Roger Koeppel, « Clause de protection des criminels », Die Weltwoche, 11.2.2016

Editorial

Clause de protection des criminels

Pourquoi la proposition de loi du Parlement est inopérante.

De Roger Köppel

Roger Köppel

Au programme: des débats sur l'initiative de mise en œuvre. Les adversaires rabâchent toujours les mêmes affirmations. Leurs arguments ne sont tout simplement pas convaincants.

Le conseiller national des Verts Balthasar Glättli soutient qu'avec l'initiative de mise en œuvre un secondo délinquant pourrait être expulsé de Suisse pour un simple vol de cigarettes dans un kiosque.

Le conseiller aux États Andrea Caroni s'essaie, après l'échec de son exemple de cas de rigueur d'un jeune voleur de pommes, au scénario d'un voleur de roses étranger qui sera expulsé par des juges suisses pour avoir pénétré dans le jardin de son voisin.

La conseillère fédérale Simonetta Sommaruga part en tournée porter le message qu'un secondo, tout heureux d'avoir réussi son examen de fin d'apprentissage, qui pénètre par effraction dans une «cabane de jardin familial» pour y voler quelques bouteilles de bière se verrait automatiquement signifier une expulsion du territoire avec l'initiative de mise en œuvre.

Absurde! Présentez-moi, s'il vous plaît, un juge suisse qui ait déjà prononcé une condamnation exécutoire contre un étranger pour de telles bagatelles! Il est vrai que l'initiative de mise en œuvre peut entraîner l'expulsion lorsqu'il y a cumul de violation de domicile, de dommages à la propriété et de vol. Mais pour cela une condamnation pénale est indispensable. Personne ne serait expulsé pour avoir dérobé quelques bouteilles de bière ou dévasté le parterre de roses du voisin. Même en cas de vols aggravés, les juges expérimentés racontent qu'un délinquant peut échapper à une condamnation s'il se repent et verse des dommages-intérêts.

Cette remarque devrait permettre de retirer tout fondement à une deuxième fausse assertion. Il est en effet faux de dire que l'initiative de mise en œuvre écarte les juges. Les juges doivent encore examiner les circonstances dans le cadre du nouveau régime. Ils doivent continuer à prendre des décisions et à rendre des jugements. La seule limitation concerne l'ordre d'expulsion du territoire. Elle est automatique lorsqu'un délinquant a été condamné pour certains délits.

Le point de discorde entre adversaires et partisans ne concerne pas le catalogue des délits. Le projet de loi parlementaire est aussi adéquat que la liste des auteurs de l'initiative de mise en œuvre. Le problème réside dans le fait que les parlementaires ont, contre la volonté de l'UDC, rendu leur article de loi inopérant par le biais d'une clause inutile et inconstitutionnelle dite de «cas de rigueur», autrement dit de protection des criminels.

Inconstitutionnelle parce que le législateur avait exigé une initiative sur le renvoi avec automaticité de l'expulsion sans «clause pour les cas de rigueur». Inopérante parce que la clause de protection des criminels est aussi applicable en cas de délits graves tels que l'assassinat, le viol et le vol avec violence. La soi-disant «loi vacharde» (Caroni) s'édulcore toute seule.

À propos de la clause de protection des criminels, la loi parlementaire parle d'«exceptionnalité». Mais nous savons de l'exécution concrète des peines que les exceptions floues deviennent assez souvent la règle. Si les juges pouvaient encore à l'avenir décider librement de ne pas expulser un trafiquant de drogue multirécidiviste sous prétexte qu'il a encore un enfant en Suisse, dont il ne s'occupe pas, on peut s'imaginer que la pratique bienveillante d'aujourd'hui à l'égard du délinquant ne changerait qu'à la marge.

De facto, la clause de protection des criminels du Parlement permet de déclarer chaque meurtre ou chaque viol comme cas de rigueur pour le délinquant. L'assassin qui poignarde sa femme peut rester si le juge invoque des motifs familiaux. C'est précisément cette marge d'arbitraire que le législateur a voulu éliminer avec l'initiative sur le renvoi. Même les opposants à l'initiative de l'UDC, comme le conseiller aux États Jositsch, reconnaissent que c'était une erreur d'étendre la clause pour les «cas de rigueur» aux crimes les plus graves.

C'est là que le bât blesse. La clause de protection des criminels rend la nouvelle loi inopérante. L'arbitraire judiciaire demeure. L'an dernier, on a enregistré 57 000 délits commis par des étrangers en Suisse, mais seulement 500 renvois. L'Aargauer Zeitung a récemment chiffré que la pratique du renvoi varie d'un canton à l'autre. Le canton de Zurich a renvoyé un étranger criminel sur 36, le canton de Genève seulement un sur 117. Le pouvoir discrétionnaire du juge est imprévisible. Cela soulève la question de la sécurité juridique. Or, il est intéressant de constater que là où les expulsions sont plus fréquentes la criminalité est moindre.

Les opposants à la mise en œuvre résistent désespérément à ce fait. Ils continuent d'affirmer que le mécanisme d'expulsion ne serait qu'une surinterprétation après coup de l'initiative sur le renvoi. C'est n'importe quoi. La brochure d'explications destinées aux électeurs indique dans sa toute première phrase que l'initiative vise à faire retirer «automatiquement» le droit de séjour à tout étranger qui se sera rendu coupable de certaines infractions. C'était l'élément essentiel du projet.

La conseillère fédérale Sommaruga présente maintenant avec aplomb l'affaire à sa sauce. Elle a récemment affirmé dans «Arena» que la «clause pour les cas de rigueur», n'ayant pas été expressément interdite par les auteurs de l'initiative, serait donc autorisée. Encore une de ces phrases typiques de Sommaruga qui déforme subtilement de l'intérieur le contexte, toujours sur le fil de la contre-vérité, pour finir par affirmer le contraire de ce qui est vraiment le cas.

Effectivement, les auteurs de l'initiative n'ont pas expressément interdit une clause de protection des criminels. Mais ils ont expressément rejeté un contre-projet du Conseil fédéral qui contenait une telle possibilité d'appréciation concernant l'expulsion du territoire. L'automaticité de l'expulsion n'interdit pas la «clause pour les cas de rigueur», mais elle l'exclut logiquement. Sommaruga brouille les cartes. L'initiative de mise en œuvre est nécessaire. Le renvoi porte ses fruits.

 

3 commentaires

  1. Posté par aline le

    J’ai de la peine à croire que le citoyen suisse soit aussi stupide pour croire toutes ces vacheries que les adversaires de l’initiative avancent. A lire les lettres de lecteurs de nombreux médias je suis optimiste pour un OUI le 28 février.

  2. Posté par pierre frankenhauser le

    Les opposants à cette initiative continuent de nous prendre pour des débiles profonds, avec leurs exemples extrêmement simplistes et mensongers. Ils tentent d’ériger des cas particuliers – exagérés et faux – en règles générales. Ces parlementaires indignes n’ont pas été élus par le peuple pour nous mentir, nous enfumer et aller à l’encontre des intérêts de la population suisse. Concernant ces parlementaires bienpensants et sans scrupules, les élire revient à signer un chèque en blanc.

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