lausanne pour voir les gens ordinaires baisser la tête et la police impuissante. Comme Zemmour le prône depuis bien longtemps, cela conduira à terme à des troubles civils car la peur devra se répandre dans les rues comme unique contre-pouvoir. C’est vraiment désolant de constater que la passivité et la non prise en compte du problème par nos politiciens finira inexorablement dans la violence.

  5. Posté par Tartanpion le

    @ Myrisa Jones. Le vote du peuple, la proposition de loi du gouvernement, la rédaction de la loi par le parlement et la mise en oeuvre de la loi par la justice sont les 4 pilliers de notre démocratie Suisse. Ces pouvoirs forment un équilibre et aucun des pilliers ne doit gagner trop de pouvoir. Je vous rappelle qu’il y a 2016 ans le peuple a crié en coeur « Libérez Barabbas » alors que la justice lui avait donné le choix de gracier Jésus.

  6. Posté par Myrisa Jones le

    Le Tribunal Fédéral n’a pas à décider sur ce qu’a voté le Souverain.
    Il peut éventuellement émettre un avis.
    Sinon cela veut dire que ce sont les juges qui prennent le pouvoir et qu’alors il n’y a plus de démocratie en Suisse.

  7. Posté par Pierre H. le

    C’est une façon de voir les choses…

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