Méditation au sujet du tunnel

Anne Lauwaert
Ecrivain belge

Un des sujets du prochain vote concerne un deuxième tunnel sous le Gothard.

Tous ceux qui ont dû poiroter des heures sous un soleil implacable et avec des enfants ou des chiens dans la voiture rêvent d’un boulevard style celui sous le Seelisberg. J’en sais quelque chose: depuis 1980 je vis à Locarno et j’ai fait la route Tessin - Bruxelles un nombre incalculable de fois, par tous les temps, jusqu’au décès de mes parents en 2013.

Cependant, un deuxième tube m’interpelle. Moralement ça m’embête de continuer à exécuter le Plan  “Das Neue Europa” que Hallstein rédigeât pour Hitler en 1938 dans le but,  non pas du bonheur du peuple, mais d’imposer plus facilement la dictature. Oui, ça m’embête.

Ensuite parce que ces autoroutes ne servent pas tellement aux Suisses qu’aux pays de l’UE pour qu’ils puissent transiter le plus rapidement possible sans même s’y arrêter pour boire un café. Peut-être bien pour y faire pipi puisque nulle part ailleurs on ne trouve des toilettes aussi propres…

Bien sûr les entreprises de creusement de tunnels et de constructions d’autoroutes son parties prenantes, mais est-ce à l’avantage des Suisses ou d’entreprises étrangères sous-traitées ? Roumains? Bulgares ? ouvriers sous-payés?

Bien sûr les associations de protection de la nature sont contre car plus la route est attrayante plus elle entraine de circulation et de pollutions. Et oui il serait nettement plus rationnel de transporter les marchandises sur rail.

Les Tessinois qu’en disent-ils ? Le secteur de l’hôtellerie et du tourisme sont pour le tunnel. Mais en réalité plus le parcours tessinois est facilité plus on traverse vite le Tessin pour aller boire, manger, loger et faire ses courses en Italie qui coûte moins cher. Pour le tourisme du Tessin il faudrait fermer le tunnel du Gothard de façon à ce que les touristes fatigués s’arrêtent, cherchent un hôtel, y séjournent et en profitent pour visiter  l’intérieur du pays. Sur l’autoroute ils ne sont pas attirés par l’image des zonings industriel qui ressemblent de plus en plus aux banlieues françaises (ceci n’est pas un compliment).

Le Tessin est-il encore un canton touristique? L’industrie, les technologies de pointe n’ont rien de romantique mais rapportent plus que le folklore bucolique. Les buildings standardisés à appartements en verre et acier rapportent plus que le charme désuet de l’architecture traditionnelle… La nostalgie ne paye pas…

En plus, il faut bien le dire, la météo n’est plus ce qu’elle était…

De nombreux Tessinois sont contre ce tunnel car plus il y a de vacanciers, plus il y a de nuisances, bruit, routes encombrées, parkings occupés, infrastructures débordées. Il y a conflit d’intérêts entre les indigènes qui espèrent que les touristes laissent le plus d’argent possible et les touristes qui veulent dépenser le moins possible.

Pour l’économie tessinoise, ce n’est pas l’augmentation hypothétique de touristes qui ferait la différence mais le fait que les Tessinois eux-mêmes arrêtent d’aller faire leurs achats à l’étranger et surtout en Italie.

En voyant l’augmentation des embouteillages, il convient de se demander si les déplacements physiques, par exemple en voiture, qui prennent du temps et coûtent cher, vont continuer ou bien être remplacés par les nouvelles technologies via Internet, satellites, vidéoconférences, travail à domicile ?

Il y a un peu de tout cela mais il y autre chose.

Depuis plusieurs années nous subissons des caprices météorologiques avec des périodes de sècheresse  alternées à des périodes de fortes intempéries au point de se demander si nous allons vers un régime de moussons. L’an dernier nous avons affronté des température anormalement hautes et passé quatre mois pratiquement sans une  goutte de pluie… On survit aux stations de ski sans neige et les barrages hydroélectriques finissent par se remplir quand ils en ont l’occasion. Mais qu’en est-il des  sources, bassins et aqueducs qui assurent l’eau potable dans nos habitations? Et les cultures des maraichers? Et le foin pour les paysans? Et l’herbe sur les alpages? Et l’eau pour le bétail? Sans même oser évoquer les incendies en montagne.

Régulièrement, en été,  notre consommation d’eau est rationnée et alors il faut récupérer l’eau de la douche,  vaisselle et lessive  pour arroser le potager… aussi longtemps que nous aurons de l’eau pour la douche… Les habitants des villes ne s’en rendent pas autant compte, que dans les vallées. La situation empire encore si pendant l’été les vacanciers augmentent la consommation d’eau sans mesurer la gravité de la situation.

Au début des années 80 des scientifiques de l’Institut Max Planck de Hambourg annonçaient que en 15-20 ans il n’y aurait plus eu de neige en-dessous des 1500m. J’avais écrit un article pour demander si dans ces conditions il était raisonnable de continuer à investir dans les remontées mécaniques des pistes de ski ou s’il ne convenait pas de réorienter l’offre touristique surtout vers le tourisme écologique, pédestre et estival. Olala le tollé … “mais qu’est ce que vous croyez ma p’tite dame, s’il n’y a pas de neige on la fera avec des canons”… Et s’il n’y a pas d’eau? Ou s’il ne gèle pas? Et si les barrages sont vides et le prix de l’électricité devient  inabordable?

Semblablement, aujourd’hui, concernant le creusement d’un deuxième tube sous le Gothard j’ose dire : bien sûr un tunnel à 4 voies serait un rêve, mais … n’y a-t-il pas plus indispensable, je dirais même vital?

N’est-il pas plus utile de consacrer cet argent à prévoir les problèmes de l’eau que les scientifiques nous annoncent depuis des années et que nous voyons déjà. En quel sens? Tout d’abord lutter contre le gaspillage de l’eau de pluie qui actuellement va à l’égout avec les eaux usées et encombre les dépurateurs. Ensuite la dépuration et le recyclage de toutes les eaux usées. Cela signifie le remplacement de beaucoup d’aqueducs, canalisations et bassins, la construction de stations de pompage, l’étude des nappes phréatiques et cours d’eau souterrains,  etc.… Sait-on quelles conséquences la fonte des glaciers va avoir sur l’approvisionnentment des sources? Les spécialistes ont certainement une vue plus vaste que la mienne mais donne-t-on assez d’importance à ce secteur de la recherche et des travaux publics? Ce sont des travaux pharaoniques qui vont couter des sommes folles. Un jour ou l’autre nous allons être aculés à les affronter. Ne vaut-il pas mieux le faire dans le calme au lieu de devoir le faire dans l’urgence? (Sans parler des éboulements prévus par la fonte du permafrost et contre lesquels il va falloir construire des pare-avalanches – ça aussi on le voit déjà)

Ce serait aussi de la création d’emplois.

L’argent d’un tunnel pour permettre aux pays voisins de travers la Suisse ne serait-il pas plus opportun de le consacrer aux intérêts des citoyens suisses?  Qu’en disent les spécialistes, je ne le suis pas, je ne puis parler que de mon expérience dont la visite de Fatehpur Sikri: ville magnifique qui a dû être abandonnée car l’eau a manqué…

A la rigueur nous pouvons vivre sans tunnel sous le Gothard, même sans pistes de ski et même sans tourisme, on peut éliminer beaucoup de choses et vivre bien quand même mais nous n’allons jamais savoir vivre sans eau.

Bien sûr, Lombardi est enthousiaste du tunnel. Comment ne pas le comprendre puisque son père, le mythique « Ingegner Lombardi » est un génie de la construction d’œuvres  audacieuses et grandioses dont tous les Tessinois sont fiers. Cependant, aujourd’hui, devant les défis futurs, ne serait-il pas opportun d’orienter ce savoir faire, mondialement reconnu, vers l’avant-garde dont, d’ici peu, dépendront des solutions vitales ? Les tunnels et barrages, c’est de la compétence acquise. Les défis du futur sont des challenges nouveaux non seulement pour enthousiasmer les ingénieurs les plus téméraires, mais surtout pour garantir la sécurité des populations qui vont dépendre de solutions révolutionnaires.

Anne Lauwaert

6 commentaires

  1. Posté par Célestine le

    Anne Lauwert, le sans-voiture me conviendrait très bien s’il existait des transports publics un peu plus cohérents. J’habite la campagne et pour me rendre à Vevey, par exemple, il me faut marcher un quart d’heure, puis prendre deux bus pour arriver à la prochaine gare ferroviaire. Ensuite attendre le train pour Lausanne, changer de quai et prendre un autre train pour Vevey. Cela prend au moins 3 heures. Idem pour le retour, sauf qu’à partir de 19 h il n’y a plus de bus pour rentrer chez moi. Alors qu’en voiture, je mets 25 min aller et autant pour le retour, hors heures de pointe. Je pense que pour vous ce serait également galère de faire le trajet Tessin-Bruxelles sans voiture. Donc, à part l’approvisionnement futur en eau, notre ministre de l’environnement et des transports devrait aussi plancher sur une ou plusieurs alternatives sensées afin que chacun puisse penduler sans perdre un temps inouï entre son domicile et son lieu de travail, l’école des enfants, le médecin, le dentiste, les magasins, etc. Entretemps, il faudra bien prendre son mal en patience dans les bouchons, éviter d’aller à Vevey pour moi et à Bruxelles pour vous…

  2. Posté par Anne Lauwaert le

    La première fois que j’ai “conduit” une voiture c’était en 1958… j’avais 12 ans… j’ai pris la clé, allumé le moteur, enclenché la marche arrière et suis sortie du garage et ensuite je suis rentrée… mes parents n’ont rien remarqué Quand j’avais 15 ans, sur le chemin entre le pensionnat et la maison nous passions par les champs et mon père m’enseignait à conduire car “c’est quand le cerveau est agile qu’il faut apprendre certains automatismes” – il était prof de pédagogie – ben oui je suis adepte de la voiture… MAIS aujourd’hui , d’abord avec toutes les limitations et obligations, il n’y a plus aucun plaisir à conduire , ensuite, on est à saturation – à mon avis, au delà de tous les autres problèmes écologiques, l’ère de l’auto en est à son déclin – à quoi sert la voiture s’il faut rouler au pas à cause des embouteillages et des limitations de vitesse? D’ailleurs pour quelle raison devrait-on tout le temps bouger? La « mobilité » est néfaste pour la santé, la famille, la qualité de vie. C’est l’homme au service du travail au lieu du travail au service de l’homme. Changeons tout ça !

  3. Posté par Aline le

    Tout a fait d’accord avec Mme Lauwaert. N’oublions pas qu’en juin le plus grand tunnel ferroviaire du monde s’ouvrira dans le Gothard, un projet pharaonique et très coûteux. Donc le Tessin ne sera pas du tout coupé du monde. L’initiative des Alpes en 1994 prévoyait que le trafic routier serait d’avantage déplacés sur les rails.

  4. Posté par yvanovitch y le

    Sans l’avoir exprimé ou pensé en détail… c’est aussi ma réflexion : ce tunnel c’est pour l’UE, une connerie de la Leuthard . Pensons seulement à ce qui s’est passé dans nos villages Suisse, il y a 40-50 ans on élargissait les routes à tout va… maintenant on met des chicanes sur ces mêmes routes pour ralentir et diminuer le trafic ! Oui ce deuxième tube est une connerie des politiques qui disent « Après-moi le déluge » ! Moi j’ai voté contre, un NON-MERCI !

  5. Posté par Célestine le

    Wouahh, je suis bluffée par votre analyse. Comme vous avez raison! J’hésitais quant au vote sur le 2e tunnel, mais me voilà confortée dans mon sentiment de l’inutilité de tels travaux pharaoniques au seul profit ou presque d’étrangers très pressés d’atteindre l’Italie au plus vite. Oui, deux fois oui, il faut s’occuper de l’approvisionnement en eau, c’est primordial. Et si, dans un futur hypothétique, il reste encore de l’argent, des marchandises à transporter et des touristes motorisés, il sera toujours temps d’envisager le percement d’un 2e tube.

  6. Posté par Pierrot le

    Ce serait faire injure à Mme Lauwaert, de prétendre que sa prose enfonce des portes déjà largement ouvertes! Ce serait inélégant et ferait peu de cas de son engagement et son talent de rédactrice.
    Toutefois, cela étant dit, en tant que défenseur de la nature, du paysage et des ressources énergétiques renouvelables depuis plus d’une trentaine d’années, il est une évidence: c’est l’urgence et la nécessité absolue à agir dans la bonne direction avant qu’il ne soit trop tard.
    Et là, patatras, les groupes de pression dirigent le monde et notre pays.
    Quelles difficultés y-aurait-il à exiger que lors de constructions récentes, la norme Minergie P
    s’applique de façon contraignante! Que la récupération des eaux pluviales soit obligatoire. Des mesures, somme toute, simples à mettre en œuvre et pas forcément onéreuses!
    Si l’on avait investi le centième de ce qui a été investi dans le nucléaire, dans les énergies renouvelables et surtout dans le stockage de ces énergies, notre horizon serait bien plus dégagé.
    Mais voilà, l’économie dicte les choix et le monde politique s’aligne.
    Le présumé nouveau président du PDC, visiblement un grand novateur, a déjà déclaré que son unique souci consistait à répondre aux désidératas de l’économie. Au moins ça a le mérite d’être clair.
    Vous avez dit, souveraineté, droits populaires, écologie, mais de quoi s’agit-il au juste?
    Le philosophe, Alain, écrivait que le monde est dirigé par la passion et non pas par la raison!
    S’agit-il d’une Passion christique? assurément le poids de la croix ne va cesser de croître.
    Une façon de dire que nous ne sommes pas prêt d’entrevoir le bout…du tunnel!

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